Un nouvel intermédiaire semble indispensable pour sauver l’accord céréalier

Les céréales sont chargées à bord d’un cargo au port maritime d’Azov, dans la région de Rostov, le 22 juillet 2023 (Photo, AFP).
Les céréales sont chargées à bord d’un cargo au port maritime d’Azov, dans la région de Rostov, le 22 juillet 2023 (Photo, AFP).
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Publié le Jeudi 27 juillet 2023

Un nouvel intermédiaire semble indispensable pour sauver l’accord céréalier

Un nouvel intermédiaire semble indispensable pour sauver l’accord céréalier
  • La Russie a déclaré qu’elle ne renouvellerait pas l’accord étant donné que les sanctions occidentales lui interdisaient d’exporter suffisamment ses propres produits
  • Parmi les régions les plus touchées figureront le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Asie, puisque ce sont les principaux importateurs de céréales

La semaine dernière, la Russie a suspendu sa participation à l’accord qui donnait à l’Ukraine la possibilité d’exporter ses céréales par voie maritime. L’Initiative céréalière de la mer Noire, initialement négociée par l’ONU et la Turquie en juillet 2022 et prolongée de soixante jours en mai, a officiellement expiré à 17 heures, heure de l’Est, le lundi.

Selon l’accord, les navires ukrainiens pouvaient livrer les céréales à partir des ports de la mer Noire de Youjne, d’Odessa et de Tchornomorsk via le Bosphore sans être attaqués. Cependant, la Russie a déclaré qu’elle ne renouvellerait pas l’accord étant donné que les sanctions occidentales lui interdisaient d’exporter suffisamment ses propres produits. L’importance de l’accord sur les céréales pour la sécurité alimentaire mondiale apparaît cruciale et ce rebondissement est donc très préoccupant.

Cependant, on remarque certaines similitudes avec le mois d’octobre l’année dernière, lors duquel la Russie avait également suspendu sa participation à l’accord. Il convient d’examiner en quoi la situation est cette fois différente, de s’attarder sur les facteurs internes et externes de la stratégie ainsi que d’évaluer de quelle manière cette décision s’inscrit dans le cadre plus large de la guerre en Ukraine.

La conséquence la plus évidente de cette décision réside dans la forte hausse des prix des céréales. Lorsqu’elle a débuté, en juillet dernier, l’initiative a provoqué une baisse immédiate du prix du blé – qui a atteint 35% – en raison du redémarrage de l’approvisionnement. Avant l’entrée en vigueur de l’accord, en mars 2022, le prix avait atteint un sommet historique de 444 dollars la tonne (1 dollar = 0,91 euro). Deux jours après l’annonce par Moscou de sa décision de mettre fin à l’accord, le marché avait enregistré une hausse de 9% du prix du blé.

Une compréhension de la situation sur les marchés locaux de la Russie aide à percevoir les motivations nationales qui sont derrière cette décision. Les agriculteurs russes auraient enregistré des récoltes record en 2022. En mars, cependant, le début d’une lente campagne d’ensemencement s’est accompagné de signaux alarmants: la croissance record de l’année dernière a eu pour conséquence des céréales à prix bas et une forte augmentation des stocks, ce qui a exercé une pression sur le marché.

Selon le Service fédéral des statistiques de l’État russe, les stocks de blé dans les organisations agricoles de la Fédération de Russie s’élevaient en février à 17,3 millions de tonnes, soit près d’1,6 fois plus que l’année précédente. Il y a un an, les exportateurs achetaient du blé de catégorie 4 aux producteurs à 17 800 roubles la tonne (178 euros); en mars, ce prix est passé à 12 300 roubles (123 euros).

Pour les exportateurs, le problème réside à la fois dans la volatilité des devises et dans l’ajustement des droits d’exportation, qui se produit sur une base hebdomadaire. La demande est limitée par les quotas d’exportation, par la disparité des prix à l’exportation et par le prix de vente des céréales attendu par les producteurs agricoles. Les exportateurs, en raison des conditions qui prévalent et de la situation actuelle, ne peuvent pas proposer des prix d’achat raisonnables aux agriculteurs. La décision de la Russie de se retirer de l’Initiative céréalière de la mer Noire est vraisemblablement liée aux efforts qui visent à prévoir et à contrôler les prix futurs, ce qui rend les exportations à la fois plus durables et plus compétitives.

Une autre raison est externe: la détérioration des relations de la Russie avec la Turquie. Moins enthousiaste à l’idée d’établir des relations avec Ankara – pour qui la voie d’exportation de la mer Noire est extrêmement importante –, la Russie a moins de mal à mener une politique uniquement basée sur sa propre vision et sur ses propres objectifs.

Dans sa dernière analyse pour le Carnegie Endowment for International Peace, Ruslan Suleymanov, qui travaille à l’Institut pour le développement et la diplomatie de l’université ADA en Azerbaïdjan, affirme que depuis la victoire électorale de mai, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a progressivement déplacé les intérêts du pays vers l’Occident – et par conséquent vers Kiev. Les intérêts d’Erdogan sont liés à l’Occident, qu’il perçoit comme un investisseur potentiel, et sa tournée dans le Golfe la semaine dernière n’a fait que confirmer cette politique. Le soutien turc à l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan fait également partie de cette équation.

La décision de la Russie de se retirer de l’accord est vraisemblablement liée aux efforts qui visent à prévoir et à contrôler les prix futurs.

Dr Diana Galeeva

La Turquie et la Russie ont augmenté les enjeux de leurs relations depuis l’expiration de l’accord sur les céréales. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, avertit que l’expédition de céréales à partir des ports ukrainiens de la mer Noire pourrait être désormais risquée compte tenu de l’absence de garanties de sécurité russes, à la lumière des suggestions formulées par la Turquie d’intervenir pour protéger les expéditions.

Les effets possibles de la décision de la Russie ont des répercussions mondiales. Parmi les régions les plus touchées figureront le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Asie, puisque ce sont les principaux importateurs de céréales. Au cours de la période initiale de l’initiative humanitaire connue sous le nom de «Grain from Ukraine», de novembre 2022 à mars 2023, l’Ukraine a livré plus de 140 000 tonnes de blé aux pays africains. Ces dons ont été financés par la Norvège, l’Italie, la Belgique, la République tchèque et le Royaume-Uni. Cela a contribué à renforcer les relations avec les pays bénéficiaires de nombreux côtés – les donateurs, l’Ukraine et même la Russie, pour avoir permis au commerce de se poursuivre.

L’Ukraine et la Russie comptent parmi les principaux fournisseurs de blé au Moyen-Orient. Ces derniers temps, l’Ukraine s’est activement efforcée d'établir des liens solides avec le monde arabe. La présence du président Volodymyr Zelensky à la réunion de la Ligue arabe, au mois de mai, n’a fait que confirmer l’importance stratégique de la région à la fois en tant que débouché économique et influenceur politique dans de multiples sphères.

Par conséquent, on peut se demander dans quelle mesure l’Ukraine pourra répondre aux besoins de la région Mena, en termes de céréales notamment. La Ligue arabe devra peut-être évaluer les coûts potentiels compte tenu de la détérioration des relations avec Moscou, d’une plus grande coopération avec l’Ukraine ou, alternativement, des politiques que Moscou pourrait adopter pour consolider ses liens avec la région, y compris en tant qu’exportateur de céréales.

Enfin, l’expiration de l’accord survient le jour même où l’Ukraine a lancé une attaque contre le pont qui relie la péninsule de Crimée annexée au continent russe, connu sous le nom de «pont de Kertch», qui a une importance à la fois stratégique et symbolique pour Moscou. Une précédente attaque contre ce pont avait été menée en octobre dernier, lorsqu’un camion-citerne avait explosé. Commentant la décision de la Russie relative à l’accord sur les céréales, M. Peskov dit: «Il n’y a aucun lien entre les événements.»

Quoi qu’il en soit, certaines similitudes peuvent être relevées, puisque l’accord sur les céréales était également sur le point de s’effondrer en octobre et au début du mois de novembre. Cela a par ailleurs coïncidé avec la suspension par Moscou de son implication dans les attaques de drones contre la ville de Sébastopol. On ne sait pas si la Russie reprendra les négociations: on ignore qui pourrait servir de médiateur en termes de pourparlers étant donné la détérioration des relations entre Moscou et Ankara. C’est peut-être l’occasion pour les États du Golfe de montrer leur neutralité et leur force de persuasion.

En attendant, les seules certitudes sont que de nombreuses voix s’élèvent pour que l’accord soit rétabli et que de nombreuses personnes ordinaires à travers le monde puissent en ressentir les effets jusqu’à ce qu’un nouvel accord soit conclu.

La Dr Diana Galeeva est une intervenante académique au St. Antony’s College de l’université d’Oxford (2019-2022).

Twitter: @Dr_GaleevaDiana

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com