Le président iranien, Ebrahim Raïssi, s’est rendu dans trois pays d’Amérique latine à la mi-juin. Ce voyage a été l’occasion de visiter trois pays révolutionnaires sous sanctions américaines: le Venezuela, le Nicaragua et Cuba. Ces nations sont également proches, d’un point de vue idéologique, de l’État révolutionnaire iranien. En effet, ils s’opposent à l’ordre international mené par les États-Unis et à la politique étrangère de Washington.
L’un des objectifs de ce voyage était de publier des déclarations diplomatiques qui décrivent la convergence de l’Iran avec les pays révolutionnaires d’Amérique latine contre les pressions et les politiques américaines et de présenter un programme commun. Raïssi a expliqué que l’Amérique latine n’était plus «l’arrière-cour des Américains» en raison de la volonté d’indépendance de chacun des pays latino-américains.
Malgré la convergence idéologique entre l’Iran et les pays révolutionnaires d’Amérique latine, ils ne se complètent guère d’un point de vue économique. À titre d’exemple, même si l’Iran et le Venezuela ont proclamé lors de la visite de Raïssi qu’ils visaient à atteindre un volume d’échanges de 10 milliards, et éventuellement de 20 milliards de dollars (1 dollar = 0,92 euro), le commerce officiel n’a atteint que 3 milliards de dollars en 2022. En outre, les relations de l’Iran avec le Nicaragua se concentrent désormais davantage sur le développement de la coopération militaire qui vise à contrer l’influence américaine en Amérique latine plutôt que sur les questions économiques, dans la mesure où Cuba est un partenaire historique de l’Iran depuis la révolution iranienne de 1979.
Globalement, on peut dire que la stratégie iranienne en Amérique latine repose sur l’exportation et le renforcement des idéaux révolutionnaires propres à l’idéologie populiste du fondateur de la République islamique, l’ayatollah Khomeini.
Raïssi a puisé dans l’orientation populiste des États révolutionnaires d’Amérique latine. Ces trois pays éprouvent des sentiments antiaméricains qui sont prédominants dans leurs sociétés. Paradoxalement, même si les sentiments antiaméricains prévalent dans certaines franges de la population latino-américaine, force est de constater que, en Iran, la majorité de l’opinion publique était indifférente à la tournée diplomatique de ce président iranien conservateur.
En s’adressant aux peuples d’Amérique latine, soumis, selon l’Iran, à «l’arrogance américaine», Raïssi a cherché à redorer son blason révolutionnaire sur la scène internationale, mais cette rhétorique diplomatique ne plaît plus en Iran. En effet, le fait que Raïssi recherche une légitimité révolutionnaire fait partie des efforts continus pour restaurer la crédibilité et la base de soutien des dirigeants iraniens, qui ont considérablement régressé après la mort de Mahsa Amini, en septembre 2022, et des manifestations qui ont suivi à l’échelle nationale.
En outre, les difficultés économiques prolongées et continues de l’Iran ont aggravé la crise de légitimité à laquelle sont confrontés les dirigeants du pays, qui luttent pour élaborer des politiques et des solutions efficaces afin de remédier à la crise économique. Le régime de sanctions sévères contre l’Iran n’a pas aidé les dirigeants à relancer l’économie.
La majorité de l’opinion publique iranienne était indifférente à la tournée diplomatique de ce président conservateur.
Dr Mohammed al-Sulami
Alors que la situation économique est très difficile à l’intérieur de l’Iran, ce voyage en Amérique latine a permis à Raïssi de renforcer le consensus antiaméricain au sein de l’establishment iranien. Cela reste l’un des principes idéologiques de l’État khomeyniste et peut-être l’un de ceux qui continuent de renforcer l’establishment.
En raison du manque d’intérêt de la population pour son voyage en Amérique latine, Raïssi a demandé aux médias iraniens de couvrir davantage ses visites diplomatiques à l’étranger. Cette demande a transparu à travers son interview avec l’Islamic Republic of Iran Broadcasting (entreprise iranienne qui contrôle la télévision et la radio d’État, NDLR) le 7 août dernier. En effet, la majorité de l’opinion publique iranienne n’est pas intéressée par l’activisme diplomatique de l’État iranien dans des régions éloignées du monde, comme l’Amérique latine. Si le peuple iranien désire que les problèmes économiques du pays soient pris au sérieux et que la gouvernance s’améliore, il ne souhaite pas que le président dépense des sommes énormes dans le cadre de longues visites diplomatiques dans le seul but d’améliorer la position de l’État iranien et la mise en œuvre de ses projets et dispositifs idéologiques.
Au-delà du contexte politique interne iranien, le voyage de Raïssi était également lié à l’actuelle confrontation entre l’Iran et les États-Unis sur la question nucléaire iranienne. Ce voyage dans des pays lointains a permis à Raïssi de conserver un précieux soutien diplomatique susceptible de limiter l’isolement international et la marginalisation de l’Iran au sein des organisations internationales. Il découle aussi de la volonté du pays d’apparaître comme une puissance mondiale à un moment où Téhéran rencontre des difficultés sur la scène régionale.
Cette évasion latino-américaine reflétait également une illusion diplomatique iranienne: avoir la capacité d’influencer les développements géopolitiques dans l’arrière-cour des États-Unis. Malgré cela, la dimension symbolique du voyage de Raïssi et de ses rencontres ne doit pas être négligée, car elle traduit une hostilité et une convergence contre la politique étrangère de Washington. Toutefois, dans le même temps, la réalité économique de la coopération entre l’Iran et les pays révolutionnaires d’Amérique latine ne saurait être surestimée, malgré la signature de nombreux protocoles d’accord.
L’intérêt de l’Iran est de trouver des moyens de contourner les sanctions économiques qui influent sur la capacité des dirigeants iraniens à transformer l’économie du pays en une véritable économie émergente. Cependant, l’importance économique du voyage de Raïssi a été quelque peu restreinte dans la mesure où il ne s’est pas rendu au Brésil, principale puissance économique de la région, qui avait reçu l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad en 2009.
Le président Raïssi s’est tourné vers l’Amérique latine en raison des difficultés économiques auxquelles l’Iran se trouve confronté et de la détérioration de ses relations avec les pays voisins, comme en témoignent les tensions avec l’Azerbaïdjan et le gouvernement taliban. L’éloignement géographique est certes une limite à l’approfondissement des relations bilatérales sur les plans économique et stratégique, mais il constitue un avantage en termes d’amélioration de l’image et du prestige de la République islamique.
Le fait que l’Iran connaisse et comprenne mal l’Amérique latine et l’orientation idéologique antiaméricaine dans la région – qui a notamment permis au voyage de Raïssi d’avoir lieu – ne suffisent pas à produire une complémentarité économique et des relations économiques profondes entre l’Iran et les pays révolutionnaires d’Amérique latine.
Le Dr Mohammed al-Sulami est le fondateur et le président de l’Institut international des études iraniennes (Rasanah).
Twitter: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com