En littérature, le terme «roman épistolaire» désigne une œuvre de fiction écrite sous forme de lettres ou d'autres documents. À la veille de la récente rencontre entre les dirigeants de la Chine et de la Russie à Moscou, les chefs des deux États ont écrit des articles pour les journaux du pays de l’autre.
L'article du président russe Vladimir Poutine a été publié dans Jenmin Jibao (Quotidien du Peuple) et celui du président chinois Xi Jinping dans la Rossiyskaya Gazeta (Journal officiel russe).
À mon avis, nous pouvons appliquer le concept épistolaire à l'analyse des discours des dirigeants des deux États dans ces articles, qui peuvent être considérés comme des lettres aux peuples des deux nations ainsi qu'au monde. Je me concentrerai sur «l'épistolaire diplomatique» pour expliquer pourquoi Xi était à Moscou et quelle logique cela révèle dans les relations russo-chinoises.
Poutine a noté qu’il avait déjà rencontré Xi environ 40 fois et que la Russie associait «de grandes attentes» à la visite du dirigeant chinois.
«Il s’agit d’une excellente occasion pour moi de voir un bon vieil ami avec qui nous entretenons les relations les plus chaleureuses», a-t-il écrit.
Selon le président russe, les relations entre les deux pays «ont atteint le plus haut niveau de toute leur histoire et continuent de se renforcer».
Plus précisément, en termes de relations bilatérales, les échanges commerciaux vers la fin de 2022 entre les deux pays avaient doublé, a-t-il dit, et atteint 185 milliards de dollars, ce qui est un nouveau record. (1 dollar américain = 0,93 euro) Russie s'attend désormais à ce qu'elle dépasse la barre des 200 milliards de dollars non pas en 2024 - comme prévu précédemment - mais cette année, alors que la part des règlements en monnaies nationales augmente et que les relations «deviennent encore plus souveraines».
Selon Poutine, le gazoduc Power of Siberia est «sans exagération, l’accord du siècle», alors que les volumes de pétrole et de charbon fournis par la Russe à la Chine ont augmenté. En 2022, deux ponts entre les deux pays ont été construits dans les régions frontalières de l’autre côté du fleuve Amour.
En termes de géopolitique, Poutine a déclaré que la Russie, la Chine et leurs alliés défendaient «la formation d'un ordre mondial fondé sur le droit international» et non sur certaines «règles» qui répondent aux besoins du «milliard d'or». Il considère que la «Global Security Initiative» chinoise est cohérente avec les approches russes.
Le président russe a également souligné les déclarations américaines selon lesquelles la Russie était une «menace immédiate» et la Chine un «concurrent stratégique».
«L'alliance russo-chinoise représente un partenariat stratégique étroit - politiquement, économiquement et militairement». Dr. Diana Galeeva
Poutine a exprimé sa gratitude envers la Chine pour sa «ligne équilibrée concernant les événements qui se déroulent en Ukraine et pour avoir compris leur contexte et leurs véritables raisons». Il a salué la volonté de Pékin de jouer un «rôle constructif dans la résolution de la crise».
Concernant les activités occidentales dans la région Asie-Pacifique, il a déclaré que l'OTAN essayait de «donner à ses activités une portée mondiale». Il a exprimé sa conviction que «certaines forces essaient constamment de diviser l'espace eurasien commun en un réseau de “clubs exclusifs" et de blocs militaires», mais a ajouté que «personne ne pourra y parvenir».
Xi a écrit que le but de sa visite en Russie était de «renforcer l'amitié, la coopération et la paix» et a noté que lors de ses rencontres avec le dirigeant russe, les deux hommes «ont donné le ton pour le développement durable des relations bilatérales».
Il a déclaré que la Russie et la Chine adhèrent toutes deux au concept «d'amitié éternelle et de coopération mutuellement bénéfique» et que les relations entre ces deux pays sont basées sur les principes de «non-alignement, non-confrontation et non-direction contre tierces parties».
La relation bilatérale sert de «norme des relations interétatiques d'un nouveau type», selon Xi, et «la multipolarité, la mondialisation économique et la démocratisation des relations internationales» représente une «tendance irréversible».
Le dirigeant chinois a déclaré que le plan annoncé précédemment par Pékin pour résoudre le conflit entre la Russie et l'Ukraine «reflète au maximum l'unité des vues de la communauté mondiale sur la résolution de la crise ukrainienne».
Ces lettres illustrent, d'une part, les liens étroits entre les deux dirigeants, qui se considèrent comme de «bons vieux amis» avec une «relation des plus chaleureuses». Sur la question des relations bilatérales, le partenariat «illimité» qui a été prononcé dans une déclaration commune le 4 février 2022, se poursuivra, la Chine ayant décrit ces relations comme étant à un «sommet historique». Ce n'est pas une alliance formelle mais elle représente sûrement un partenariat stratégique étroit - géopolitiquement, économiquement, militairement et politiquement.
Deuxièmement, après être devenu le médiateur le plus «sensationnel» du Moyen-Orient et ayant négocié le récent rapprochement entre l'Arabie saoudite et l'Iran, Pékin pourrait se diriger vers une autre victoire diplomatique en négociant potentiellement la paix entre la Russie et l'Ukraine, après avoir suggéré un plan en 12 points ayant pour but de mettre fin au conflit.
Durant la conférence de Munich sur la sécurité, le secrétaire d'État américain Antony Blinken a exprimé son inquiétude lors de sa rencontre avec son homologue chinois, Wang Yi. Selon des responsables, «le secrétaire a été assez direct en mettant en garde contre les implications et les conséquences d'un soutien matériel de la Chine à la Russie ou de l'aide qu'elle apporte à l'évasion systématique des sanctions».
Wang a néanmoins déclaré que la Chine mettrait en place un «plan de paix» pour l'Ukraine et la Russie, en plus de maintenir des relations avec l'Europe.
Dans l'ensemble, ces lettres au monde révèlent un message clair selon lequel les négociations de paix auront probablement lieu sous l'égide de Pékin à court terme, et les relations entre la Russie et la Chine seront maintenues à leur niveau «le plus élevé» à moyen terme.
Selon le philosophe Confucius, «la politique doit être belle». Reste à savoir dans quelle mesure ce partenariat entre la Chine et la Russie se révélera «beau», et dans quelle mesure les messages des deux dirigeants formeront un «épistolaire diplomatique».
La Dr. Diana Galeeva est une intervenante académique au St. Antony's College de l’Université d’Oxford (2019-2022)
Twitter: @Dr_GaleevaDiana
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com