Que le sommet de l’Otan se tienne à Vilnius, la capitale de la Lituanie, a quelque chose de symbolique. En effet, il s’agit d’un pays avec une longue histoire de domination par la Russie et l’Union soviétique. Cela sert de rappel brutal de tout ce qui est en jeu pour les membres de l’organisation occidentale de sécurité collective.
C’est l’un des rassemblements les plus importants de l’Otan depuis de nombreuses années. Il a sans aucun doute aidé l’alliance à se redéfinir, non seulement face à un ennemi commun, la Russie, mais aussi en jouant un rôle crucial – celui d’empêcher l’armée russe de prendre instantanément le contrôle de l’Ukraine sans avoir à envoyer l’une de ses propres troupes sur le champ de bataille.
Il y a une impression de déjà-vu dans le retour de l’Otan sur le devant de la scène en termes de protection de la sécurité de ses membres et partenaires contre les agressions extérieures. En 1949, lorsque les douze pays fondateurs ont signé le traité de l’Atlantique Nord, l’objectif était de contenir les ambitions de Moscou et c’était encore à l’ordre du jour cette semaine à Vilnius.
À l’époque, ironiquement, bon nombre des États membres actuels de cette alliance militaire intergouvernementale faisaient partie de l’Union soviétique ou se trouvaient dans sa sphère d’influence, principalement en raison de la coercition russe, alors qu’aujourd’hui, ils cherchent à se protéger de la Russie de Poutine.
Le mois dernier seulement, l’Otan a mené un exercice militaire massif au cours duquel plus de 3 500 soldats équipés de drones et de véhicules blindés ont été déployés pour tester les capacités de la brigade Iron Wolf de l’armée lituanienne – en d’autres termes pour se préparer à toute future invasion russe.
Dans la période qui a immédiatement suivi la fin de la guerre froide, l’Otan était un mélange d’hibernation partielle et de vestiges victorieux prolongés, avec seulement des rappels occasionnels de la raison pour laquelle elle était encore nécessaire pour protéger la sécurité et les valeurs de ses membres.
Cependant, la Russie de Poutine, et surtout sa guerre contre l’Ukraine, a revitalisé l’organisation et lui a donné un sens clair et renouvelé, même si aucune des parties belligérantes n’est membre de l’Otan.
Pendant près d’une décennie, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a été le ciment qui l’a maintenue et la force motrice qui lui a permis de s’adapter à un environnement de sécurité en évolution rapide; en conséquence, il semble presque irremplaçable.
Il déclare, tout en observant l’exercice militaire en Lituanie: «Cet exercice porte en lui un message clair: l’Otan est prête à défendre chaque centimètre du territoire allié.» Il ajoute: «Nous démontrons que nous pouvons également nous renforcer rapidement, à chaque fois que cela est nécessaire.»
La tâche du sommet de deux jours de l’Otan cette semaine était de mettre en valeur l’attachement des États membres à une alliance forte, qui est non seulement essentielle pour la sécurité de tous et la préservation des démocraties libérales mais aussi pour la stabilité mondiale et la prévention des guerres.
Une grande partie des discussions qui ont précédé le sommet portait sur la perspective d’une future adhésion de l’Ukraine à l’organisation, tandis que la décision controversée des États-Unis de fournir des armes à sous-munitions à l’Ukraine pour soutenir sa contre-offensive contre les troupes russes provoquait un certain malaise chez les membres européens.
Certes, la demande du président Volodymyr Zelensky de voir son pays adhérer à l’Otan est, en principe, compréhensible et justifiée. Mais la décision de ne pas entamer de discussions formelles à ce sujet tant que la guerre n’a pas pris fin est tout aussi logique.
La demande du président Volodymyr Zelensky de voir son pays adhérer à l’Otan est, en principe, compréhensible et justifiée.
Yossi Mekelberg
Kiev sait que l’opinion publique à travers l’Occident est très favorable, et à juste titre, envers l’héroïsme du peuple ukrainien, notamment le leadership de Zelensky. Mais si le sommet avait décidé d’établir un processus et un calendrier pour l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan, cela n’aurait fait qu’irriter davantage la Russie, faisant craindre à de nombreuses personnes au sein des États membres un déploiement des troupes de l’Otan pour combattre.
L’Ukraine doit son succès dans la guerre jusqu’à présent au leadership admirable de son gouvernement et de son président avant tout, au courage de son peuple, aux talents d’improvisation et d’adaptabilité de son armée et au soutien étranger que le pays a reçu sans soldats en provenance d’autres pays pour se battre et mourir pour la cause. Toute tentative de falsification aurait fait plus de mal que de bien.
Pour que l’Otan maintienne son soutien à l’Ukraine, il est indispensable que ses membres évitent de prendre des décisions unilatérales, comme celle de l’administration Biden de fournir à l’armée ukrainienne des bombes à sous-munitions – une décision controversée au sein de la communauté internationale et même parmi les membres de l’Otan.
Cette décision hâtive de Washington d’envoyer des bombes à sous-munitions en Ukraine, sans coordonner avec les autres membres sur la décision, accentue les dégâts imposés aux innocents. C’était aussi un signe de faiblesse en termes d’unité et de nécessité de fournir à l’Ukraine des armes alternatives qui ne portent pas atteinte à une convention internationale signée par plus de cent pays, dont de nombreux membres de l’Otan.
Le respect mutuel est essentiel pour la préservation de cette alliance transatlantique complexe et les participants au sommet ont quitté Vilnius suffisamment rassurés sur le fait que l’engagement américain pour la sécurité de l’Europe est solide, au moins jusqu’à la prochaine élection présidentielle et que l’Europe est prête à assumer une plus grande part de responsabilité à cet égard.
L’élargissement de l’Otan, d’abord avec l’adhésion de la Finlande, ensuite celle de la Suède, puis éventuellement de l’Ukraine au lendemain de la guerre, signifie que les engagements de l’organisation vont augmenter et, avec cela, le risque qu’elle soit obligée, à un moment donné, de défendre l’un de ses membres contre une agression extérieure.
Imaginez simplement un scénario dans lequel l’adhésion de l’Ukraine n’aurait pas fait l’objet d’un veto en 2008. Cela aurait pu dissuader la Russie d’annexer un territoire ukrainien en 2014, ou de l’attaquer en 2022. Ou, si Moscou avait décider de le faire, cela aurait déclenché une guerre entre l’Otan et la Russie – ce qui n’est pas loin d’être le cas aujourd’hui, même s’il y a actuellement beaucoup plus de marge de manœuvre pour éviter un conflit à part entière, peut-être même nucléaire, entre les deux.
Comme prévu, l’Ukraine a occupé le devant de la scène lors du sommet de cette année. Mais d’autres sujets qui suscitent l’inquiétude ont été fortement soulignés, notamment la montée des tensions avec la Russie au sujet de sa prolifération nucléaire; «les ambitions déclarées et les politiques coercitives de la Chine qui défient nos intérêts, notre sécurité et nos valeurs»; ainsi que le terrorisme et l’instabilité au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et dans les régions du Sahel.
Il s’agit d’un ensemble de défis que, pour l’instant, le sommet a réussi à surmonter sans qu’aucune division n’apparaisse au sein de l’organisation, tout en évitant de susciter la moindre protestation chez les rivaux de l’Otan. Cependant, au moment où l’Ukraine demeure une cause commune d’unité, certaines de ces autres questions devront être abordées avec une grande habileté diplomatique, d’autant plus que l’organisation se développe.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.
Twitter: @Ymekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com