La « gazafication » de la Cisjordanie, une démarche inévitable ?

La semaine dernière, les forces israéliennes ont lancé la plus grande opération militaire en Cisjordanie depuis 2002 (AFP)
La semaine dernière, les forces israéliennes ont lancé la plus grande opération militaire en Cisjordanie depuis 2002 (AFP)
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Publié le Mardi 03 septembre 2024

La « gazafication » de la Cisjordanie, une démarche inévitable ?

La « gazafication » de la Cisjordanie, une démarche inévitable ?
  • La situation en Cisjordanie avant le 7 octobre était déjà assez effroyable
  •  La violence des colons atteignait un niveau record, tout comme la construction des colonies

Les Palestiniens parlent ouvertement de « gazafication » de la Cisjordanie. Cela entraînerait donc une destruction quasi-totale des infrastructures civiles palestiniennes et le déplacement forcé de 90 % de la population, sans même tenir compte des victimes.

Serait-ce donc le prochain épisode désolant pour la Palestine ?

La situation en Cisjordanie avant le 7 octobre était déjà assez effroyable. La violence des colons atteignait un niveau record, tout comme la construction des colonies. La communauté mondiale des droits de l'homme était presque unanime pour accuser Israël de pratiquer une discrimination systématique en Cisjordanie – le crime d'apartheid. Quelque 750 000 colons jouissent de droits privilégiés exclusifs en vertu du droit civil israélien, tandis que les Palestiniens sont soumis à la loi martiale et emprisonnés dans des centres de détention, où il est prouvé qu'ils sont régulièrement maltraités et torturés.

Pourtant, au moment où les forces israéliennes ont lancé, la semaine dernière, la plus grande opération militaire en Cisjordanie depuis 2002, l'on se demande jusqu'où cela pourrait aller.

Certaines tactiques seront étrangement familières aux habitants de Gaza. Les frappes aériennes, pour commencer. Le ciblage des hôpitaux, des cliniques et des infrastructures médicales en est une autre. La façon dont Israël a monopolisé l'infrastructure de l'eau fait également écho au processus en cours à Gaza.

La dure réalité est qu'Israël a les moyens, le mobile et l'occasion.

Toute l'infrastructure est là : le mur, les monticules, en plus des points et des systèmes de contrôle

- Chris Doyle

Israël a anéanti la population palestinienne de Gaza et rendu l'enclave inhabitable. Les communautés palestiniennes de Cisjordanie pourraient être confrontées au même processus.

La Cisjordanie pourrait bien se transformer en un système de cages comme celui de Gaza et même lui disputer le titre indésirable de plus grand camp de prisonniers du monde. Toutes les infrastructures sont là : le mur, les monticules, en plus des points et des systèmes de contrôle.

Les intentions déclarées d'Israël sont également présentes. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou incite, depuis des années, à l'annexion de la zone C. Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, a promis un million de nouveaux colons en Cisjordanie il y a à peine deux mois. Vider la vallée du Jourdain et les collines du sud de l'Hébron des communautés palestiniennes, tel est le but ultime.

Le ministre israélien des Affaires étrangères, Israël Katz, n'était guère rassurant lorsqu'il a posté sur X : « Nous devons faire face à cette menace (terroriste) par tous les moyens nécessaires, y compris, dans certains cas de combats intenses, en permettant à la population d'être temporairement (évacuée) d'un quartier à l'autre à l'intérieur du camp de réfugiés afin d'éviter les dommages civils et de permettre le démantèlement des infrastructures terroristes qui y sont établies. »

Le chef des affaires étrangères de l'UE, Josep Borrell, a réagi : « Il est encore plus inquiétant que le ministre des Affaires étrangères d'Israël appelle à déplacer des personnes de Cisjordanie, en faisant plus ou moins la même chose que ce qu'ils ont fait avec les habitants de Gaza. C'est tout à fait inacceptable. »

M. Katz a répondu par un tweet : « Je m'oppose au déplacement de toute population de son domicile. » Un commentaire qui ne manque pas d'intérêt étant donné les déplacements monumentaux de Palestiniens que son gouvernement a supervisés.

Si Israël peut s'en tirer avec un génocide à Gaza, que ne peut-il pas faire ? C'est la question que se posent de nombreux membres de la droite israélienne.

- Chris Doyle

L'Iran sera l'excuse. Les ministres israéliens répètent sans cesse que l'Iran a ouvert un front oriental en Cisjordanie. Tout cela est un peu trop commode, prévisible et dépourvu de preuves.

En ce qui concerne les dirigeants palestiniens, cette coalition israélienne commencera probablement à traiter l'Autorité palestinienne comme le Hamas, à moins qu'elle n'agisse comme le caniche de l'occupant. Les principaux ministres veulent voir l'AP éradiquée, tout comme ils le font pour le Hamas.

Pourtant, on pourrait affirmer que Gaza est sur le point de recevoir le même traitement que la Cisjordanie. Les colons font la queue pour coloniser des biens immobiliers à Gaza, plantant même des arbres pour revendiquer symboliquement la terre. Israël a apparemment divisé l'enclave en trois, comme c'était le cas avant 2005 et ce n'est peut-être qu'un début. Les colonies de Gaza verraient également la réintroduction du même régime d'apartheid qu'en Cisjordanie : deux lois pour deux peuples, avec des droits supérieurs pour les Juifs israéliens à tous les niveaux.

Rien de tout cela ne signifie qu'il existe un plan clair du gouvernement israélien. La coalition est trop incohérente pour cela. Mais il existe une série d'ambitions communes qui, à la lumière des horreurs actuelles, pourraient être réalisées de manière opportuniste. Il s'agit notamment de la reprise de Gaza, avec un certain degré de nettoyage ethnique, objectifs qui ont déjà été largement atteints. Cela pourrait signifier de nouveaux transferts importants de terres en faveur d'Israël en Cisjordanie, conduisant à l'annexion de la zone C au moins, avec d'importants déplacements de Palestiniens dans des villes déjà surpeuplées. Et cela pourrait signifier l'anéantissement de toutes les formes de leadership et de structures de gouvernance palestiniennes.

La cerise sur le gâteau serait l'effondrement final des accords de statu quo sur les lieux saints de Jérusalem, conduisant – dans le scénario le plus alarmant – à une synagogue sur Al-Haram al-Charif, comme l'a promis le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir.

C'est de l'opportunisme israélien gonflé aux stéroïdes, facilité par la complicité des États-Unis et l'incompétence du reste de la communauté internationale. Si Israël peut s'en tirer avec un génocide à Gaza, que ne peut-il pas faire ? C'est la question que se posent de nombreux membres de la droite israélienne. Mais cette situation est également due à la disparition du centre et de la gauche politiques israéliens et à l'échec total des dirigeants palestiniens en place.

Aucun de ces scénarios n'est inévitable. Pourtant, en voyant, au fil des jours, toutes les atrocités israéliennes commises sans retenue, l'impensable devient pensable, voire inévitable.

Chris Doyle est directeur du Council for Arab-British Understanding basé à Londres

X: @Doylech

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com