L’approche du laissez-faire que la plupart des gens ont adoptée en apprenant que juillet était le mois le plus chaud jamais enregistré au monde, et peut-être le plus chaud depuis 120 000 ans, devrait nous inquiéter autant que l’information elle-même.
Au lieu de prendre davantage conscience de l’urgence de la situation et de donner la priorité à la planification stratégique, la plupart des gens ont abordé la nouvelle comme s’il s’agissait d’une autre planète et non de la seule que nous ayons. Il s’agit d’un acte suicidaire de déni et de refus obstiné de changer nos comportements et nos habitudes, ce qui menace l’humanité et la planète elle-même de cataclysme.
À une époque où le monde a besoin de quelque chose qui rappelle ce que les Britanniques qualifient d’«esprit du Blitz» et un leadership de première ligne en matière de changement climatique, la réaction générale ressemble davantage aux derniers jours de Pompéi.
Ce qui défie toute logique, c’est que nous savons maintenant exactement à quelle menace nous sommes confrontés en raison du changement climatique. Nous savons depuis longtemps qui/ce qui en est la cause et ce qu’il faut faire à ce sujet. Nous sommes également plutôt bien informés en ce qui concerne les conséquences si nous ne prenons pas les mesures nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique.
Il est également vrai que les températures dans le sud de l’Europe ont atteint 45 degrés Celsius cet été et déclenché de violents incendies de forêts en Grèce, en Italie et en Espagne. Il y a également eu des incendies de forêts similaires aux États-Unis et au Canada. Ceux-ci ont également entraîné la perte de vies, de biens et de moyens de subsistance et le déplacement de nombreuses personnes, mais les gouvernements se concentrent encore rarement sur le changement climatique. Et les rares fois où ils le font, ce n’est généralement pas de manière constructive.
À ce rythme, il est à craindre que les températures moyennes mondiales aient déjà dépassé –même si de manière temporaire et en partie à cause du phénomène El Nino – l’objectif du redoutable 1,5 degré Celsius au-dessus des niveaux préindustriels.
Bien que le changement climatique nous affecte tous, ce sont bien sûr les plus vulnérables de la société, à savoir les personnes âgées, les enfants, les personnes malades ou handicapées, ainsi que les pauvres, qui sont les plus touchés. Pourtant, le débat politico-socio-économique autour du réchauffement climatique continue de faire fi de cette montagne d’éléments de preuves indiscutables.
En Occident, région responsable d’une grande partie des émissions mondiales de gaz à effet de serre, cela reste une question politique très controversée, qui est cyniquement exploitée par certains pour gagner des voix ou détournée par d’autres pour des raisons idéologiques, y compris religieuses.
Certains représentants du peuple n’ont pas le courage de présenter aux électeurs un tableau complet et inquiétant, ni une vision cohérente et convaincante des véritables possibilités qui pourraient découler d’une prise en main du problème.
Lors de deux récentes élections partielles britanniques, au cours desquelles le changement climatique n’a joué aucun rôle significatif pendant la campagne, les conservateurs ont définitivement perdu les deux sièges. Pendant ce temps, à l’approche d'une élection partielle dans une circonscription de l’Outer London, ils ont déployé tous les efforts possibles pour attaquer le maire travailliste de Londres, Sadiq Khan, pour avoir imposé une politique qui pénalise les conducteurs dont les voitures ne respectent pas les normes de faibles émissions. En conséquence, ils ont réussi à s’accrocher au siège de justesse.
Cela montre que le climat sera un champ de bataille majeur lors des élections générales de l’année prochaine au Royaume-Uni, les conservateurs accusant peut-être les travaillistes de mener une guerre contre les automobilistes – même s’ils sont bien conscients que la zone à très faibles émissions, qui a été mise en place par l’ancien chef conservateur Boris Johnson lorsqu’il était maire de Londres, améliore la qualité de l’air et sauvera ainsi des milliers de vies chaque année.
Cependant, il est important pour les travaillistes non seulement d’introduire des politiques punitives pour ce qui est du climat, en particulier pendant la crise actuelle du coût de la vie mais aussi des solutions de rechange et des subventions abordables.
«Bien que le changement climatique nous affecte tous, ce sont bien sûr les plus vulnérables de la société, à savoir les personnes âgées, les enfants, les personnes malades ou handicapées, ainsi que les pauvres, qui sont les plus touchés ».
Yossi Mekelberg
L’un des principaux efforts déployés par l’UE pour parvenir à zéro émission nette de dioxyde de carbone est de remplacer les chaudières à gaz par des pompes à chaleur. Il a été mal planifié et exécuté, ce qui a entraîné une réaction politique qui a divisé les opinions.
Aux États-Unis, pendant ce qui est connu comme l’une des pires périodes de politique contradictoire de l’histoire du pays, Ron DeSantis, un républicain qui aspire à s'installer à la Maison Blanche, a lancé sa campagne présidentielle en déclarant qu’il rejetait «la politisation du temps».
Ce faisant, il a commodément ignoré les effets néfastes du changement climatique dans son État d’origine, la Floride, où, en tant que gouverneur, il a présenté des projets de loi interdisant aux villes d'adopter des objectifs d’énergie propre à 100%.
Même dans un Canada des plus progressistes, le premier ministre Justin Trudeau a du mal à concrétiser ses plans de grande envergure pour atteindre l’objectif zéro émission nette.
Alors que le temps presse et que nos chances de contenir le changement climatique s’amenuisent, il devient de plus en plus évident qu’il n’y a plus de place pour des ajustements progressifs, ou même pour essayer de construire un consensus entre des politiciens profondément enracinés. C’est indispensable que nous mobilisions toutes les personnes dotées d’un sens de l’intégrité et des responsabilités pour mettre de côté leurs divergences partisanes. Leur modèle devrait être similaire à la réponse à la pandémie de Covid-19 ou à la guerre en Ukraine.
L’histoire nous enseigne que dans les États démocratiques, en temps de paix, il est presque impossible de parvenir à un consensus sur les grandes questions, aussi urgentes ou cruciales soient-elles, à l’exception peut-être des pandémies.
Des sacrifices douloureux et la capacité de mobiliser l’ensemble de la société pour surmonter une grave menace ou une autre crise exigent que nous adoptions une attitude belliqueuse, de peur de devoir faire face à la mort.
Parce que l’humanité a négligé le développement durable pendant plus d’une génération, la situation est en effet devenue de nature belliqueuse et doit être traitée comme telle. Les gouvernements et les oppositions doivent trouver un terrain d’entente et se concerter.
Tragiquement, c’est exactement le contraire qui se produit, ce qui rend si difficile la recherche et la mise en œuvre de solutions rentables et abordables pour le plus grand nombre de personnes possible. L’environnement est devenu un outil pour marquer facilement des points en politique pour ceux qui tiennent plus à remporter des élections qu’à sauver la planète.
La lutte contre le changement climatique ne devrait pas seulement consister à taxer les gens et à faire peur, mais à construire un nouvel agenda mondial et durable.
Bien sûr, la mission première est d’empêcher une catastrophe mondiale. Mais parallèlement à cela, nous devons également présenter une vision passionnante d’une nouvelle économie et d’une société verte dans lesquelles de nouveaux emplois mieux rémunérés sont créés et dans lesquels notre air, nos terres et nos océans sont plus propres. Par ailleurs, il faut que la qualité et l’espérance de vie soient améliorées, que les gens ne soient pas obligés d’abandonner leur maison à cause d’incendies ou d’inondations et que la biodiversité soit préservée. Il existe de nombreux exemples pour démontrer que cela est non seulement souhaitable mais également possible.
Feu le politicien travailliste britannique Tony Benn a dit un jour qu’il divisait les politiciens en deux catégories: les «panneaux de signalisation» et les «girouettes». Les premiers restent fidèles à leurs valeurs, principes et vision du monde. Les autres «n’ont pas d’opinion tant qu’ils n’ont pas consulté les sondages, participé à des groupes de discussion et discuté avec les doreurs d’image».
Dans le contexte d’une crise aussi importante que le changement climatique, nous avons besoin que les responsables dirigent avec détermination mais, malheureusement, il y a trop de girouettes. Il est extrêmement important que tous les panneaux de signalisation apparaissent, parlent aussi fort que possible et nous montrent le chemin.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.
Twitter: @Ymekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com