Aux États-Unis, des militants pro-israéliens pour la démocratie ont demandé cette semaine au chef de la minorité à la Chambre, Hakeem Jeffries, de rencontrer des dirigeants de la contestation lors de sa visite actuelle en Israël afin de mieux évaluer la gravité de la refonte judiciaire du Premier ministre, Benjamin Netanyahou.
Les manifestations provoquées par les actions du gouvernement Netanyahou prennent de l’ampleur. Les gens se rassemblent chaque jour pour exiger la démission du Premier ministre. Les protestations, quant à elles, semblent avoir éveillé une nouvelle conscience. Les Israéliens commencent à sentir le danger posé par le mouvement des colons. Celui-ci n’est plus considéré comme un mouvement marginal, mais il est perçu par une grande partie des Israéliens comme un danger évident, menaçant l’État et les fondements de la démocratie.
Les manifestants considèrent aujourd’hui que le combat oppose l’État d’Israël au régime des colons. Nous sommes encore loin d’un mouvement populaire à grande échelle à l’intérieur d’Israël pour mettre fin à son occupation de la Palestine. Cependant, nous assistons peut-être aux prémices d’un tel mouvement. Il est donc temps de repousser les limites et c’est pour cela que les protestations doivent être encouragées. Le potentiel des manifestations va au-delà de l’élimination de M. Netanyahou ou de ses alliés extrémistes Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich; il s’agit d’un changement dans la psyché israélienne.
De nombreux Israéliens prennent conscience que le régime des colons menace de s’emparer de leur pays. Le système des colons ne peut plus se limiter à la Cisjordanie. Il ne s’agit plus d’un phénomène qui peut être ignoré alors que les gens sont heureux de vivre dans un État moderne et des villes comme Tel-Aviv. Il les hante dans leurs maisons. Le pays se divise en pro et anti-Netanyahou. Un ami américain, témoin de la tourmente, m’indique que des fanatiques pro-Netanyahou bloquent l’entrée des quartiers et des kibboutzim anti-Netanyahou. Il décrit la situation comme «instable» et «préoccupante», ajoutant que nombre de ses proches vivant en Israël envisageaient de s’installer en Europe ou aux États-Unis.
Les Israéliens commencent à comprendre qu’ils ont créé un monstre qui revient les hanter. Le sujet ne concerne pas uniquement les Palestiniens, leur liberté ou leur dignité. Il touche aussi à l’identité israélienne. Par ailleurs, les Israéliens commencent à se rendre compte qu’ils perdent le respect de la communauté internationale. On commence à parler de terrorisme israélien. Les États-Unis ont décrit l’attaque des colons israéliens au cours de laquelle un adolescent palestinien a été tué comme du terrorisme. La dernière chose que veulent les Israéliens, c’est d’être stigmatisés comme terroristes.
«Les colons ne se soucient guère qu’Israël devienne un ghetto. Cependant, les Israéliens ordinaires ne veulent pas vivre dans un ghetto; ils veulent être acceptés et normalisés.»
Dr Dania Koleilat Khatib
Les Américains commencent à critiquer Israël et à mettre en avant les droits des Palestiniens. Les sénateurs démocrates américains Tim Kaine et Chris Van Hollen ont publié une déclaration affirmant que toute normalisation avec l’Arabie saoudite devrait être liée au droit de la Palestine à un État, faisant ainsi écho aux exigences à long terme du Royaume. Le groupe de pression American Israel Public Affairs Committee (Aipac) ne peut plus inciter les députés américains à visiter un pays imaginaire où ils voient que tout va bien et à rencontrer des Palestiniens triés sur le volet qui répètent le conte de fées de l’Aipac sur Israël. Non, les Américains voient désormais l’horrible vérité: des gens comme MM. Ben-Gvir et Smotrich n’éprouvent aucune honte à exposer leurs dangereux objectifs.
Les manifestations en Israël et leur récit en évolution marquent le début d’un changement dans la mentalité israélienne. Les Israéliens commencent à se regarder dans le miroir et à se demander: qui sommes-nous? Sommes-nous une démocratie ou une théocratie autoritaire? Alors que les Israéliens sont confrontés à cette prise de conscience, il est temps d’ouvrir le débat sur l’occupation et de faire comprendre que la démocratie ne peut être maintenue en présence d’une occupation. La démocratie est intrinsèquement inclusive et ne peut pas se limiter exclusivement aux citoyens juifs d’Israël. C’est pour cette raison que le discours public en Israël, ainsi qu’aux États-Unis, devrait se concentrer sur le fait que le mouvement des colons, et non le Hamas ou l’Iran, constitue la plus grande menace existentielle pour le pays. Il est important de souligner que les activités auxquelles se livre le nouveau gouvernement – les implantations, les visites provocatrices au Haram al-Sharif (esplanade des mosquées) qui compromettent le statu quo à Jérusalem-Est – rendront impossible toute négociation de paix avec le monde islamique. Les Israéliens veulent-ils cela? Recherchent-ils l’animosité avec l’ensemble du monde musulman? Souhaitent-ils être accusés de terrorisme? Telles sont les questions qui devraient figurer dans le discours public israélien.
Les colons ne se soucient guère qu’Israël devienne un ghetto. Cependant, les Israéliens ordinaires ne veulent pas vivre dans un ghetto; ils veulent être acceptés et normalisés. C'est sur ce point que le lien entre l’occupation et la menace des colons contre l’État d’Israël frappe la psyché israélienne. C’est une très bonne nouvelle pour les Palestiniens et pour une solution potentielle au conflit israélo-palestinien. Il est désormais temps de réactiver l’initiative de paix arabe et de la présenter comme une solution pour Israël. Elle ne doit pas être présentée uniquement comme un plan qui permettra aux Israéliens de vivre côte à côte avec les Palestiniens en paix, mais comme un plan qui permettra aux Israéliens de vivre en paix en général.
Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying. Elle est chercheuse affiliée à la Hoover Institution, Stanford, et présidente du Research Center for Cooperation and Peace Building, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com