Les dirigeants de l’Union Européenne (UE) ont reporté les discussions au sujet de l’imposition d’un éventuel embargo sur les armes contre la Turquie au sommet prévu en mars 2021. La chancelière allemande, Angela Merkel, a déclaré, après la réunion vendredi, que l'Union a consenti à appliquer des sanctions limitées contre les Turcs impliqués dans des activités d'exploration pétrolière dans l'est de la Méditerranée, mais qu’elle préfère reporter pour l'instant toute mesure plus dure.
Angela Merkel a usé de ses compétences comme de son influence en tant que présidente de session du Conseil européen pour organiser cet ajournement, et a ainsi adroitement navigué autour de trois questions délicates. D’abord, elle concède ainsi que c’est l'Otan, plutôt que l'UE, qui serait le théâtre le plus adéquat pour attaque les dossiers des armes et du matériel militaire. Deuxièmement, elle rappelle que la discussion serait nettement plus éclairée avec l’administration Biden, qui doit prendre les rênes présidentielles en janvier, car la position des États-Unis à l’égard des sanctions contre la Turquie viendra compléter celle de l’UE. Et enfin, il serait plus convenable de débattre d’un aspect fondamental de la relation avec Erdogan dans un forum où sa présence lui accorde une chance de se défendre.
La Grèce, Chypre, la France et l'Autriche, qui tentaient de bloquer d’éventuelles ventes d'armes à la Turquie, ont donc été déboutées.
Ces débats coïncident avec deux autres développements clés. Le premier est l'adoption par le Congrès américain de sanctions Caatsa, appelées ainsi en vertu de la loi intitulée «Countering America's Adversaries Through Sanctions Act», envers à la Turquie. Le Sénat a voté pour ces mesures à la majorité des deux tiers, ce qui signifie que le président sortant se trouvera dans l’incapacité d’y opposer son veto. Trump devra choisir à présent au moins cinq des douze sanctions proposées dans la loi. Cela n'aura pas d'effet dévastateur sur Ankara, car le président sortant ne devrait vraisemblablement pas opter pour les mesures les plus sévères. Les effets négatifs ne manqueront pas de se faire sentir sur l’image de la Turquie sur la scène internationale cependant, et les sanctions vont certainement décourager les investissements étrangers.
L’autre développement, positif quant à lui, émane du secrétaire général de l'Otan. Jens Stoltenberg a en effet lancé ce mois-ci une initiative importante baptisée «Otan 2030». L'alliance de l'Atlantique Nord a toujours adapté son concept stratégique à l'évolution des réalités et des défis géopolitiques, et la dernière modification de ce genre a été réalisée en 2010. Stoltenberg compte soumettre une nouvelle stratégie au sommet de l'Otan, prévu pour le printemps 2021.Toute amélioration de l'Otan met en valeur parallèlement l'image de la Turquie en sa qualité de membre éminent de l'Alliance, et qui détient la plus grande armée au sein de l’Alliance après les États-Unis.
La contribution la plus importante à l'initiative de Stoltenberg est un rapport d’experts intitulé «Otan 2030: ensemble pour une nouvelle époque». Les auteurs ne sont pas que de simples experts, et comptent entre autres d’anciens ministres et des diplomates. Coprésidé par l'ancien ministre allemand de la Défense, Thomas de Maizière, et l'ancien diplomate américain, Wess Mitchell, le groupe comprend aussi l'ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine, ainsi que dix autres membres prestigieux.
L'alliance de l'Atlantique Nord a toujours adapté son concept stratégique à l'évolution des réalités et des défis géopolitiques, et la dernière modification de ce genre a été réalisée en 2010.
La nouvelle stratégie lève les voiles de l’Alliance vers de nouvelles régions où la Turquie est déjà active, comme le Moyen-Orient, la Libye, la Méditerranée orientale et le Caucase. La Chine apparaît aussi sur le radar de la nouvelle stratégie de l’Otan, et la Turquie détient des intérêts de taille dans la province du Xinjiang, où réside une très grande communauté ouïghoure. Les ouïghours entretiennent des liens ethniques, culturels et linguistiques étroits avec les Turcs.
La nouvelle stratégie de l’Otan propulse la Turquie davantage sous la lumière des projecteurs. Mais un malaise subsiste au sein de L’Organisation, avec Ankara qui achète le système de défense antimissile S-400 de fabrication russe, sa coopération avec la Russie dans le cadre du processus Sotchi- Astana sur la Syrie, et sa confrontation et sa coopération alternées avec Moscou à Idlib et en Libye. À cela s’ajoute bien sûr la Russie qui s’éclipse du Groupe de Minsk, qu’elle copréside avec la France et les États-Unis, au sujet du conflit au Haut-Karabakh afin de coopérer avec Erdogan.
Stoltenberg a appelé l'UE à souligner l'importance de la Turquie en tant qu'allié, à la veille de la réunion de l'UE de la semaine dernière, et qui devait débattre des divers aspects de la relation d’Ankara avec le Bloc, dont l'interdiction potentielle de ventes d'armes. Et quoiqu’il reconnaisse l'existence de conflits et de désaccords, il a affirmé que «nous devons réaliser sans l’ombre d’un doute l'importance de la Turquie comme membre de l'Otan et de la famille occidentale».
Le contraste est saisissant entre les perceptions de la Turquie dans ces deux organisations occidentales si différentes, alors qu’elles sont pratiquement composées des mêmes pays.
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s’est exprimé sur le sursis avant la décision de l'UE, et a déclaré: «Ils ne pourront rien faire en mars non plus». Sa nonchalance suit son expérience. À chaque fois que des pays occidentaux ont imposé un embargo à la Turquie au sujet d’armes ou de matériels militaires, l’industrie de défense turque a traditionnellement fini par s’investir dans ce domaine spécifique. La même chose risque de se reproduire bientôt, permettant aux usines de l’agile industrie de défense en Turquie de rouvrir leurs portes.
Yasar Yakis a été ministre des Affaires étrangères en Turquie; il est membre fondateur du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir.
Twitter: @yakis_yasar
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com