L'UE intensifie sa politique de sanctions globales

L'une des grandes surprises depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie a été la portée et l'ampleur de la réponse de l'Union européenne (Photo, Reuters).
L'une des grandes surprises depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie a été la portée et l'ampleur de la réponse de l'Union européenne (Photo, Reuters).
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Publié le Mardi 22 août 2023

L'UE intensifie sa politique de sanctions globales

L'UE intensifie sa politique de sanctions globales
  • Le Conseil européen a approuvé une nouvelle proposition de loi européenne visant à renforcer le régime de sanctions en définissant des infractions pénales et des sanctions à l’encontre de ceux qui les enfreignent
  • La portée et la force croissantes du régime de sanctions de l'UE signifient que l'Europe est de plus en plus considérée comme une juridiction de premier plan en matière de sanctions, au niveau international

L'une des grandes surprises depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie a été la portée et l'ampleur de la réponse de l'Union européenne (UE), qui a adopté à ce jour 11 séries de sanctions. Toutefois, la politique de sanctions de l'UE ne se limite plus à Moscou, mais englobe désormais des dizaines de pays. En effet, Bruxelles cherche à devenir un acteur plus puissant sur la scène internationale.

Les pays faisant actuellement l'objet de mesures restrictives de la part de l'UE comprennent non seulement les suspects habituels tels que le régime des talibans en Afghanistan, le Belarus, l'Iran, la Corée du Nord, la Russie, la Syrie et le Venezuela, mais aussi un ensemble beaucoup plus large d'États de l'Asie-Pacifique (y compris la Chine et le Myanmar), de l'Afrique et du Moyen-Orient (y compris le Burundi, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, la Guinée, la Guinée-Bissau, l'Irak, le Liban, la Libye, le Mali, la Somalie, le Sud-Soudan, le Soudan, la Syrie, la Tunisie, le Yémen et le Zimbabwe), et les Amériques (y compris Haïti, le Nicaragua et, plus étonnant peut-être, les États-Unis – une mesure qui concerne l'application extraterritoriale de la législation américaine). La liste comprend également certains États susceptibles d'adhérer à l'UE, tels que la Moldavie, le Monténégro, la Serbie et la Turquie.

Bien que certaines de ces sanctions existent depuis des dizaines d'années, ce régime n'est pas statique mais plutôt dynamique. La liste actuelle des personnes sanctionnées compte à elle seule environ 500 pages, la liste des membres sanctionnés d'Al-Qaïda étant la plus longue de toutes les organisations.

Bruxelles commence à préparer le terrain pour imposer les premières mesures restrictives aux membres de la junte qui s'est emparée du pouvoir dans l'État africain clé du Niger le mois dernier. Cet exemple illustre ainsi la nature changeante du régime de sanction de l'UE. Les nouveaux dirigeants militaires ont jusqu'à présent rejeté les efforts diplomatiques internationaux de médiation, et les pays voisins qui soutiennent la prise de pouvoir armée ont fait appel aux Nations unies pour empêcher une intervention militaire menacée par d'autres États d'Afrique de l'Ouest.

S'appuyant sur l'extension géographique croissante de ses sanctions, un autre signe de l'intention future de l'UE, le Conseil européen a récemment approuvé une nouvelle proposition de loi européenne visant à renforcer le régime de sanctions en définissant des infractions pénales et des sanctions à l’encontre de ceux qui les enfreignent.

Les actions qui seront qualifiées de criminelles comprennent l'aide apportée aux personnes soumises à des mesures restrictives pour contourner une interdiction de voyager dans l'UE, le commerce de biens sanctionnés et la participation à des transactions avec des États ou des entités soumis à des mesures restrictives de l'UE.

Selon ces propositions, la violation ou le contournement des sanctions constitueraient des infractions pénales punissables de peines de prison pouvant aller jusqu'à cinq ans et d'amendes pouvant atteindre 10 millions d'euros. Les entreprises qui violent ou contournent les sanctions seraient également exclues des appels d'offres publics.

Les sanctions sont donc un outil de plus en plus important de la politique étrangère et de sécurité commune de l'UE, qui lui permet d'intervenir, le cas échéant, pour prévenir des conflits ou répondre à des crises actuelles ou émergentes, comme celle que connaît le Niger à l'heure actuelle. Si nombre de ces mesures sont adoptées de manière autonome par l'UE, certaines sont mandatées par le Conseil de sécurité des Nations unies.

La portée et la force croissantes du régime de sanctions de l'UE signifient que l'Europe est de plus en plus considérée comme une juridiction de premier plan en matière de sanctions. 

Andrew Hammond

L'objectif est de faire évoluer les politiques ou les activités préjudiciables en s'appuyant sur quatre axes principaux: promouvoir la paix et la sécurité internationales, prévenir les conflits, soutenir la démocratie, l'État de droit et les droits de l'homme, et défendre les principes du droit international.

Les sanctions peuvent viser non seulement les gouvernements et les individus, mais aussi les entreprises et les organisations, telles qu'Al-Qaïda, de quatre manières principales: les embargos sur les armes, les interdictions de voyager, le gel des avoirs et d'autres mesures économiques telles que les restrictions sur les importations et les exportations.

Si les 27 membres de l'UE sont généralement d'accord sur la politique de sanctions, des fissures apparaissent de temps à autre. Par exemple, la Hongrie a utilisé son droit de veto pour diluer certaines mesures restrictives récentes en s'assurant des dérogations pour l'embargo sur le pétrole russe.

Malgré ces querelles internes occasionnelles, l'une des raisons pour lesquelles les sanctions de l'UE ont un tel poids international est qu'elles sont parfois reproduites par des pays non membres de l'UE dans toute l'Europe. Par exemple, la Suisse a adopté ce mois-ci la onzième série de sanctions de l'UE à l'encontre de Moscou. C'est l'une des raisons pour lesquelles l'ambassadeur russe en Suisse, Sergueï Garmonine, a annoncé que Moscou n'accepterait aucun sommet de paix sur l'avenir de l'Ukraine organisé par la Suisse, comme l'a proposé le président ukrainien Volodymyr Zelensky, au motif que la Suisse avait perdu sa réputation de neutralité.

Les sanctions de l'UE sont également étroitement alignées sur celles du Royaume-Uni, qui dispose désormais de son propre régime indépendant, post-Brexit, défini dans une législation telle que la loi de 2018 sur les sanctions et la lutte contre le blanchiment d'argent. Le régime britannique actuel est similaire, mais en aucun cas identique, à celui de l'UE, avec des pays tels que l'Arménie et l'Azerbaïdjan sur la liste du Royaume-Uni, mais pas sur celle de l'Europe.

La prolifération des sanctions dans différentes juridictions signifie que les multinationales sont confrontées à un paysage complexe de mesures restrictives, non seulement à l'intérieur de l'Europe, mais aussi à l'extérieur, notamment aux États-Unis, en Australie, au Canada et au Japon.

Il est certain que c'est le régime de sanctions américain qui retient le plus l'attention de nombreuses entreprises dans le monde. Cela est dû en partie à la primauté du dollar dans le commerce mondial et au fait que Washington lie l'utilisation du dollar à son régime de sanctions, ainsi qu'à l'utilisation de sanctions secondaires qui cherchent à imposer des obligations aux entreprises non américaines même lorsqu'il n'y a pas de lien direct avec le marché américain.

Toutefois, la portée et la force croissantes du régime de sanctions de l'UE signifient que l'Europe est également de plus en plus considérée comme une juridiction de premier plan en matière de sanctions, au niveau international. Les prochaines étapes dans le cadre de cet agenda viendront probablement de la prochaine Commission européenne, qui sera formée après les élections du Parlement européen en juin 2024, et pourraient inclure des changements significatifs qui redéfinissent le rôle et l'impact des mesures restrictives de l'UE, dans une tentative de renforcer davantage son dispositif de sanctions.

 

Andrew Hammond est chercheur associé au LSE IDEAS, à la London School of Economics.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com