Les mauvaises nouvelles s’enchaînent. À la fin du présent mois, le mandat du gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, arrive à son terme. Le gouvernement démissionnaire, présidé par Najib Mikati, n’a pas réussi son pari: prolonger le mandat du gouverneur sortant. Il n’est pas parvenu non plus à désigner un successeur.
De fait, après cette vacance au sommet de l’État qui dure depuis presque dix mois, voilà le Liban confronté à une autre vacance, au sommet du secteur financier cette fois. Ce dernier est en effet en proie à une crise sans précédent qui dure depuis plus de trois ans. Pour sa part, M. Salamé a confirmé mercredi soir lors d’une interview télévisée son départ définitif de la Banque centrale. Il était à la tête de cet établissement depuis trois décennies et quitte son poste en laissant derrière lui un bilan bien mitigé.
Adulé pendant de longues années M. Salamé est devenu après la crise financière de 2019 la cible de critiques virulentes. On lui attribue la responsabilité de la faillite du secteur bancaire, de la chute vertigineuse de la monnaie nationale et des pertes dramatiques qu’ont subies dans les banques les déposants, qui ont assisté, impuissants, à la perte de leurs avoirs. Les accusations formulées par les détracteurs de Salamé se concentrent sur le fait que, en tant que gouverneur de la Banque centrale, il ait consenti des prêts en dizaines de milliards de dollars à un État libanais non seulement en faillite, mais surtout rongé par une corruption généralisée.
La communauté chrétienne, qui voit son importance régresser sur l’échiquier du pouvoir au Liban - Ali Hamadé
Ces prêts ont été engloutis dans les méandres d’une administration gangrenée par une mauvaise gestion ainsi qu’un clientélisme politique sans limite. De son côté, M. Salamé défend son bilan et n’hésite pas à mettre en avant les chiffres qui ont marqué son apogée à la tête de la Banque centrale. Mais il peine à convaincre quand il s’agit de s’expliquer face aux accusations des justices française et allemande, qui l’accusent, lui et ses proches, d’avoir puisé dans les caisses de la Banque centrale à travers des commissions versées à une société qui appartient à son frère et lui. Cette manœuvre est à la fois considérée comme un délit d’initiés et un conflit d’intérêts.
Le poste stratégique de gouverneur de la Banque centrale est le deuxième à être frappé par la vacance après la présidence de la république. Ces deux fonctions vont, d’après le partage traditionnellement confessionnel du pouvoir, à des personnalités chrétiennes maronites. Or, ce vide est un précédent dans la vie nationale du pays. Il pourrait créer des remous dans les rangs de la communauté chrétienne, qui voit son importance régresser sur l’échiquier du pouvoir au Liban. Et pour cause: voilà dix mois que le Liban est sans président. Dans quelques jours, il n’aura pas non plus de gouverneur de la Banque centrale. Et l’on craint que, en fin d’année, au moment où le chef de l’armée, le général Joseph Aoun, partira à la retraite, un troisième poste clé du pouvoir et de l’assise chrétienne maronite ne subisse le même sort que les deux autres. Si cela devait se produire, nous serions confrontés à une situation particulièrement grave.
Face à ce scénario catastrophe – une forme de décapitation de l’État –, on a du mal à percevoir un signe de prise de conscience de la part des principales forces politiques libanaises. Ainsi, la descente aux enfers continue…
Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban.
Twitter: @AliNahar
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