Le rapprochement Turquie-Syrie, un horizon encore lointain

Des soldats turcs accompagnés de véhicules blindés patrouillent dans la ville de Manbij, au nord de la Syrie (Photo, AFP).
Des soldats turcs accompagnés de véhicules blindés patrouillent dans la ville de Manbij, au nord de la Syrie (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 06 septembre 2023

Le rapprochement Turquie-Syrie, un horizon encore lointain

Le rapprochement Turquie-Syrie, un horizon encore lointain
  • Les déclarations répétées de Bachar al-Assad indiquent qu’il considère le retrait de la Turquie du nord de la Syrie comme une condition pour la reprise des relations avec Ankara
  • Au cas où la Turquie se retirerait du nord de la Syrie, les Kurdes modifieraient encore davantage l’équilibre des pouvoirs en leur faveur

Il n’y a pas si longtemps, on avait bon espoir de voir les relations turco-syriennes se raviver. Cet espoir n’a pas été anéanti, mais il n’y a pas de reprise rapide en vue.

Les relations entre ces deux pays ont été tendues pendant des décennies. La situation a commencé à s’améliorer lorsque le président turc de l’époque, Ahmet Necdet Sezer, a décidé d’assister aux funérailles du défunt président syrien, Hafez al-Assad, en juin 2000. Des relations extrêmement chaleureuses s’ensuivirent en 2009, lorsque Recep Tayyip Erdogan et le président syrien, Bachar al-Assad, ont passé des vacances en Turquie avec leurs familles. Mais ce que l’on appelle le «Printemps arabe» a tout chamboulé.

Au cours des premiers mois du Printemps arabe, le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir en Turquie pensait qu’un ensemble de pays dominés par les Frères musulmans, de la Tunisie à la Syrie, en passant par la Libye et l’Égypte, était en train de prendre forme et que la Turquie pourrait en devenir le leader. Mais ce rêve s’est vite brisé. Plutôt que de devenir le leader de ces voisins régionaux, la Turquie a eu des problèmes avec presque tous ces pays.

La Turquie a mené des opérations militaires en Syrie à différents endroits. Désormais, nous débattons des conditions de son retrait de ces territoires.

Les déclarations répétées de M. Al-Assad indiquent qu’il considère le retrait de la Turquie du nord de la Syrie comme une condition pour la reprise des relations normales entre Ankara et Damas.

Plusieurs pays arabes, dont l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU) et l’Égypte, ont pu aborder divers sujets en améliorant leurs relations avec la Turquie. Mais la Syrie a comme condition le retrait des forces militaires turques de son territoire et elle veut qu’Ankara réduise le soutien qu’elle apporte aux extrémistes et à d’autres organisations. Le président syrien soutient qu’en présence d’un environnement favorable après le retrait de la Turquie du territoire syrien, il serait naturel d’établir des liens normaux comme dans le passé.

Du côté turc, le ministre de la Défense, Yasar Guler, a laissé entendre qu’il n’y avait aucun changement dans l’attitude de la Turquie à l’égard du retrait de Syrie. Il a évoqué les pourparlers tenus à différents niveaux entre les deux pays, ainsi que les sensibilités de la Turquie concernant la sécurité de ses frontières et du peuple turc vivant dans les zones proches de la frontière syrienne. Il ajoute qu’il s’attend à ce que Bachar al-Assad agisse de manière raisonnable, suggérant qu’il ferait preuve d’une attitude conciliante.

Les rencontres entre la Turquie et la Syrie ont commencé lorsque l’actuel ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, était à la tête des services de renseignement turcs. Il connaît donc le contexte de ces négociations. Il devrait contribuer aux futures négociations dans ses nouvelles fonctions. Des représentants russes et iraniens ont également participé aux précédentes réunions qui se sont tenues en Russie.

«La coopération turque, syrienne et kurde aurait été le meilleur compromis pour le nord de la Syrie.» 

Yasar Yakis

L’un des effets les plus importants du retrait de la Turquie de Syrie serait le sort des extrémistes coincés au nord d’Idlib. La principale organisation terroriste était le Front al-Nosra, créé comme une extension d’Al-Qaïda. Ce groupe a ensuite rompu ses liens avec Al-Qaïda et il s’est fait appeler «Hayat Tahrir al-Cham» (HTS).

Ahrar al-Cham est un autre groupe militant opérant à Idlib. Il coopère de temps en temps avec HTS. Ni HTS ni Ahrar al-Cham ne font partie de l’Armée syrienne libre parrainée par la Turquie, rebaptisée en 2017 «Armée nationale syrienne».

Ces groupes ont changé de nom à plusieurs reprises, mais la résolution 2 254 du Conseil de sécurité de l’Organisation des nations unies (ONU) y fait toujours allusion, appelant les États membres «à prévenir et réprimer les actes terroristes commis par Daech, le Front al-Nosra et tous les autres individus, groupes, entreprises et entités associés» avec Al-Qaïda ou Daech et d’autres groupes terroristes, tels que désignés par le Conseil de sécurité, et tels qu'ils pourront être convenus ultérieurement. Cette définition n’exclut aucun groupe.

Au cas où la Turquie se retirerait du nord de la Syrie, les Kurdes, bien organisés et équipés grâce au fort soutien des États-Unis, modifieraient encore davantage l’équilibre des pouvoirs en leur faveur. La zone couverte par les Kurdes soutenus par les États-Unis correspond à près d’un tiers de l’ensemble du territoire syrien.

La coopération turque, syrienne et kurde aurait été le meilleur compromis pour le nord de la Syrie, mais la Turquie n’a pas pu tirer profit de cette situation, en partie à cause de l’opposition américaine.

L’un des malheurs de la Turquie est que deux acteurs importants, soit les États-Unis et la Russie, soutiennent fermement la cause kurde. La Russie tente d’intégrer les combattants kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) dans l’armée syrienne en tant que brigade distincte, mais ce projet se heurte à plusieurs obstacles.
Un problème similaire se pose en ce qui concerne les combattants qui servent actuellement dans la prétendue Armée nationale syrienne. Seront-ils dispersés ou intégrés d’une manière ou d’une autre dans la société syrienne? S’ils sont dispersés, dans quelle mesure la population syrienne les admettra-t-elle? Ce sera un problème majeur pour la Turquie comme pour la Syrie.

De nombreux problèmes sont le résultat de la politique syrienne de la Turquie. Ankara devra donc faire davantage d’efforts. La participation de la Syrie à la Ligue arabe donnera à Damas l’occasion de rejeter la faute sur la Turquie dans un forum où cette dernière sera absente.

Après une absence de douze ans, la participation de la Syrie aux réunions de la Ligue arabe met fin à son isolement. Par conséquent, Damas aura moins besoin de coopérer avec la Turquie et M. Al-Assad pourrait devenir plus intransigeant.

Quoi qu’il en soit, l’amélioration des relations turco-syriennes est désormais une tâche ardue.

 

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AK au pouvoir. 
Twitter: @yakis_yasar

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com