La semaine dernière, Moscou a accueilli la 6e réunion de dialogue stratégique entre la Russie et le Conseil de coopération du Golfe (CCG). Cet événement a révélé la volonté des deux parties de progresser sur toutes les questions et à tous les niveaux afin de forger des liens solides et profonds.
La réunion a également prouvé que les deux parties étaient mieux préparées que jamais à construire un partenariat stratégique à long terme. Ainsi, un accord mutuel a été signé sur un certain nombre de sujets: les trois îles émiraties actuellement occupées par l'Iran, la convergence sur des questions régionales telles que la question palestinienne et les différends en Syrie, en Libye, au Liban et au Yémen, la sécurité du Golfe, la garantie de la liberté de navigation maritime, la fluidité des échanges et la sécurité des sites pétroliers.
En outre, la déclaration finale de la réunion a mis en évidence les domaines de collaboration dans lesquels les deux parties espèrent progresser, notamment la coopération politique et économique et celle qui concerne la lutte contre les problèmes liés à l'environnement et au changement climatique. Ces domaines s'ajoutent aux efforts qui visent à résoudre le différend avec l'Ukraine, à garantir la poursuite de l’Initiative céréalière de la mer Noire et à traiter d'autres problèmes d'intérêt mutuel.
On peut donc affirmer que ces accords ont été conclus dans le cadre de motivations communes et de points de vue convergents. Pour sa part, la Russie accorde aujourd'hui une attention particulière au renforcement de son partenariat avec les États du Golfe compte tenu des impératifs stratégiques et de sécurité qui motivent la politique étrangère russe.
Au premier rang de ces impératifs figure la nécessité d'affirmer la position de la Russie en tant que grande puissance mondiale capable de protéger ses intérêts, sa sécurité nationale et ses sphères géopolitiques, ainsi que de rompre le cycle d'encerclement occidental qui lui est imposé. Cela concerne notamment les sanctions qui se sont multipliées d’une manière inédite depuis le début du conflit russo-ukrainien.
Il convient de noter que la valeur des échanges commerciaux entre la Russie et les États du Golfe s'est élevée à 11 milliards de dollars en 2018 (1 dollar = 0,89 euro), contre 7,6 milliards de dollars d’après les statistiques les plus récentes pour 2021. Ce partenariat est donc essentiel du point de vue de la Russie compte tenu du conflit qui l'oppose actuellement à l'Occident et qui a de graves répercussions sur l'économie russe.
Ces accords sont également conformes aux efforts déployés par la Russie pour renforcer son rôle dans un ordre mondial multipolaire, préserver sa stabilité stratégique et établir des partenariats avec le plus grand nombre de pays possible.
Moscou cherche ainsi à créer des blocs pour contrer la politique de l'Occident, qui vise à affaiblir la Russie et à l'exclure de l'équation du pouvoir en l'empêchant d'exercer son influence en tant que superpuissance mondiale.
Sur la base de ces perspectives stratégiques, les relations avec le Golfe constituent l'une des priorités stratégiques de Moscou étant donné le statut de la région, partenaire important et efficace de la Russie aux niveaux politique et économique. En outre, il ne fait aucun doute que l'Arabie saoudite et certains autres États du Golfe ont joué un rôle diplomatique de premier plan, ce qui a été de nature à gagner la confiance de la Russie. Cela pourrait aider ces pays à jouer un rôle de médiateur pour faire avancer les résolutions politiques en s'appuyant sur les efforts passés de Riyad et d'Abu Dhabi, qui ont abouti à des résultats tels que l'accord d'échange de prisonniers entre les États-Unis et la Russie ainsi qu'à des actions destinées à limiter certains aspects des crises humanitaires de la région.
Les États du Golfe partagent également l’attachement de la Russie pour l'élargissement des partenariats et le renforcement de leurs intérêts mutuels à la lumière de plusieurs facteurs. Les plus importants d'entre eux sont les suivants: la forte implication de la Russie dans les questions régionales au cours de la dernière décennie; l'empreinte politique et militaire croissante de la Russie au Moyen-Orient, y compris son engagement dans la crise syrienne, qui a assuré à sa marine une base dans les eaux chaudes de la Méditerranée; enfin, son implication intensive dans les différends et les questions régionales. La Russie est ainsi devenue un acteur clé au Moyen-Orient, vers lequel les puissances régionales, parmi lesquelles les États du Golfe, se tournent désormais.
De plus, les États du Golfe, menés par l'Arabie saoudite, ont adopté une politique étrangère basée sur la diversification des partenariats avec les principales puissances mondiales, profitant des changements dans l'ordre mondial pour se repositionner et élargir le champ de leur indépendance stratégique.
La position saoudienne sur la réduction de la production de pétrole de l'Opep+, le développement de relations stratégiques avec la Chine et l'adoption d'une position équilibrée sur la guerre en Ukraine sont les exemples les plus évidents à cet égard. Ces développements, à leur tour, ont dissipé les craintes historiques de Moscou à l'égard des États du Golfe.
De même, l'approche équilibrée de Moscou à l'égard des questions régionales a joué un rôle positif, encourageant les États du Golfe à renforcer leurs liens avec la Russie. Cette dernière a réussi à se présenter comme un partenaire fiable pour les pays de la région. Les avantages de cette relation positive se traduisent par la position équilibrée des États du Golfe à l'égard de la guerre en Ukraine, ainsi que par la coordination de haut niveau avec la Russie au sein du bloc Opep+, qui repose exclusivement sur les intérêts russes et saoudiens. Les deux parties ont également travaillé ensemble pour parvenir à un équilibre entre les producteurs et les consommateurs sur les marchés de l'énergie, contribuant ainsi à la croissance économique mondiale.
On peut aussi affirmer avec assurance que l'évolution géopolitique dans les États du Golfe au cours des dernières années a créé un climat diplomatique propice au renforcement des relations. Dans le cadre de sa nouvelle politique étrangère, l'Arabie saoudite a de plus ouvert la porte à la Chine afin qu'elle joue un rôle majeur dans la région. Compte tenu de la concurrence avec les États-Unis, la présence stratégique de la Chine constitue un exemple à suivre pour la Russie en termes d'approfondissement d'un partenariat crédible avec les États du Golfe.
Le climat d'ouverture qui prévaut après l'accord sur le rapport entre l'Iran et l'Arabie saoudite négocié par Pékin a créé les conditions d'un développement du rôle russe, libéré des restrictions autrefois imposées à Moscou en raison des divergences entre l'Iran et le Golfe. La vision du prince héritier Mohammed ben Salmane pour un nouveau Moyen-Orient offre aux puissances mondiales la possibilité d'être des partenaires économiques et politiques pour façonner l'avenir de la région et l'aider à passer de l'état actuel de chaos et de conflit à un modèle de stabilité et de développement.
Les relations avec le Golfe constituent l'une des priorités stratégiques de Moscou étant donné le statut de la région, partenaire important et efficace de la Russie aux niveaux politique et économique.
Dr Mohammed al-Sulami
En conclusion, on peut dire que, depuis l'organisation de la première réunion du dialogue stratégique Russo-CCG, en 2011, les conditions n'ont jamais été aussi propices qu'aujourd'hui à la mise en œuvre du programme de coopération mutuelle, malgré les défis qui ont entravé les relations bilatérales ces dernières années.
Il semble que les changements géopolitiques actuels sur les scènes régionale et mondiale – en plus des ambitions, des plans de développement et des efforts des États du CCG pour diversifier leurs liens et leurs relations internationales, sans oublier des politiques étrangères plus indépendantes – propulseront ces relations vers de nouveaux sommets. Ils les feront progresser de manière plus profonde et plus mutuellement bénéfique que par le passé, permettant ainsi aux deux parties de concrétiser leurs intérêts stratégiques partagés.
Cette évolution des relations intervient alors que la Russie est reconnue comme une puissance mondiale qui possède un poids, une influence et une présence significatifs au Moyen-Orient et ailleurs, et que les États du Golfe sont de plus en plus conscients de leur nouvelle position en tant qu'acteur majeur sur la scène régionale et mondiale. À cela s'ajoutent les progrès considérables qu’ils ont réalisés, en particulier l'Arabie saoudite, dans le cadre de Vision 2030, un projet véritablement pionnier, novateur et ambitieux pour le nouveau Moyen-Orient. Ce projet constitue à son tour une base essentielle pour l'élargissement des partenariats avec les puissances mondiales, y compris la Russie, au-delà de la polarisation et des différends.
Mohammed Al-Sulami est président de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah). Twitter: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.