Benjamin Netanyahou a creusé un fossé entre Israël et la diaspora juive

Selon un récent sondage, le taux de désapprobation de M. Netanyahou, qui bénéficiait d'un large soutien de la part de la communauté, s'élève aujourd'hui à 69 % (File/AFP).
Selon un récent sondage, le taux de désapprobation de M. Netanyahou, qui bénéficiait d'un large soutien de la part de la communauté, s'élève aujourd'hui à 69 % (File/AFP).
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Publié le Jeudi 17 août 2023

Benjamin Netanyahou a creusé un fossé entre Israël et la diaspora juive

Benjamin Netanyahou a creusé un fossé entre Israël et la diaspora juive
  • Ce qui devrait inquiéter les Israéliens, ce ne sont pas seulement les paroles et actes répréhensibles de certains politiciens, mais aussi le pessimisme croissant, tel qu'exprimé dans l'enquête, quant à l'avenir de la gouvernance démocratique en Israël
  • Les juifs de la diaspora ont toujours soutenu une sorte de modèle idéal de sionisme, un sionisme qui n'a jamais vraiment existé, mais qui a suffi à enflammer leur imagination et à leur donner un sentiment de fierté

Pour un homme dont la carrière a été fondée et renforcée en creusant de manière cynique et opportuniste des fossés entre différents segments de la société israélienne, le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, a au moins réussi à unir des personnes des quatre coins du monde dans une opposition totale à l'assaut de son gouvernement contre le système judiciaire et, par là même, contre la démocratie israélienne. Il est encore plus «impressionnant» qu'il ait réussi à unir les communautés juives du monde entier – défenseurs d'Israël contre vents et marées – dans leur perte de confiance en ses dirigeants et son gouvernement, les plongeant dans une profonde préoccupation pour l'avenir du pays. 

Une récente enquête de l'Institute for Jewish Policy Research, basé au Royaume-Uni, a interrogé des membres de la communauté juive: «Que pensent les juifs britanniques des dirigeants et de l’avenir d’Israël?» Les réponses sont un mélange de désapprobation et d'inquiétude. M. Netanyahou, qui, il n'y a pas si longtemps, était largement soutenu par la communauté, même par ceux qui ne partageaient pas ses opinions politiques, recueille aujourd’hui un taux d’insatisfaction de 69% parmi les personnes interrogées. Il est difficile de croire que les deux ministres suprématistes juifs, Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, «jouissent» d'un niveau de désapprobation légèrement inférieur à celui de Benjamin Netanyahou. Une situation qui peut s'expliquer à la fois par le fait que ces deux ministres sont moins connus de la communauté juive britannique, et plus probablement, parce que les personnes interrogées dirigent davantage leur colère contre le Premier ministre israélien, d’abord pour avoir permis à ces personnages peu recommandables de faire partie de son gouvernement, et ensuite pour avoir pris une position de premier plan dans la destruction de la nature démocratique libérale du pays. 

Ce qui devrait toutefois inquiéter les Israéliens, ce ne sont pas seulement les paroles et actes répréhensibles de certains politiciens, mais aussi le pessimisme croissant, tel qu'exprimé dans l'enquête, quant à l'avenir de la gouvernance démocratique en Israël. Après tout, depuis soixante-quinze ans, les juifs britanniques, comme les autres communautés juives, soutiennent Israël politiquement, économiquement et moralement. À l'heure actuelle, plus de 70% des personnes interrogées sont modérément ou fortement pessimistes quant à l'avenir d'Israël, et ont généralement une opinion négative sur le pays. 

Pour la communauté juive de Grande-Bretagne, l’évolution de la situation en Israël ces dernières années a été généralement décevante et constitue une source de profonde inquiétude.

Yossi Mekelberg

Pour la communauté juive de Grande-Bretagne, comme pour la plupart des juifs de la diaspora, l’évolution de la situation en Israël ces dernières années a été généralement décevante et constitue une source de profonde inquiétude, sachant que depuis la formation du gouvernement actuel, ces sentiments sont devenus plus forts et plus répandus. C'est aussi une communauté profondément enracinée dans la société britannique, et contrairement aux attentes de l'État d'Israël et de nombreux Israéliens, leur premier attachement est envers le Royaume-Uni. Ils portent leur identité britannique avec fierté, ainsi qu'un fort sentiment d'identité juive, bien qu'avec des niveaux d'affinité variables avec Israël. Cependant, l'époque de la réticence à critiquer Israël ou à obéir aux diktats des Israéliens pour le soutenir quoi qu'il arrive est révolue depuis longtemps. 

Ne vous méprenez pas. Si l'avenir d'Israël est d’être non libéral, non démocratique, plus ou moins autoritaire, et dirigé par des politiciens racistes messianiques, tels que MM. Ben-Gvir et Smotrich, et de façon ultraorthodoxe, de nombreuses communautés juives mettront fin à leur soutien au pays. Les juifs de la diaspora ont toujours soutenu une sorte de modèle idéal de sionisme, un sionisme qui n'a jamais vraiment existé, mais qui a suffi à enflammer leur imagination et à leur donner un sentiment de fierté. De plus, au fond d’eux-mêmes, comme tant de juifs partout dans le monde, Israël est considéré comme un refuge en cas de nécessité, une police d'assurance pour des jours difficiles, si des vies étaient mises en danger par une explosion d'antisémitisme, abstraction faite de la manière dont la communauté peut être installée dans un pays, ou à quel point la menace est réelle ou immédiate. Ceci sans nier l'existence de l’antisémitisme dans la société britannique et ailleurs, et à quel point il peut être nocif. 

Progressivement, la politique agressive d'Israël envers les Palestiniens, et plus récemment, l'érosion de la démocratie au sein de l'État israélien, ont eu un impact concret perceptible sur les communautés juives à l'étranger. L'image idéale d'Israël – celle d'un pays de pionniers qui a changé le cours de l'Histoire juive, passant d'un groupe dispersé, figé et persécuté dans le monde entier, à celle d'un peuple libéré devenu maître de son destin envers et contre tout, et ayant construit un pays démocratique et prospère – s'estompe rapidement. 

Le schisme entre Israël et la diaspora juive est réel, visible et probablement inévitable.

Yossi Mekelberg

Au lieu de cela, les juifs observent de loin la corruption se propager comme une traînée de poudre jusqu'au sommet du gouvernement; une version extrême du judaïsme qui s’empare du pays, aussi éloignée que possible de la version juive britannique tolérante et accueillante; et au lieu de la paix avec les Palestiniens, des colonies construites à un rythme accéléré pour s'assurer qu'une solution à deux États ne se concrétisera jamais, tandis qu'une occupation particulièrement hostile est imposée aux Palestiniens à travers des mesures inhumaines. En outre, à cause de ce spectacle horrifiant, les juifs britanniques commencent à craindre que le fait d'être perçus comme soutenant Israël ne menace leur propre sécurité. Cela devient encore plus évident chaque fois qu'il y a un cycle de conflits entre Israël et les Palestiniens, quoique les paroles exécrables, et parfois les agressions physiques et les menaces à leur encontre pendant ces périodes ne peuvent et ne doivent pas être tolérées. 

Peu à peu, même le Board of Deputies of British Jews, l'organisation cadre des juifs traditionnels au Royaume-Uni, est exaspéré par les actions de la droite israélienne. Cette organisation a refusé l'année dernière de rencontrer Bezalel Smotrich avant même qu'il ne devienne ministre. Elle a tweeté: «On ne vous veut pas ici.» Elle a fermement condamné ses diatribes racistes et homophobes, tout en appelant «tous les membres de la communauté juive britannique à lui fermer la porte». Désormais ministre des Finances d'Israël, M. Smotrich a bloqué les fonds précédemment alloués aux citoyens palestiniens d'Israël, tout en soutenant la violence des colons dans son autre rôle de ministre de la Défense. 

Le schisme entre Israël et la diaspora juive est réel, visible et probablement inévitable. Néanmoins, cette situation permet aux deux parties de redéfinir leurs relations, sachant que cette réévaluation est probablement attendue depuis longtemps. De nombreux juifs ont un fort sentiment d’affinité avec Israël, certains rêvant de s'y installer «quand le moment sera venu», même si ce moment n'arrivera peut-être jamais, tandis que d'autres y voient encore un foyer spirituel. Mais cela ne doit pas détourner l'attention du fait que la direction prise par Israël lui a aliéné la plupart des juifs du monde, et que lui apporter un soutien inconditionnel compromet leur conscience et leur statut social. Par conséquent, les juifs en tant qu'individus et en tant que communauté ne devraient pas avoir peur de critiquer ouvertement Israël et de refuser leur soutien à des politiques avec lesquelles ils ne sont pas d’accord. Il pourrait s’agir d’un moment charnière dans les relations entre Israël et la diaspora juive, qui deviendront plus franches, plus honnêtes et, par conséquent, plus saines, dès lors qu'Israël saura qu'il ne recevra de soutien que lorsqu’il le méritera. 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme MENA à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne. 
Twitter: @YMekelberg      

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com