Menacés par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et l’Union africaine, à demi-mot par la France, rappelé à l’ordre par les États-Unis, les putschistes sont donc restés fermes sur leurs positions. Avec le total soutien du Mali, du Burkina et de la Guinée, la situation a pris un tour guerrier inattendu. Du coup, ressurgissent les griefs contre le néocolonialisme. Qu’en est-il sur le terrain, dans les officines diplomatiques, et surtout… économiques? Les richesses de l’Afrique, dit-on, suffiraient à faire décoller économiquement le continent entier, si elles n’étaient pas, si elles n’avaient pas été accaparées par les pays anciens colonisateurs, la France en tête, avec la connivence, certes, de quelques élites autochtones. Et que dire des positions singulières de l’Algérie, qui a déjà massé des troupes à la frontière avec le Niger, et qui appelle au respect de l’ordre constitutionnel. La Russie, pour sa part, continue d’appeler au «dialogue».
La Cédéao, qui a brandi la menace d’une intervention armée, avait donné aux putschistes un ultimatum: libérer le président Bazoum, démocratiquement élu, et rétablir le pouvoir. Et ce, au plus tard le 6 août (dimanche). Bola Tinubu, le président du Nigeria, président en exercice de la Cédéao, s’est montré, selon les termes du journaliste béninois Francis Laloupo, «intransigeant envers la défense de la démocratie et contre les coups d'État militaire» (1).
Quelques chiffres
Les Forces en présence (2)
Cédéao: 245 000 soldats, dont Nigeria: 200 000.
Niger (les Putschistes): 57 000 (en 2022, le pays en comptait 30 000, chiffre que le président Mohamed Bazoum promettait de porter à 50 000).
Côte d’Ivoire: 30 000; Mali: 21 000.
Sénégal (environ): 15 000; Burkina Faso: 6 000.
2020, 2022, 2023: trois coups d’État en trois ans (Burkina, Mali, Niger), voilà de quoi bouleverser la donne, en effet, et à l’échelle régionale, voire mondiale, si l’on ajoute une autre intransigeance, celle des États-Unis: quand on se souvient qu’en mars dernier, lors de sa visite à Niamey, Anthony Blinken avait encensé le Niger, sous la présidence de Bazoum, en le qualifiant de «modèle de résilience, de démocratie et de coopération», on comprend la réaction du secrétaire d’Etat américain qui n’aura pas tardé à assurer le président déchu du «soutien inébranlable des États-Unis».
Le plus étonnant, dans un tel contexte de coup d’État, c’est que le président incarcéré a eu le temps et l’occasion d’écrire une longue lettre à ses «amis» américains, lettre qu’a aussitôt publiée le Washington-Post! Et dans cette lettre, Mohamed Bazoum écrit, notamment: «En cette heure de besoin, j'appelle le gouvernement américain et l'ensemble de la communauté internationale à nous aider à rétablir notre ordre constitutionnel. Lutter pour nos valeurs communes, notamment le pluralisme démocratique et le respect de l'État de droit, est le seul moyen de progresser durablement contre la pauvreté et le terrorisme. Le peuple nigérien n'oubliera jamais votre soutien en ce moment charnière de notre histoire.»
«Lutter contre le terrorisme, c’est pourtant le principal argument du chef des putschistes, le général Abdourahmane Tchiani, qui, en même temps que certains accords commerciaux, a dénoncé «l’attitude désinvolte de la France» face aux djihadistes, sinon l’insuffisance de son engagement. Côté diplomates, nombre d’ambassadeurs du Niger ont été rappelés à Niamey. Celui siégeant à Washington, Kiari Liman-Tinguiri, a appelé la junte à «revenir à la raison», ajoutant: «Si le Niger s’effondre, c’est d’abord tout le Sahel qui s’effondre (…), et vous aurez Wagner et les djihadistes qui contrôleront l’Afrique de la côte à la Méditerranée» (3). L’ambassadrice à Paris, Aïchatou Boulama Kané, s’est complètement désolidarisée des putschistes, et a carrément refusé de quitter son poste, affirmant: «Je suis toujours l’ambassadrice du président légitime Bazoum Mohamed». La junte a par ailleurs mis fin aux fonctions des ambassadeurs du Niger aux États-Unis, au Nigeria et au Togo.
Faisant fi des menaces, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), représentant la junte, a décrété la suspension de tous les accords de coopération dans le domaine de la sécurité et de la défense avec la France, et, par ailleurs, a suspendu la diffusion de France-24 et de RFI.
Les États-Unis ont stoppé leurs programmes d’aide au gouvernement. Sur France-Info, le 5 août, veille du jour de l’ultimatum lancé par la Cédéao, la ministre des Affaires étrangères française, Catherine Colonna, a estimé qu’il faut prendre au sérieux la menace d’intervention, et que si la France ne participera pas au plan éventuel de ladite «Communauté économique», le départ des forces françaises au Niger (1 500 hommes) «n’est pas à l’ordre du jour», alors qu’il est réclamé par les putschistes. Le même jour, sur les mêmes ondes, Peter De Jong, spécialiste de géopolitique et ancien colonel de la Marine (française), livra un point de vue qui explique peut-être la prudence de la France: selon lui, «Ce coup d'État au Niger, c'est vraiment un piège qui est tendu à l'Armée française et à l'État français.» Et de préciser: «On risque d'avoir des forces de Wagner en face de nous, donc ce n'est pas une petite armée nigérienne qui éventuellement se défendrait.» Voire: «On risque d'avoir face à nous l'État russe qui va se précipiter dans la brèche»!... En fait, le vrai «risque» est ailleurs, et c’est le même spécialiste qui le suggère: au Niger, le sentiment antifrançais est tel qu’une participation de la France (à l’éventuelle attaque de la Cédéao) «accentuerait cette prise de conscience que la France, l'ancien colonisateur, pour la IXe fois, intervient en Afrique». Voilà qui est clair. Plus clair, encore, le diagnostic délivré dimanche sur la chaîne CNews, par le général Brunot Clermont, consultant de son état, un diagnostic ou plutôt une profession de foi: «Intervenir pour sauver un gouvernement légitime n’est pas de l’ingérence!»
Samedi, au Nigeria, principale force de la Cédéao, une partie du Sénat s’opposa fermement à toute opération militaire. Et le lendemain, dimanche 6 août, l’ultimatum passa, sans que la profession de foi ne connût sa confirmation. À Niamey, 30 000 partisans du putsch avaient envahi le stade Seyni-Kountché, en soutien au CNSP.
Depuis Bamako, l'armée malienne a annoncé, lundi 7 août, l'envoi à Niamey par le Mali et le Burkina Faso d'une délégation officielle, conduite par l’homme fort de le la junte malienne, Abdoulaye Maïga, pour «témoigner de la solidarité des deux pays au pays frère». Bien plus tôt, c’est Alger qui qualifia le Niger de «pays frère». La fraternité ne manque pas sur le continent, même entre… «frères ennemis»: la Côte-d’Ivoire, le Sénégal et le Nigeria en tête seraient prêts à en découdre avec Niamey. Sauf qu’aucun pays, même membre de la Cédéao, n’a les moyens de sa politique étrangère. Sans en être membre, l’Algérie, qui partage plus de 900 km de frontière avec le Niger, refuse toute intervention militaire. C’est ce que le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, a clairement rappelé à l’envoyé spécial du président du Nigeria, Ahmed Tinubu, également président, faut-il rappeler, de la Cédéao. Autant dire que la partie d’échec est en suspens. S’il y a échec et mat, pour l’heure, il est impossible de dire qui est le «cheikh» (4).
Aux dernières nouvelles, le Premier ministre nigérien, Ouhoumoudou Mahamadou a affirmé, sur TV5-Monde, que des militaires du CNSP ont demandé à la délégation de la Cédéao de «revenir « à Niamey.
(1) France TV Info
(2) Midi Libre
(3) TV5 Monde
(4) Allusion à la formule «Échec et mat», qui vient de l’arabe «El-Cheikh mat», «Le Cheikh est mort» («Cheikh» mis pour «Shah», i.e «Roi»).
Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).
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