Cette semaine, à travers une annonce retentissante, Israël a reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Cette évolution tant attendue était une condition pour que le Maroc rejoigne les accords d’Abraham de 2020, qui concernent la normalisation entre Israël et plusieurs pays arabes.
Bien que cette reconnaissance n'ait pas été immédiate, elle intervient après une annonce similaire des États-Unis et le soutien récent de l'Espagne et de l'Allemagne au plan d'autonomie du Maroc.
Le Sahara occidental, connu sous le nom de «Provinces du Sud du Maroc», couvre plus de 250 000 km2 et représente près de 40% du territoire marocain.
Le territoire en question participe pleinement au développement qui se déroule en ce moment dans le reste du pays. Il devrait bientôt accueillir le plus grand port du Maroc ainsi que le match d’ouverture de la Coupe du monde 2030, si la candidature du Maroc pour accueillir la compétition est retenue.
Là où un conflit à petite échelle a persisté pendant des décennies, la région de Rabat attire désormais trois fois plus d'investissements que les régions du nord du pays. Ces réalités économiques reflètent son rôle croissant en tant qu’incontestable centre régional marocain.
Le contrôle marocain sur le territoire a longtemps fait l’objet de controverses politiques, à Rabat comme dans d'autres capitales régionales. Il a souvent été décrit comme une blessure postcoloniale profonde et irrésolue. En réalité, il est impossible pour le Maroc, qui a perdu un tiers de son territoire oriental historique avec la création française de l'Algérie et de la Mauritanie au XXe siècle, de renoncer à cette zone.
Soutenue depuis longtemps par l'Algérie, la cause sahraouie du groupe rebelle du front Polisario a pris l’aspect d’une guerre froide, car Alger s'est rapproché de Moscou, tout comme aujourd’hui.
Dans le contexte moderne, le développement rapide du Maroc est devenu un sujet de discorde avec l'Algérie. Cette dernière est un pays riche en ressources, mais dont l’économie stagne; un gouvernement dirigé par l'armée a cherché à prolonger le conflit afin d’apaiser une population jeune – deux générations la séparent des anciens combattants toujours au pouvoir – qui s’agite.
C'est dans ce cadre que la reconnaissance d'Israël et des États-Unis a eu lieu. Bien qu'il y ait évidemment des Israéliens d'origine sahraouie, l'annonce de cette semaine constitue moins une déclaration relative aux accords d'Abraham qu'une ratification de la réalité de facto sur le terrain.
Israël rejoint Bahreïn, les Émirats arabes unis et la Jordanie parmi les nombreux pays qui ont formellement reconnu la souveraineté marocaine sur le territoire, faisant ainsi écho à l'avis de la Cour internationale de justice en 1975, selon lequel des «liens d'allégeance» entre les sultans du Maroc et les tribus de la région existent depuis l'Antiquité.
Alors que Dakhla et Laâyoune deviennent des destinations internationales et que les phosphates de la région fournissent des approvisionnements essentiels en engrais dans le contexte de la crise des matières premières causée par la guerre en Ukraine, la gouvernance efficace de la région par le Maroc a remplacé le conflit par le développement.
Aujourd'hui, quelque 20 000 à 60 000 Sahraouis languissent dans des camps à la frontière algérienne; ils sont nominalement membres du front Polisario et représentent moins de 10% de la population élargie du territoire, qui sont des citoyens marocains d'origine sahraouie.
Cette évolution tant attendue était une condition pour que le Maroc rejoigne les accords d’Abraham.
Zaid M. Belbagi
L'accord entre le Maroc et Israël représente lui-même une formalisation des réalités quotidiennes. Étant donné que 20% des Israéliens sont d'origine marocaine, la normalisation des relations était vraiment nécessaire, moins comme une expression de realpolitik que pour répondre aux exigences consulaires des familles qui voyagent entre les deux pays et se considèrent comme des citoyens binationaux.
En Israël, la communauté juive marocaine est très bien établie. Ainsi, le colonel Sharon Itach, le tout premier attaché militaire d'Israël au Maroc, qui est arrivé à Rabat cette semaine, est né de parents marocains. Il en va de même pour Amir Ohana, le président de la Knesset, qui a récemment visité la capitale marocaine.
Même si la position prise par Israël sur le Sahara est «claire» – et qu’elle s’inscrit dans un élan plus large en faveur du Maroc après que Washington et Madrid, ainsi que d’autres capitales européennes, ont soutenu son plan d’autonomie –, le Maroc a pourtant été normatif dans son soutien continu à une solution à deux États à la question palestinienne. En tant que médiateur efficace entre les deux parties au conflit pendant des décennies, le royaume chérifien a récemment condamné l'action militaire israélienne à Jénine au milieu de l'indignation internationale.
En outre, la présidence du Maroc du comité Al-Qods, chargé de la protection de la mosquée Al-Aqsa et du patrimoine culturel de Jérusalem, reste un pilier essentiel de sa politique étrangère. 87% du financement de l'organisation intergouvernementale provient des contribuables marocains; cette cause reste donc un point de ralliement politiquement sensible au Maroc et ne devrait pas être affectée par l'accord de normalisation.
De manière générale, les accords d'Abraham représentent une sorte de coup diplomatique pour Israël. Alors que l'hostilité envers l'Iran diminue, ils apportent un autre moyen de dialogue diplomatique. Des décennies après la création d'Israël, la reconnaissance de ses voisins arabes, qui ont longtemps refusé de reconnaître son existence, a été une priorité de politique étrangère. Il n'est donc pas surprenant que les accords aient été un objectif politique primordial pour Tel-Aviv.
Cependant, avec le recul, on se rend qu’ils ont été signés sans progrès significatifs et sans l’engagement concret d’Israël d’améliorer la situation du peuple palestinien. En fixant le tempo de ses relations avec Israël, le Maroc a évité un sort similaire; il a atteint un objectif diplomatique majeur avant d'offrir à Israël ce qu'il recherchait le plus.
Voilà ce qui devrait être au premier plan des considérations des décideurs israéliens alors qu'ils cherchent à se rapprocher d'autres pays arabes. Ces derniers ne suivront probablement pas la voie de la normalisation sans une avancée significative sur les grands problèmes de la région.
Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).
Twitter: @Moulay_Zaid
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com