Accablant été avec ses canicules, incendies ravageurs, guerre en Ukraine, coup d’État au Niger, naufrages de migrants en mer… Ce 20 août, en Équateur, dans un climat chargé de violences et de peur, les électeurs choisissaient leur président. Peu avant, à Guayaquil, un candidat était pris dans une fusillade devant un café, dernier épisode d'une campagne marquée par l'assassinat du candidat Villavicencio, ex-journaliste de 59 ans, par un commando colombien. Les huit autres ont dû voter sous escorte et en gilets pare-balles.
C'est finalement Luisa Gonzalez, de gauche, qui est arrivée en tête, dauphine de l'ex-président Rafael Correa condamné pour corruption et actuellement exilé en Belgique. Malgré un taux d’homicide record, des massacres entre gangs, 82% des électeurs ont voté… Réputé pour ses bananes et ses crevettes, l’Équateur a été miné ces dernières années par le trafic de drogue, venant de Colombie et du Pérou, géré par les cartels mexicains.
Depuis 2018, la violence submerge le pays. 29 candidats ont été tués lors des élections de février, les homicides sont passés de 1 118 à 4 603, dépassant les 3 000 au cours des six premiers mois de 2023. 500 prisonniers ont été assassinés en détention. C’est à Guayaquil, d’où la cocaïne est exportée, que 40% des assassinats ont été perpétrés. La «Perle du Pacifique» est la capitale économique, le principal port de pêche et la ville la plus peuplée.
L’Équateur, coincé entre deux grands producteurs de drogue et de guérillas, est sur la route de la cocaïne et fait les frais de l’expansion de son trafic mondial – + 35 % entre 2020 et 2021. L’Équateur reste un pays de blanchiment pour les mafias qu’il fait profiter de sa monnaie, le dollar, et de la misère de ses bidonvilles, qui facilite la tâche des recruteurs. La justice, l’administration pénitentiaire, la police et l’armée sont corrompues. Quel(le) président(e) élu(e) pourra éradiquer ce cancer?
Août a été sanguinaire: sept meurtres! Tous liés à la guerre entre deux clans qui se partagent la fameuse cité de «la Paternelle» et les fructueux marchés de «shit», «beuh», crack et cocaïne.
Azouz Begag
9 785 kilomètres séparent Guayaquil de Marseille qui, cet été, fait aussi jazzer. Deux villes portuaires, deux pays en doute, deux continents, proies d’un fléau: le narcobanditisme. Marseille subit une série de règlements de compte sévères depuis huit mois. Août a été sanguinaire: sept meurtres! Tous liés à la guerre entre deux clans qui se partagent la fameuse cité de «la Paternelle» et les fructueux marchés de «shit», «beuh», crack et cocaïne.
Une banale histoire, d’après les policiers, pourrait expliquer cette recrudescence. Un jet d’un glaçon sur un «boss» dans une discothèque en Thaïlande. S’en est suivie la crise de la Paternelle entre le DZ Mafia (en référence à l’Algérie) et Yoda (mafia marocaine spécialisée dans la cocaïne et la drogue de synthèse en Belgique et Hollande.) Le boss du premier, Mehdi Laribi, «Tic», 33 ans, aurait décidé de se venger de son rival Félix Bingui, «Le Chat», même âge. Résultat: trente-six assassinats en huit mois. Déjà quatre de plus que pour toute l’année 2022, malgré les opérations de police au cours desquelles 70 points stups ont été supprimés, 740 armes dont 62 fusils d’assaut saisis, 1 144 trafiquants arrêtés et 5 commandos de tueurs démantelés.
Trois hommes et deux femmes, soupçonnés d’avoir tué Dylan, 26 ans, le 15 août, ont été mis sous les verrous. Criblé de balles en plein jour sur un boulevard, il a tenté de fuir, puis chuté sur le trottoir où son agresseur l’a achevé à bout portant. Devant les passants. Peu après, une vidéo sur les réseaux sociaux exposait son corps gisant dans une mare de sang. Le ministre de l’Intérieur annonçait aussitôt le déploiement de la CRS 8, spécialisée dans la répression des troubles graves à l’ordre public… Elle était déjà intervenue en février et en avril, en vain.
Cette folle guerre marseillaise entre «Narcos» n’en finit pas. Le 13 août, à «la Cayolle», Salim R., 24 ans, meurt d’une dizaine de balles qui perforent sa tête et son thorax. Le 3 mai, il aurait participé à un double assassinat commis en Espagne, deux hommes du clan Yoda rafalés, dont Omar B., 28 ans, le beau-frère du chef. Que peuvent les policiers contre ces vendettas dont les meurtriers sont souvent inconnus et parfois aussi jeunes que leurs victimes: en avril, Matteo F., 18 ans, serial killer, est interpellé pour avoir abattu Djibril, 15 ans, et Kaïs, 16 ans. Pour les «contrats» exécutés, il a avoué avoir touché «seulement» 200 000 euros.
L’un des plus gros narcotrafiquants de France fournissait les grossistes et s’appuyait sur des réseaux marocains et sud-américains pour acheter la cocaïne, transitant par Anvers et Amsterdam. L’argent ruisselait, notamment grâce à un four qui rapportait 50 000 à 100 000 euros par jour.
Azouz Begag
À la Paternelle, un adolescent de 17 ans a été lynché à mort par une trentaine de personnes et l’agression filmée diffusée en direct sur le réseau Snapchat! Tuer pour terroriser... À Marseille, 80% des 68 fusillades sont dus aux deux clans de la Paternelle pour le contrôle des fours. Les voix qui s’offusquent de ces barbaries sont rares… comme le disent les défenseurs du policier qui a tué Nahel à Nanterre en juillet: les dealers des cités font pire que les policiers! Impunément.
Un autre acteur marseillais a fait la une cet été. Mohamed Djeha, alias «Mimo», «Papipaolo», né en 1981 en Algérie et grandi à La Castellane, la cité de Zidane. Il faisait l'objet d'un mandat d'arrêt depuis 2019, à la suite d’une condamnation à dix ans de prison pour blanchiment. Il était à la tête d'une solide organisation de distribution de cocaïne et cannabis, à Marseille, mais surtout à la Castellane, son fief. Il a été intercepté le 15 juin en Algérie. Depuis 2018, il voyageait entre Dubaï, l'Algérie et le Maroc, comme d’autres.
L’un des plus gros narcotrafiquants de France fournissait les grossistes et s’appuyait sur des réseaux marocains et sud-américains pour acheter la cocaïne, transitant par Anvers et Amsterdam. L’argent ruisselait, notamment grâce à un four qui rapportait 50 000 à 100 000 euros par jour. Il se tenait à distance des conflits opposant Yoda et DZ Mafia et s’occupait personnellement des cibles à abattre. Sous le coup d’un mandat d’arrêt international du 17 mai 2023, il avait été condamné à trente ans pour avoir commandité un assassinat en 2017. Sur l’autoroute, la Twingo de sa victime avait été pourchassée puis, après des tonneaux, avait fini les roues en l’air. Un assaillant était venu l’achever à bout portant. En public.
Comme à Guyaquil, Équateur, les statistiques de l’horreur s’accumulent à Marseille, France…
Pendant ce temps, le 5 août, deux embarcations de migrants ont coulé au large de Lampedusa, en Italie, une trentaine ont péri. Plus de 2 000 morts naufragés en Méditerranée depuis le début de 2023: le bilan de 2022 est déjà dépassé. 93 763 migrants sont arrivés entre janvier et août 2023 en Europe, autant que les 105 131 enregistrés pour 2022. En neuf ans, 27 364 personnes sont mortes en essayant d’atteindre l’Europe. À Marseille, le franco-algérien Mohamed Djeha se faisait aussi appeler «Suarez», un prénom colombien, mexicain ou équatorien… histoire de signer sa référence à Pablo Escobar. Variés et complexes sont les sorts des damnés. Et si tristes.
Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.
Twitter: @AzouzBegag
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.