Pour la plupart des Israéliens, ce qui se passe dans les Territoires occupés reste dans les Territoires occupés. Les Israéliens sont une version moderne des trois singes sages, qui «ne voient rien, n'entendent rien, ne disent rien», ignorant ce qui est fait en leur nom par une armée dans laquelle un grand nombre d'entre eux ont servi, par un gouvernement pour lequel ils ont voté et par le biais d’impôts qu’ils paient régulièrement.
Rien n'illustre mieux cette formule que la violence que les colons israéliens ont l'habitude d'infliger aux Palestiniens ordinaires – une violence qui échappe constamment à tout contrôle en termes de fréquence et de férocité. Le nombre de colons impliqués dans le harcèlement habituel et d'autres formes de violence contre les Palestiniens est peut-être limité, mais en fermant les yeux sur ce qui se passe, comme le font la plupart des Israéliens, ceux-ci sont devenus complices de ces crimes.
La violence des colons n'est pas un phénomène nouveau, et elle n'est pas passée inaperçue dans le passé, mais la nature même du gouvernement ultranationaliste-religieux actuellement au pouvoir a légitimé ce sinistre phénomène. De nouvelles lignes rouges ont maintenant été franchies, dans certains cas avec le soutien sans équivoque des ministres du gouvernement.
Cette année, deux cas extrêmement violents ont attiré l'attention de la manière la plus troublante, alors que des communautés palestiniennes entières étaient terrorisées. Les deux cas ont eu lieu en Cisjordanie occupée, l'un en février à Huwara et l'autre le mois dernier à Turmus Ayya. À Huwara, une horde de colons israéliens est entrée dans la ville et a commencé à incendier les maisons, mettre à sac les magasins et incendier les voitures et les vergers. Au cours de l'attaque, un Palestinien de 37 ans, Sameh al-Aqtash, du village voisin de Zatara, est mort après avoir reçu une balle dans l'estomac, tandis que plus de 350 Palestiniens ont été blessés.
Turmus Ayya n'a pas connu un meilleur sort lorsque des colons masqués et armés de fusils d'assaut ont déferlé sur la ville en ouvrant le feu. Comme ce fut le cas à Huwara, ils ont incendié des maisons, des voitures et des champs dans un horrible déchaînement de violence qui s'est terminé par un mort palestinien et de nombreux blessés.
Pour justifier leur comportement indigne, les membres de cette section violente des colons prétendent que leurs actions sont une vengeance pour le meurtre d'Israéliens par des terroristes palestiniens, et sont des actes de dissuasion. Ce qu'ils encouragent vraiment, c'est le règne des hordes et un effondrement complet de la loi et de l'ordre, alors qu'ils se font justice eux-mêmes et se comportent comme une milice pour prouver qu'ils sont les maîtres de cette terre.
Terroriser des communautés entières pour se venger des actes individuels est un comportement primitif qui n'a pas sa place dans une société civilisée. Les Palestiniens qui assassinent des Israéliens sont, dans la plupart des cas, tués sur place ou peu de temps après, et la petite minorité qui est arrêtée est jugée et passe des décennies en prison. Dans certains cas, les forces d'occupation punissent leurs familles en scellant, ou même en démolissant leurs maisons, ce qui est en soi une pratique odieuse de culpabilité par association suivie d'une punition collective.
Les colons sont des citoyens israéliens et, même si nous ignorons juste pour un bref instant le fait que toute leur présence dans une terre occupée est illégale, leur violence continue contre les Palestiniens ne fait qu’ajouter à l’horreur. Cette situation est aggravée par les forces de sécurité israéliennes, qui soit assistent en spectateurs pendant que ces atrocités sont commises, soit considèrent que leur rôle est de protéger les auteurs de ces crimes parce qu'ils sont des citoyens israéliens, et non de protéger les victimes.
En aucun cas, les colons ne devraient être autorisés à se faire justice eux-mêmes et, s'il restait un minimum de décence ou de déontologie au sein du gouvernement israélien, cela aurait provoqué l'arrêt immédiat de toutes les formes de violence des colons contre les Palestiniens. Mais il serait peut-être naïf de s'attendre à ce qu'un gouvernement qui se comporte lui-même illégalement et vole aux Palestiniens leur terre, et dans de nombreux cas leur vie, protège les mêmes colons voyous et fasse ce qui est juste.
Huwara et Turmus Ayya peuvent ressembler à des incidents exceptionnels – des cas de colons perdant le contrôle –, mais cela est loin de la vérité. Ces actes d’horreur ne sont que la pointe de l'iceberg. Il ne s'agit pas de réactions spontanées, impulsives et dues à la colère qui elles-mêmes ne sont pas moins criminelles et répréhensibles. Elles font partie d'une campagne bien organisée de harcèlement contre les Palestiniens visant à rendre leur vie de plus en plus misérable jusqu'à ce qu'ils renoncent à leurs aspirations nationales et se soumettent à tous les caprices des colons ou simplement fassent leurs valises et partent.
Bien que ces scénarios ne soient pas susceptibles de se produire, cela n'empêche pas les colons de recourir constamment à ces tactiques.
Selon un rapport préoccupant de l’Ocha (Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU), au cours des six premiers mois de 2023, les colons israéliens ont été impliqués dans 570 attaques, dont environ 160 ont causé des blessures physiques. Diverses organisations de défense des droits humains ont clairement indiqué que ces actes de violence remontaient aux premiers jours du projet de colonies et comprenaient «des passages à tabac, des jets de pierres, des menaces, des champs incendiés, la destruction d'arbres et de récoltes, le vol de récoltes, des dommages aux maisons et aux voitures, le blocage de routes, l’utilisation de tirs réels et, dans de rares cas, des meurtres».
«En tant que force d'occupation, Israël a la responsabilité de protéger la population civile occupée»
Yossi Mekelberg
Ces colons ne sont plus en marge de la politique israélienne, mais au cœur de son gouvernement. À la suite des événements de Huwara, un important ministre et colon lui-même, Bezalel Smotrich, a ainsi affirmé: «Le village de Huwara doit être anéanti. Je pense que c'est l'État d'Israël qui doit le faire, et non des particuliers». La violence des colons est devenue une autre branche de la machinerie oppressive de l'occupation, qui ne se soumet à aucune loi ou autorité autre que celle de leurs chefs religieux et politiques, parmi lesquels se trouvent ceux qui ont eux-mêmes perpétré des actes de violence contre les Palestiniens et encouragent les autres à copier ce comportement ignoble.
En tant que force d'occupation, Israël a la responsabilité de protéger la population civile occupée. En ne le faisant pas, il devient complice et coupable de ces actions. Il est temps pour ceux qui manifestent contre la tendance antidémocratique du gouvernement actuel d'ajouter à leur liste de revendications l'appel à l'arrêt de la violence des colons. De même, la communauté internationale, qui rend possible l'occupation de différentes manières, doit faire entendre sa voix dans les coulisses du pouvoir israélien, et faire comprendre aux dirigeants du pays qu'elle ne restera pas les bras croisés face à la souffrance de personnes innocentes et vulnérables aux mains des colons ou de tout autre Israélien.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le programme Mena à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne. Twitter: @YMekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com