Avec Arab News en français, fini le téléphone arabe!

En France, les émeutes urbaines de ces derniers jours ont donné un coup de froid à la république et ses espoirs de fraternité (Photo, AFP).
En France, les émeutes urbaines de ces derniers jours ont donné un coup de froid à la république et ses espoirs de fraternité (Photo, AFP).
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Publié le Vendredi 14 juillet 2023

Avec Arab News en français, fini le téléphone arabe!

Avec Arab News en français, fini le téléphone arabe!
  • Arab News en français est devenu un atout francophone pour défendre la fraternité made in France. Une parole libre, toujours modérée et argumentée sur des thèmes qui touchent les «communautés arabes» ou «la diaspora», tel est le crédo de la rédaction
  • Si le volcan social français a pu afficher sa dangerosité, c’est parce que dans le pays comme partout, chacun a un portable prêt à être dégainé en toute circonstance

En France, les émeutes urbaines de ces derniers jours ont donné un coup de froid à la république et ses espoirs de fraternité. Par rapport à celles de 2005, elles diffèrent sur plusieurs registres, comme leur durée, l’absence de connexion à l’islamisme – ce n’est pas anodin –, la généralisation des tirs de mortiers par les jeunes, la destruction systématique des bâtiments publics, la guerre contre les policiers… mais celui qui apparaît ici comme un marqueur est leur amplitude médiatique inégalée.

Si le volcan social français a pu afficher sa dangerosité, c’est parce que dans le pays comme partout, chacun a un portable prêt à être dégainé en toute circonstance. Un incident, une photo, un selfie, une vidéo puis une publication sur les réseaux sociaux et l’éruption explosive est enclenchée. C’est un mécanisme inquiétant des sociétés urbaines contemporaines. L’hyperconnectivité de tous sur les réseaux sociaux, l’hypertension émotionnelle, les nerfs portés à vif par l’immédiateté, l’impulsivité individuelle et collective, face à une épreuve, ici la mort de Nahel, dix-sept ans, tué au volant d’une voiture par la balle d’un policier tirée à bout portant.

Dès ce moment-là, les jours qui suivent la tragédie manifestent l’incroyable propension des gens à s’exprimer, prendre la parole, «communiquer» comme on dit, via leur portable. Chacun, en temps réel, y va de son ego, veut voir, montrer, raconter, prouver, dire la vérité, contredire, réagir, pour le meilleur et surtout pour le pire.

Avec les réseaux sociaux, les émeutes de 2023 ont ainsi fragmenté la France en deux groupes: ceux qui pensent à propos de Nahel qu’il est mort par sa propre faute, il n’avait pas à se trouver au volant d’un bolide de location immatriculé en Pologne, et surtout à refuser d’obtempérer au contrôle de police. Par conséquent, ils considèrent injuste de condamner le fonctionnaire qui l’a tué, au titre qu’il ne faisait que son travail contre «les racailles des cités», les «nuisibles» comme les a dénommés un syndicat de policiers.

«Chacun, en temps réel, y va de son ego, veut voir, montrer, raconter, prouver, dire la vérité, contredire, réagir, pour le meilleur et surtout pour le pire.»

De l’autre, il y a Eux, les jeunes, les gens des cités, ceux qui grandissent de l’autre côté du périph’ depuis un demi-siècle, qui ont vu le racisme germer autour d’eux, contre eux, et avant eux, contre leurs grands-frères, leurs parents et grands-parents. Ils forment un peuple souvent issu des immigrations maghrébines et subsahariennes, troisième, quatrième génération de post-coloniaux… Eux ne retiennent des émeutes qu’un fait réel: un mineur, un énième, a été tué par un policier.

Ces gens, les émeutiers, comme les autres restés chez eux lors de la flambée de violence, connaissent le racisme depuis qu’ils sont nés. C’est un vecteur essentiel de la dégradation des relations jeunes-police depuis un demi-siècle. Cependant, l’espace du débat public qui reste ouvert à leur dénonciation légitime et nécessaire de ce fléau n’existe plus aujourd’hui. On a l’impression qu’une partie des Français, lassée par la répétitivité des cycles des violences, est désormais allergique au mot «racisme». Dès qu’ils l’entendent, ils se ferment, se renfrognent, dégainent une batterie d’arguments attestant que ces «Arabes et ces Noirs» sont réfractaires à la France, à l’intégration, toujours prompts à se plaindre, qu’ils sont des parasites profiteurs qui se complaisent dans la victimisation…

Qu’elle est loin la Marche pour l’égalité et contre le racisme ! Qu’elle est loin la France Black-Blanc-Beur de Zizou ! Vingt-cinq ans déjà.

«La France de la fraternité en est là. Plus que jamais, les Français d’origine arabe, les musulmans, Africains, qui sont les boucs-émissaires traditionnels en politique, subissent une tempête.»
 

La France de la fraternité en est là. Plus que jamais, les Français d’origine arabe, les musulmans, Africains, qui sont les boucs-émissaires traditionnels en politique, subissent une tempête. Le dénoncer leur est de plus en plus difficile. Au cours des années, l’espace d’expression de leurs doléances, leurs revendications contre les discriminations et pour l’égalité des chances s’est réduit comme peau de chagrin. Ils ressentent massivement le rejet, affirment que les gens d’ici ne les aiment pas, veulent qu’ils retournent chez eux, alors que chez eux c’est Nanterre, Clichy-sous-Bois ou Vénissieux. Quand on tue l’un d’entre eux, ils se sentent morts aussi. L’impunité et l’injustice les rongent en profondeur. À tel point qu’ils ne votent pas.

En tant que citoyens, beaucoup voudraient dire: «Une vie arabe ça compte!», à l’instar du cri des Africains-Américains Black Lives Matter. Ils voudraient faire comprendre ce qu’est la virulence du racisme depuis un demi-siècle au pays de la fraternité. Ils rêvent de voir des milliers de Kylian Mbappé prendre la parole et lancer: «J’ai mal à ma France.» Hélas, sur ce terrain, les supporters manquent, les supports aussi.

Voilà pourquoi les médias capables de parler de cœur à cœur à la France qu’on aime doivent être encouragés, serait-ce via le téléphone arabe. Arab News en français en est un aujourd’hui. Il est devenu un atout francophone pour défendre la fraternité made in France. Une parole libre, toujours modérée et argumentée sur des thèmes qui touchent les «communautés arabes» ou «la diaspora», tel est le crédo de la rédaction. Depuis maintenant trois ans, Arab News en français m’a toujours donné carte blanche pour m’exprimer sur cette brûlante actualité. Avec lui, je continue la lutte contre ce seum qui mine les démocraties et l’humanité : le racisme. Bon anniversaire Arab News en français. Mahraba, Welcome to France.  

Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.

Twitter: @AzouzBegag

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.