La France devrait s'arrêter et réfléchir avant de procéder à des interpellations

Un manifestant brandit une pancarte lors de la marche pour Adama Traoré, sept ans après sa mort, à Paris, le 8 juillet 2023 (Photo AFP).
Un manifestant brandit une pancarte lors de la marche pour Adama Traoré, sept ans après sa mort, à Paris, le 8 juillet 2023 (Photo AFP).
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Publié le Mardi 11 juillet 2023

La France devrait s'arrêter et réfléchir avant de procéder à des interpellations

La France devrait s'arrêter et réfléchir avant de procéder à des interpellations
  • Le meurtre du jeune Nahel, les pillages et les actes de vandalisme témoignent du manque d’intégration des minorités dans la société française
  • La regrettable mort de Nahel devrait conduire à une réévaluation complète du traitement des minorités, pour permettre à chacun de se sentir membre à part entière de la société

En France, le climat semble s'apaiser après près d'une semaine de manifestations violentes en réaction à la mort du jeune Nahel M., 17 ans, d'origine nord-africaine, abattu par un policier lors d'un contrôle routier à Nanterre, dans la banlieue parisienne.

Cet incident tragique et les émeutes qui ont suivi illustrent parfaitement la rupture de la relation des minorités avec la police, mais aussi avec le reste de la société française et ses autres sources d'autorité. Ce phénomène ne se limite pas à l’Hexagone. Les membres de ces minorités, principalement les jeunes hommes, éprouvent du ressentiment à l'égard de la police parce qu'ils considèrent qu’ils sont interpellés et fouillés de manière disproportionnée par rapport à leur nombre au sein de la société.

Nous ne connaîtrons probablement jamais tous les détails du moment fatidique qui a suivi l'interpellation de la voiture de Nahel par deux policiers – de l’échange, de la décision de Nahel de prendre la fuite – sans doute parce qu'il n'avait pas de permis de conduire valide –, du tir qui a suivi et qui a conduit à sa mort. Il faut espérer qu'une enquête approfondie permettra de comprendre les faits et que justice sera rendue. Toutefois, rien ne permet jusqu'à présent de conclure qu'un policier avait de bonnes raisons d'ouvrir le feu sur Nahel, et encore moins de tirer dans le but de le tuer.

Cependant, le meurtre du jeune de 17 ans, les pillages et les actes de vandalisme qui ont suivi ne doivent pas détourner l'attention de la France, et d'autres pays où vivent d'importantes minorités ethniques, du fait suivant: ces événements rappellent qu’une véritable intégration des minorités dans la société fait défaut; ces communautés restent marginalisées et discriminées. Les interpellations et les fouilles symbolisent avant tout la méfiance à l'égard des minorités ethniques. En effet, «l'interpellation et la fouille» sont plus qu'un simple exercice de prévention de la criminalité; il s'agit également d'une forme de harcèlement et, parfois, de brutalité policière à l'encontre des communautés minoritaires.

Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, a exprimé l'espoir que «ce soit le moment pour [la France] de s'attaquer sérieusement aux problèmes profonds du racisme et de la discrimination dans l'application de la loi». Cette déclaration résonne avec les préoccupations du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis et du rapport Macpherson au Royaume-Uni. Ce dernier avait qualifié la réponse de la police à l'assassinat de l'adolescent noir Stephen Lawrence par un groupe de voyous blancs à Londres en 1993 d'«institutionnellement raciste».

Ces deux remarques, à près d'un quart de siècle d'intervalle, résument un phénomène bien plus profond que la présence de quelques brebis galeuses au sein des forces de police. Comme l'a conclu le rapport Macpherson, il s'agit d'un échec collectif de la police «à fournir un service approprié et professionnel à des personnes en raison de leur couleur, de leur culture ou de leur origine ethnique». De tels incidents se produisent lorsque les processus, les attitudes ou les comportements de la police sont entachés de préjugés, d'ignorance, de négligence ou de stéréotypes raciaux, qu'ils soient délibérés ou involontaires.

Nier la réalité aggrave également la situation, car cette attitude empêche de créer l'espace nécessaire au changement au sein des forces de l'ordre. En réponse à la critique de Mme Shamdasani, le ministère français des Affaires étrangères a publié une déclaration qui rejette l'accusation de l'ONU de racisme dans les rangs de la police française, affirmant: «Toute accusation de racisme ou de discrimination systémique par les forces de l’ordre en France est infondée». Cependant, il est de plus en plus évident que les minorités sont interpellées par la police de manière disproportionnée par rapport aux Blancs et qu'elles sont également traitées comme si elles étaient a priori coupables d'être impliquées dans des infractions à la loi simplement en raison de la couleur de leur peau.

Appartenir à une minorité, c’est voir la majorité vous rappeler constamment que vous êtes différent, que vous n'êtes pas nécessairement le bienvenu

Yossi Mekelberg

Les conclusions d'un rapport récent de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne illustrent ce préjugé. Dans plusieurs pays, la police a interpellé jusqu'à 50% des personnes qui appartiennent à certaines minorités; elle a fouillé ou a demandé leurs papiers d'identité à 34% des membres de minorités ethniques, contre 14% pour l'ensemble de la population. Au Royaume-Uni, les statistiques gouvernementales indiquent que les Noirs sont sept fois plus susceptibles d'être interpellés et fouillés que les Blancs. Ces chiffres sont stupéfiants et donnent aux minorités, en particulier aux jeunes, le sentiment que la police n'est pas là pour assurer leur sécurité, mais plutôt pour les surveiller et protéger ceux qui ont la «bonne» couleur de peau de ceux qui ne l’ont pas.

La ministre britannique de l'Intérieur, Suella Braverman, qui n'aide guère, en général, les minorités à se sentir chez elles, a récemment demandé à toutes les forces de police d'Angleterre et du Pays de Galles d'augmenter le recours aux interpellations et aux fouilles. Elle sait pertinemment que cette mesure ne manquera pas de créer des tensions et de rendre les minorités moins enclines à coopérer avec les forces de l'ordre. Mais, comme pour la plupart de ses actions, elle espère faire appel à l'extrême droite de sa circonscription et de son parti dans l'espoir de devenir chef du parti conservateur.

Il ne s'agit pas simplement d'utiliser ou d'éviter ces méthodes pour lutter contre la criminalité. Il faut surtout apprendre aux policiers à les mettre en pratique avec la sensibilité et la conscience de leur impact sur les personnes interpellées. Rien ne peut justifier les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel, mais elles témoignent clairement des défis auxquels sont confrontées les sociétés multiculturelles. Après tout, appartenir à une minorité, c’est voir la majorité vous rappeler constamment que vous êtes différent, que vous n'êtes pas nécessairement le bienvenu et que vous devriez vous estimer heureux de vivre dans le pays, même si vous y êtes né ou si vos ancêtres ont été contraints de s'y installer. Vous devez également subir des commentaires désobligeants sur vous-même, sur votre culture et sur le pays d'origine de votre famille, alors que vous êtes en moyenne plus pauvre, que vous vivez probablement dans un quartier défavorisé et que vous avez du mal à trouver des possibilités de mobilité sociale.

La flambée de violence qui a eu lieu en France la semaine dernière est certes imputable à une petite minorité, mais le ressentiment est largement répandu et il découle d'un sentiment réel: celui d'être condamné à souffrir toute sa vie en raison de son appartenance à une minorité ethnique. Pour que la situation s'améliore, il faut non seulement que la police change, mais aussi que l'ensemble de la société se regarde dans le miroir et remette en question la nature profonde de son racisme.

Le regrettable meurtre de Nahel devrait conduire à une réévaluation complète du traitement des minorités pour permettre à chacun de se sentir membre à part entière de la société, ce qui est loin d'être le cas à l'heure actuelle.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

 

Twitter: @YMekelberg 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com