L'accord entre l'Arabie saoudite et l'Iran, négocié par la Chine, a été un rappel à l'ordre important pour les États-Unis. L'importance de l'accord de mars dernier va au-delà de la normalisation entre les deux ennemis régionaux – il suppose également que le rôle de Pékin dans le Golfe s'accroît. Les États-Unis ne veulent absolument pas que la Chine devienne le nouveau garant de la sécurité dans la région.
Si les pays du Moyen-Orient commençaient à accepter le yuan pour leurs exportations de pétrole vers la Chine, ce serait un nouveau coup dur pour les États-Unis. Jusqu'à présent, rien n'indique clairement que le pétroyuan remplacera le pétrodollar, mais la question est évoquée, ce qui constitue en soi une menace pour l'hégémonie des États-Unis sur le marché pétrolier et la suprématie du dollar américain en tant que monnaie de référence mondiale. Il s'agirait donc non seulement d'un revers pour l'influence américaine au Moyen-Orient, mais aussi d'un repli pour Washington dans sa compétition avec la Chine. Alors que le discours américain signalait auparavant son désengagement de la région, nous voyons soudain les États-Unis s’activer à nouveau pour courtiser l'Arabie saoudite.
Ce que nous constatons, c'est un optimisme excessif de la part des Américains concernant un accord de normalisation israélien avec le monde musulman. L'Arabie saoudite, en particulier, a toujours placé la Palestine au centre de toute négociation de normalisation avec Israël. En 2002, elle a lancé l'initiative de paix arabe qu'Israël a rejetée. L'Arabie saoudite est également le centre du monde islamique, d'où son soutien à la cause palestinienne – une cause qui a pris une importance centrale dans le monde islamique.
Thomas Friedman, dans le New York Times de la semaine dernière, a supposé que Joe Biden contraindrait Israël à faire des concessions et que Benjamin Netanyahou abandonnerait ses alliés d’extrême droite pour les remplacer par des alliés plus modérés. Toutefois, il s'agit probablement d'un vœu pieux et d'une surestimation de l'influence des États-Unis sur Israël.
Tout d'abord, M. Netanyahou se préoccupe davantage de ses électeurs que des États-Unis ou de toute autre puissance étrangère. Le Premier ministre israélien ne cherchera pas à plaire à l'Amérique au détriment de sa base électorale. C'est sa base électorale qui lui a permis d'accéder au poste de Premier ministre, et non les États-Unis. Un autre problème est que Washington, comme l'a révélé M. Friedman – qui est censé être proche de l'administration Biden –, s'attend à ce que Benjamin Netanyahou change de cap. Dans cette perspective, ses alliés devront être convaincus de l'importance d'une normalisation avec le monde musulman et le relayer auprès de leurs électeurs. C'est improbable.
Pour les colons, les factions extrémistes et les personnes dogmatiques en Israël, l'acquisition de la terre qu'ils prétendent que Dieu leur a donnée est bien plus importante que la normalisation avec les pays musulmans. Un colon mû par son idéologie est probablement bien plus intéressé par Hébron que par la liberté de voyager dans ces pays.
L'autre hypothèse de Thomas Friedman est que M. Netanyahou peut faire changer d'avis ses alliés. Ce n'est pas aussi facile qu'il y paraît. Si Benjamin Netanyahou rompt avec ses alliés, il perdra sa majorité et le pays devra organiser de nouvelles élections. Et il ne sera pas forcément en mesure d'obtenir le soutien des factions les plus modérées. Il s'est allié à Itamar Ben-Gvir, Bezalel Smotrich et leurs semblables uniquement parce qu'il était prêt à tout pour obtenir la majorité et redevenir Premier ministre. S'il perdait le pouvoir maintenant, il pourrait aller en prison. M. Netanyahou prendra-t-il ce risque?
Le Premier ministre israélien ne cherchera pas à plaire à l'Amérique au risque de mécontenter sa base électorale.
Dania Koleilat Khatib
Il ne faut pas oublier que la coalition de Benjamin Netanyahou a remporté les dernières élections avec une marge relativement faible. Son bloc a obtenu 2,36 millions de voix, tandis que le camp anti-Netanyahou a pu recueillir 2,33 millions de voix, soit une différence de seulement 30 000 voix. Certains membres du camp de l'opposition estiment que la victoire de M. Netanyahou peut être attribuée à leurs propres erreurs, car ils étaient désorganisés et n'avaient pas de discours cohérent. Leur défaite a également été attribuée au fait que l'ancien Premier ministre, Yaïr Lapid, n'a rien donné de tangible à ses électeurs. Alors que M. Lapid a évoqué la paix avec les Palestiniens, il n'a pris aucune mesure sérieuse en ce sens.
Si le pays devait à nouveau se rendre aux urnes aujourd'hui, le camp anti-Netanyahou pourrait l'emporter, notamment en raison de la réforme judiciaire qui a bouleversé un grand nombre d'Israéliens. La seule alternative qui pourrait empêcher de nouvelles élections serait que Benjamin Netanyahou rompe avec MM. Ben-Gvir et Smotrich et les remplace par Yaïr Lapid et Benny Gantz. Se rallieraient-ils à lui ? J'en doute. Comme nous l'avons dit, ils auraient une chance de gagner seuls si de nouvelles élections étaient organisées.
On surestime également l'ampleur des pressions que les États-Unis peuvent exercer sur Israël, en particulier dans le monde arabe. Israël reçoit chaque année 3,8 milliards de dollars (1 dollar = 0,91 euro) d'aide des États-Unis. Mais Israël pourrait très bien se passer de cette aide. L'autre aide que les États-Unis offrent à Israël est leur droit de veto au Conseil de sécurité des nations unies, un drapeau que l'oncle Sam agite chaque fois qu'une résolution condamnant Tel-Aviv est proposée. Toutefois, lorsqu'une résolution condamnant les colonies illégales d'Israël n'a pas fait l'objet d'un veto de la part de l'administration Obama, il ne s'est rien passé.
Plus important encore, du point de vue de la sécurité, Benjamin Netanyahou n'a pas besoin de faire la paix avec les Palestiniens.
Dania Koleilat Khatib
L'autre avantage pour Israël pourrait être les bénéfices économiques qui peuvent découler de la normalisation avec les pays musulmans. Cependant, Israël est déjà une nation prospère, avec un produit intérieur brut (PIB) par habitant de 55 540 dollars, le plus élevé du Moyen-Orient après le Qatar. La normalisation ajouterait probablement à cette prospérité. Ce serait la cerise sur le gâteau, mais elle n'est pas essentielle à la croissance économique du pays. Israël a une économie dynamique et entretient des relations commerciales avec la plupart des pays du monde. Encore une fois, pourriez-vous persuader le colon convaincu que quelques milliards de dollars en plus du PIB du pays valent la peine de renoncer à la Cisjordanie? Pas vraiment.
Plus important encore, du point de vue de la sécurité, M. Netanyahou n'a pas besoin de faire la paix avec les Palestiniens. Il peut les contenir par des mesures coercitives. Alors que le camp anti-Netanyahou, favorable à la paix, met en garde contre l'éventualité d'une troisième intifada en l'absence d'un véritable règlement, la machine militaire israélienne a été en mesure de pacifier les Palestiniens, du moins pour l'instant. Il est donc peu probable que Benjamin Netanyahou fasse des concessions, ou du moins des concessions significatives qui permettraient de concrétiser le plan américain.
En fin de compte, M. Netanyahou est un survivant politique qui réfléchit d'un cycle électoral à l'autre et, pour l'instant, sa priorité numéro un est de conserver son poste de Premier ministre et d'éviter la prison.
- Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com