S’il est un comportement que vous n’associeriez généralement pas aux expatriés israéliens et aux membres des communautés juives du monde entier, c’est une critique virulente d’Israël, même si, au fil des ans, certaines administrations les ont profondément lésés.
Toute critique de ce genre se limite d’habitude aux conversations au sein des familles immédiates ou des cercles sociaux et n’est pas partagée en public avec la société au sens large.
Il y a toujours eu un refus de «laver son linge sale en public» et une sorte de soumission aux décisions et aux actions du gouvernement israélien.
Avec le gouvernement actuel, cependant, cette approche a changé et des protestations contre sa tentative de coup d’État judiciaire continuent d’avoir lieu fréquemment dans des endroits comme New York, Los Angeles, Londres, Paris, Berlin et même jusqu’à Sydney.
Il n’y a pas de réponse unique à la raison pour laquelle cette administration israélienne spécifique, contrairement à toutes les autres avant elle, a réussi à provoquer une telle opposition et colère parmi les expatriés israéliens, ainsi que chez les éléments plus libéraux des communautés juives.
Les manifestants semblent cependant d’accord sur deux choses. La première est d’être conscients que la version 2023 du gouvernement israélien est une menace pour les valeurs mêmes sur lesquelles – du moins de façon déclarative – le pays a été fondé et sont toujours considérées comme sacrosaintes. Cela est vrai parce que nombreuses sont les actions de ce gouvernement qui mettent en danger sa survie à long terme.
La seconde est de reconnaître que les actions du gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahou nuisent au lien entre l’État juif d’une part et les Israéliens et juifs qui vivent en dehors d’Israël de l’autre. Les actions remettent en question les fondements mêmes de toute volonté de ces communautés de soutenir un pays qui est sur la voie de l’autoritarisme.
Il faut garder à l’esprit que le simple fait de soutenir Israël, indépendamment de ses affaires intérieures, devient de plus en plus difficile pour de nombreuses personnes en raison de son occupation depuis cinquante-six ans de la Cisjordanie et de Gaza, ce qui continue de priver les Palestiniens de leurs droits nationaux et humains. Mais cette question a, pour l’instant et pour des raisons tactiques, été suspendue par les leaders des manifestations afin de garder uni le camp pro-démocrate.
Comme c’est le cas pour les manifestations qui se déroulent à l’intérieur d’Israël, une structure dirigeante impressionnante, dont les membres sont tous des bénévoles, a émergé naturellement dans d’autres pays. Elle est composée d’un groupe de personnes de différents horizons qui, pendant des mois, ont consacré presque chaque heure de leur journée à rassembler le soutien en faveur de ceux qui luttent pour préserver la démocratie chez eux. Ils le font avec créativité et une grande perspicacité politique.
À l’heure actuelle, il existe suffisamment de preuves de l’efficacité de ces manifestations dans le monde et de la façon dont elles agacent les responsables israéliens. Lors d’un incident tristement célèbre, un membre de la Knesset, très désagréable, qui fait partie des forces motrices au sein du gouvernement de coalition, a violemment arraché un mégaphone des mains d’une manifestante à New York, où il participait aux célébrations du 75e anniversaire de la création d’Israël.
Cette perte de sang-froid d’un membre dirigeant du gouvernement israélien n’a fait que dynamiser le mouvement de protestation à New York et ailleurs. À Londres, par exemple, des manifestants se sont rassemblés devant la résidence de l’ambassadeur israélien, munis de mégaphones, non seulement pour protester contre le coup d’État judiciaire mais aussi contre cette tentative vile et violente de faire taire leur compatriote de l’autre côté de l’océan Atlantique.
«De nombreux expatriés israéliens qui participent aux manifestations remplissent leurs obligations vis-à-vis d’Israël en servant dans son armée ou en payant leurs impôts ».- Yossi Mekelberg
Plus tôt cette année, après avoir formé son sixième gouvernement fin décembre, Netanyahou et sa femme, Sarah, ont trouvé du réconfort chaque week-end en se rendant à l’étranger. Leurs voyages ont servi de bref répit au procès pour corruption du Premier ministre et aux manifestations hebdomadaires qui sont progressivement devenues quotidiennes, et à un gouvernement de coalition qui est à la fois le pire cauchemar de Netanyahou et de la plupart des citoyens israéliens.
Ces voyages éclair ont coûté très cher au trésor public. Le Premier ministre et sa femme se sont rendus à Rome, Paris, Berlin et Londres prétendument pour des visites officielles, mais étant donné que les responsables israéliens ne travaillent pas pendant le shabbat, leur objectif principal était de se ressourcer grâce à des virées shopping et à de bons restaurants. Certaines sorties n’auraient pas nécessairement été approuvées par les partenaires de la coalition de Netanyahou.
À la grande surprise du couple, cependant, partout où ils allaient, ils étaient confrontés à des manifestants. Non seulement étaient-ils en possession d’informations précises sur l’endroit où se trouvait le couple, mais ils étaient en plus équipés de mégaphones et de sifflets, qu’ils ont utilisés pour rappeler au Premier ministre que ce qu’il fait au pays est tout à fait honteux – le mot hébreu Busha est encore plus puissant – et que la démocratie prévaudra longtemps après son départ.
Après plusieurs de ces voyages et manifestations, les Netanyahou ont cessé de prendre des vacances, très probablement pour éviter de faire face à une telle humiliation à l’étranger.
Certains individus, même parmi ceux qui soutiennent les manifestants pro-démocratiques, s’interrogent s’il est légitime pour des individus vivant à l'étranger de protester contre un gouvernement israélien et de le faire ouvertement de la sorte.
Franchement, je crois que c’est en effet légitime – et pour ne rien vous cacher, j’ai moi-même participé à certaines de ces manifestations – parce que la liberté d’expression est un droit fondamental.
De nombreux Israéliens qui participent à ces rassemblements remplissent leurs obligations vis-à-vis d’Israël en servant dans son armée ou en payant leurs impôts chaque année et soutiennent ainsi l’économie et la société israéliennes pendant leurs séjours à l’étranger. Beaucoup n’ont pas l’intention de vivre à l’étranger de façon permanente. S’ils décident de retourner en Israël, ils aimeraient se retrouver dans un pays qui n’a pas radicalement changé et où la situation s’est bien détériorée.
Pendant trop longtemps, on a attendu, voire exigé, des Israéliens des communautés juives à l’étranger de soutenir toutes les actions entreprises par les dirigeants israéliens et d’éviter toute critique à leur égard, même si un tel soutien expose ces communautés à des dilemmes moraux et idéologiques, ou à des frictions avec d’autres segments des sociétés dans lesquelles ils vivent.
Depuis la création de l’État juif, ce fut en effet principalement le cas. La joie de vivre et l’enthousiasme découlant de la réalisation du rêve sioniste ont conduit de nombreuses personnes à fermer les yeux sur les fautes d’Israël, qu’il s’agisse de la Nakba, de l’occupation post-1967, de la corruption généralisée ou de la façon dont son système démocratique a récemment été plongé dans une spirale descendante.
Aujourd’hui, cependant, sur les plans démographique et perceptif, il y a eu un changement profond, que le coup d’État judiciaire actuel ne fait que renforcer, et qui a accéléré les tendances existantes.
On estime qu’environ 1 million d’Israéliens vivent à l’étranger. Ils sont en majorité établis aux États-Unis et, contrairement à de nombreux membres de l’actuel gouvernement de coalition, ont servi dans les forces armées et devraient le faire à l’avenir. Ils continuent de contribuer à l’économie et à la société de leur pays d’origine, et leur militantisme en faveur d’Israël est inestimable.
Par conséquent, ils ne sont pas tenus de garder le silence et de rester les bras croisés pendant que leur pays d’origine est détourné par un groupe de politiciens anti-démocratiques et corrompus.
La principale bataille pour sauvegarder la démocratie israélienne sera menée par ceux qui protestent en masse à travers Israël même, mais les manifestations dans d’autres pays fournissent aux Israéliens chez eux un soutien important. Cela leur prouve qu’ils ne sont pas les seuls à mener cette bataille juste et qui peut être gagnée.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.
Twitter: @Ymekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com