Le plus grand contrat d’armement de l’histoire israélienne, d’une valeur de 3,5 milliards de dollars (1 dollar = 0,92 euro), a conféré une dimension nouvelle aux relations germano-israéliennes. Le Bundestag (assemblée parlementaire allemande, NDLR) a voté en faveur de cet achat au mois de juin et il a désormais obtenu l’approbation officielle américaine, ce qui est nécessaire puisque l’accord concerne le système américano-israélien de défense antimissile conjoint Arrow-3. Cette démarche intervient alors que l’État hébreu exporte de plus en plus d’armes vers les puissances européennes, profitant largement de la crise ukrainienne, tout en se montrant toujours plus brutal envers les millions de Palestiniens dont il contrôle l’existence.
Qu’est-ce que cet événement révèle de la relation germano-israélienne? Naturellement, les juifs israéliens ont toujours éprouvé des sentiments mitigés à l’égard de la nation qui a donné naissance au régime nazi. Notons que des événements antisémites ont toujours lieu en Allemagne: selon une organisation, sept incidents de cette nature sont à déplorer par jour.
Les dirigeants allemands successifs tentent depuis longtemps d’établir une alliance ferme et durable avec Israël. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, l’a résumé la semaine dernière en utilisant l’une de ses phrases caractéristiques: «Il y a soixante-quinze ans, le peuple juif était réduit en cendres dans l’Allemagne nazie. Soixante-quinze ans plus tard, Israël donne à l’Allemagne – une Allemagne différente – des outils pour se défendre.»
La question de l’Holocauste hante cette relation. En 2018, Heiko Maas, alors ministre allemand des Affaires étrangères, avait déclaré que c’était Auschwitz qui l’avait décidé à se lancer en politique. Cet accord sur les armes n’est que la dernière étape vers des liens toujours plus étroits.
Les relations militaires germano-israéliennes sont bilatérales. Israël cherche depuis longtemps à acheter des armes allemandes, et la réciproque est vraie. Les stratèges israéliens ont toujours compris qu’il était important à long terme de lier les grandes nations à l’avenir d’Israël et qu’il était nécessaire que la coopération militaire et sécuritaire serve cet objectif. Si l’Allemagne bénéficie d’un partenariat militaire avec Israël, il devient alors d’autant plus difficile de dénoncer le traitement épouvantable que ce dernier inflige aux Palestiniens. L’Allemagne critique Israël, notamment à propos des colonies, mais elle refuse de prendre des mesures significatives.
«Les stratèges israéliens ont toujours compris l’intérêt à long terme de lier les grandes nations à l’avenir d’Israël.»
Chris Doyle
Les appréhensions allemandes à ce sujet ont été mises en évidence lorsque le commissaire en charge de la lutte contre l’antisémitisme, Felix Klein, a déclaré au cours de ce mois qu’accuser Israël de diriger un régime d’apartheid était antisémite. Pourtant, il existe un quasi-consensus au sein de la communauté des droits de l’homme et du développement sur le fait que l’apartheid représente exactement ce dont Israël est coupable. Rien n’a été dit en Allemagne ou ailleurs sur l’inaptitude à lutter contre cette discrimination et les niveaux choquants de racisme à l’égard des Palestiniens.
Qu’est-ce que cet accord apportera à l’Allemagne? Le système Arrow devrait être opérationnel d’ici à la fin de l’année 2025. Ses principaux arguments de vente sont qu’il est hypersonique et qu’il peut intercepter un missile en dehors de l’atmosphère terrestre. En outre, il est capable de se défendre contre les missiles conventionnels et non conventionnels.
L’invasion russe de l’Ukraine a bouleversé la scène mondiale de l’armement. Avant cela, l’Allemagne avait retardé son projet d’achat d’un système de missile antibalistique. Elle a préféré investir dans des systèmes antidrones. Les actions de la Russie ont totalement modifié la perception de la menace pour des pays comme l’Allemagne. Des fonds qui n’étaient pas prévus dans les budgets précédents sont désormais disponibles.
Les dirigeants russes ne se réjouiront pas à l’idée qu’un tel accord ait été conclu par Israël. Ce dernier avancera qu’il s’agit d’armes défensives. Des radars antidrones israéliens ont même été déployés en Ukraine grâce à la Lituanie, bien que Tel-Aviv ait refusé de fournir tout soutien direct. Même si le président russe, Vladimir Poutine, a toujours entretenu des relations étroites avec le Premier ministre Netanyahou, il pourrait bien modifier sa position. Israël a tenté de se tenir à l’écart de la crise ukrainienne de peur que la Russie ne rende les attaques militaires israéliennes contre la Syrie plus difficiles. Israël tire régulièrement sur des cibles situées au plus profond de la Syrie. Il affirme généralement que ces attaques ont pour objectif de contrecarrer les tentatives du Hezbollah pour s’emparer d’armes de pointe.
L’industrie de l’armement israélienne connaît une période de prospérité, en grande partie grâce à l’Ukraine. 2022 a été une année record pour l’industrie de défense israélienne, avec 12,5 milliards de dollars d’exportations, sur lesquels 30% découlent de ventes aux États européens. L’Allemagne n’est pas la seule à augmenter ses dépenses de défense: d’autres pays européens le font également. Les nations d’Europe de l’Est, de la Baltique et de la mer Noire sont des clients disposés à l’achat qui renforcent leur pouvoir de dissuasion face aux menaces russes. La Hongrie construit également des drones dans le cadre d’un projet commun avec Israël et l’Allemagne. Les dirigeants israéliens ne semblent pas inquiets du bilan antisémite de Viktor Orban, le dirigeant hongrois.
«L’accord massif germano-israélien montre à quel point la realpolitik domine tout sentiment d’indignation morale en temps de crise.»
Chris Doyle
Entre-temps, les dirigeants allemands, entre autres, ne s’inquiètent pas du fait que de nombreux systèmes d’armes israéliens, y compris les cyberarmes, soient continuellement testés sur les Palestiniens. La Pologne achète des centaines de missiles antichars de fabrication israélienne. Le Danemark a accepté de se procurer des systèmes d’artillerie israéliens pour un montant de 256 millions de dollars, en grande partie parce qu’il avait fait don de son stock existant à l’Ukraine. La Roumanie est sur le point d’acheter 32 avions Lightning F-35 dans le cadre d’un accord majeur de 6,5 milliards de dollars. Elle est ainsi devenue la troisième puissance d’Europe de l’Est à adopter les avions américains; étant donné que ce pays est situé sur la mer Noire, son inquiétude est parfaitement compréhensible. Parmi les autres puissances européennes qui ont conclu des accords avec Israël figurent la Grèce, l’Italie, l’Estonie, le Royaume-Uni et la Suède.
Les États-Unis seront ravis de voir leurs alliés de l’Otan augmenter leurs dépenses de défense. En effet, ils encouragent la défense antimissile contre la Russie, mais ils le font également auprès du Japon et de la Corée du Sud afin de contrer les menaces perçues par la Chine et la Corée du Nord.
Les systèmes de missiles antibalistiques sont mis en avant parce que les contraintes imposées aux systèmes de missiles balistiques ont pratiquement disparu. Il y a également de très fortes chances pour que les systèmes antimissiles s’améliorent dans les années à venir en matière de performance contre les armes russes compte tenu de la facilité d’accès aux épaves de missiles en Ukraine.
L’accord massif germano-israélien montre à quel point la realpolitik domine tout sentiment d’indignation morale en temps de crise. Il permettra de soutenir l’actuelle coalition d’extrême droite israélienne – la plus à droite, la plus violente et la plus antidémocratique de son histoire – et lui donnera l’impression que ses actes sont justifiés.
En concluant des accords aussi lucratifs avec Israël, les puissances européennes, les États-Unis et d’autres États exposent au grand jour leur propre hypocrisie qui veut que, dans un conflit, le droit international compte, alors que, dans un autre, il est ignoré. Tout cela est alimenté par l’invasion et l’occupation illégales par la Russie de certaines parties de l’Ukraine à l’égard desquelles les nations européennes ont exprimé leur indignation. Les Palestiniens, quant à eux, ont droit au mieux à une indignation orchestrée et à un peu plus que de timides communiqués de presse.
Chris Doyle est directeur du Conseil pour la compréhension arabo-britannique (Caabu), basé à Londres. Il a travaillé auprès de cette institution depuis 1993 après avoir obtenu un diplôme spécialisé en études arabes et islamiques avec distinction honorifique à l’université d’Exeter. Il a organisé et accompagné les visites de nombreuses délégations parlementaires britanniques dans les pays arabes.
Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com