Le Parlement européen a publié ce mois-ci une proposition de résolution commune sur le Liban. La déclaration souligne «que les conditions ne sont pas réunies pour un retour volontaire et dans la dignité des réfugiés dans les zones de conflit en Syrie». Dans le même temps, la proposition reconnaît que la situation au Liban est désastreuse. Ce que l'on peut conclure de cette déclaration, c'est que l'Union européenne (UE) adopte une position attentiste, sans qu'aucune solution ne se profile à l'horizon. Cependant, cela ne fonctionne pas, car la situation n'est pas soutenable.
Le statu quo en Syrie fait que le pays est de facto divisé en trois zones. Dans le nord-est, la principale force est constituée par les Forces démocratiques syriennes (FDS), sous protection américaine. Dans le nord-ouest, l’organisation Hayat Tahrir al-Cham règne sous l'influence de la Turquie. Enfin, le reste du pays est aux mains du régime, sous influence iranienne ou russe.
La guerre en Ukraine a encore compliqué le conflit et aggravé la stagnation. L'Occident ne veut plus entamer de dialogue avec la Russie. Et depuis la mutinerie du patron de Wagner, Evgueni Prigojine, les dirigeants occidentaux ont l'impression que la Russie est gravement affaiblie, ce qui fait qu'ils ne voudront pas s'engager dans une négociation concernant la Syrie, dans laquelle Moscou se verrait accorder une légitimité et une importance.
En ce qui concerne Bachar al-Assad, bien que la communauté internationale ait le soutien de la résolution 2 254 du Conseil de sécurité des nations unies, personne n'a l'énergie ou la volonté d'utiliser son capital politique ou militaire pour la mettre en œuvre. Par conséquent, l'Europe respecte la résolution, mais elle ne fait rien pour la faire appliquer.
Sur la question de la Syrie, l'UE est confrontée à un dilemme. D'une part, elle se rend compte qu'il serait difficile de renverser M. Al-Assad et elle a donc renoncé à ce projet. D'autre part, Bruxelles sait qu'il n'y aura pas de stabilité tant que Bachar al-Assad sera au pouvoir. Aucune aide ne peut être confiée à M. Al-Assad. Tous les fonds injectés en Syrie serviront à consolider le régime et sa main de fer sur la population, et non à améliorer la situation des citoyens syriens.
Pour résoudre ce problème, l'UE estime que le maintien du statu quo est la meilleure option. L'idée est que les réfugiés resteront là où ils sont et que tout le monde attendra de voir ce qui se passera. La Russie s'affaiblit, la situation économique en Syrie se détériore et, à un moment donné, Bachar al-Assad devra faire des concessions. Toutefois, cette position relève davantage du vœu pieux que du réalisme.
Les Européens ne se rendent pas compte que la situation des réfugiés n'est pas viable. La Turquie renvoie déjà des réfugiés en Syrie. Alors que l'on pensait que la promesse du président, Recep Tayyip Erdogan, de rapatrier les réfugiés était un coup électoral, elle s'est révélée être une véritable politique. Alors que M. Erdogan a annoncé la semaine dernière qu'un million de réfugiés étaient rentrés «volontairement», divers témoignages dans les médias montrent qu'un grand nombre de ces retours pourraient avoir été subis. Quelle que soit la dynamique qui sous-tend cette campagne, une chose est très claire: la question des réfugiés n'est pas gérable.
Il en va de même pour le Liban. Il est vrai que les réfugiés ne sont pas la cause de la crise à laquelle les Libanais assistent, le désastre étant plutôt causé par eux-mêmes. Néanmoins, l'aversion envers les réfugiés a atteint un point tel qu'elle ne peut plus être contenue. Il faut s'y attaquer. L'UE ne peut plus ignorer le problème et penser qu'il peut disparaître. Elle doit sérieusement réfléchir à une solution, faute de quoi un affrontement est inévitable, ce qui entraînera une nouvelle vague de réfugiés sur les côtes européennes. L'Europe n'a absolument pas besoin de cela.
Toutefois, traiter avec Bachar al-Assad ou le reconnaître n'est pas une solution. Si l'Europe accepte M. Al-Assad, il risque d'utiliser cette reconnaissance comme un moyen d'extorquer des fonds à l'UE; des fonds qui ne serviront certainement pas à améliorer la vie du peuple syrien, mais plutôt à consolider son régime et à étendre son influence.
Jusqu'à présent, ceux qui ont normalisé leurs relations avec lui n'ont rien obtenu en retour. Le Captagon, la drogue mortelle, continue d'affluer vers les États arabes et le reste du monde. Cela signifie que l'Europe a besoin d'une dose de réalisme dans sa gestion du conflit syrien. La politique européenne à l'égard de la Syrie est en sursis – tôt ou tard, les Européens devront agir. Ils doivent adopter une véritable politique et non une tactique d'apaisement.
Les Européens ne veulent pas dialoguer avec les Russes à cause de la guerre en Ukraine. Cependant, les Européens devraient s'engager avec leurs alliés, ou du moins ceux avec qui ils peuvent discuter efficacement afin de parvenir à une solution. Ils devraient encourager le rapprochement entre l'Arabie saoudite et l'Iran et l’orienter vers un accord opérationnel sur la Syrie qui permettra le retour des réfugiés, tout en mettant en place un mécanisme pour contrôler et assurer leur retour en toute sécurité et dans la dignité.
L'UE estime que le maintien du statu quo est la meilleure option. Toutefois, il s'agit essentiellement d'un vœu pieux.
Dania Koleilat Khatib
L'Europe devrait également s'engager auprès de la Turquie et s'assurer que le gouvernement Erdogan, qui comprend le parti du mouvement nationaliste, fasse une concession et accepte une réconciliation avec le nord-est. À cet égard, la Turquie aurait besoin d'un avantage, car elle estime qu'elle peut utiliser des mesures coercitives pour garder les Kurdes de cette région sous son emprise. L'accord de 2016 entre l'UE et la Turquie prévoyait l'exemption de visa pour les ressortissants turcs dans l'espace Schengen. Mais cela n'a pas été le cas. Selon les Européens, la Turquie n'a pas respecté certains critères concernant les contrôles aux frontières et les droits de l'homme. Il est peut-être temps que l'UE donne à la Turquie cette motivation pour convaincre M. Erdogan et son gouvernement, en particulier ses alliés ultranationalistes, des avantages d'une normalisation avec le nord-est de la Syrie.
Cependant, le point de départ de toute politique pragmatique que l'UE pourrait adopter est la prise de conscience que la situation actuelle des réfugiés dans les pays voisins n'est pas viable.
Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com