La France est en état d’effervescence et elle fait face à une profonde division. Compte tenu de la gravité de la situation, deux perspectives émergent pour interpréter ces événements. La première est celle des pessimistes. Parmi eux, on distingue deux groupes. Le premier considère que les jeunes qui manifestent dans la rue ont rompu avec leur identité française. Ils alimentent leur révolte contre une nation dans laquelle ils estiment ne jamais pouvoir s’intégrer pleinement. Le deuxième groupe de pessimistes soutient que la jeunesse, majoritairement musulmane et d’origine arabe et africaine, refuse de jurer allégeance à la France et cherche à détruire le pays et son Histoire.
Je crois en la perspective optimiste, qui affirme que la France a la capacité de s’adapter et de se réconcilier avec tous ses citoyens. Attardons-nous sur ce côté optimiste. La France surmontera ces défis, et elle en sortira plus forte qu’auparavant. Elle trouvera un moyen de transformer ce scénario cauchemardesque en un scénario d’autonomisation. Le pays reconnaîtra le potentiel inexploité de sa jeunesse, qui, forte de sa double culture, peut contribuer à la croissance et à la prospérité de la France, tout en renforçant son rôle et sa mission à travers le monde.
Ces jeunes sont incontestablement des Français. Ce ne sont pas des migrants. Ils appartiennent à la troisième, voire quatrième génération de citoyens français. La terre de leurs ancêtres n’a que peu d’importance pour eux; c’est la France qui définit leur identité. Il est donc injuste de dire à ces jeunes de «retourner dans leur pays» s’ils expriment leur mécontentement vis-à-vis de la France. La France est leur pays. Il n’y a nul doute à ce sujet.
Alors que certaines voix de gauche dénoncent l’oppression et un État structurellement raciste et violent, l’Histoire montre que les migrants italiens, espagnols, portugais, polonais et plus tard chinois et vietnamiens ont été victimes de préjugés lorsqu’ils se sont installés en France, mais qu’ils ont fini par faire partie intégrante de la nation. En outre, même pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque la communauté juive a fait face à la trahison de son propre État de la manière la plus horrible et la plus violente qui soit, elle est restée attachée à la France et a tenu bon en attendant que l’occupation et l’oppression soient levées. Elle s’est même mise au service du pays bien qu’il lui ait tout pris.
«Il faut des efforts acharnés, un dur labeur et de la persévérance pour qu’une communauté se forge une place au sein de la société.»
Khaled Abou Zahr
La vérité est que, pour les migrants, au fil des générations, et partout dans le monde, le voyage est ardu. Il faut des efforts acharnés, un dur labeur et de la persévérance pour qu’une communauté se forge une place au sein de la société. Cela nécessite des sacrifices et exige de la solidarité. Par conséquent, les individus peuvent soit s’efforcer d’assurer leur place, soit adopter une mentalité de victime et choisir l’isolement volontaire. J'ai choisi la voie optimiste de la valeur ajoutée et de l'intégration à la France. Rien, pas même l’islam – comme certains le prétendent – n’entrave cette possibilité.
Le racisme existe-t-il en France? Sans aucun doute. Accorde-t-on aux Français de souche un traitement préférentiel? Certainement. Pourtant, en aucun cas, il ne s’agit de racisme institutionnalisé. Le racisme existe partout. Il est vrai qu’avoir un nom purement «gaulois» peut conférer certains avantages sur le marché du travail. On pourrait même soutenir qu’un traitement préférentiel peut s’étendre aux individus d’une même région française. Historiquement, le commerce à Paris met en valeur ce traitement et montre comment la solidarité entre enfants d’une même région a contribué au développement des entreprises et des intérêts. Les Bretons, les Alsaciens et les Aveyronnais ont chacun renforcé la solidarité au sein de leur communauté tout en faisant rayonner Paris et la France.
En réalité, plusieurs facteurs ont contribué à la situation actuelle des Français d’origine arabe ou africaine, notamment la négligence de l’État, mais surtout la manipulation politique et la corruption. La négligence a conduit, avant même l’éclatement de ces dernières tensions, à des zones où la police n’intervient pas, craignant d’être agressée si elle venait à y pénétrer. Il est facile de rejeter la faute sur la police, mais il faut tenir compte des risques auxquels elle est confrontée dans des zones aussi instables. Les tensions accrues et les actes de violence fréquents ne font qu’amplifier le potentiel de terribles erreurs. Malheureusement, dans les circonstances actuelles, la police sert de bouc émissaire. Elle paye le prix de toute la négligence et de l’incompétence des politiciens et des dirigeants des communautés locales.
«Les divisions entre les musulmans français, ainsi qu’entre les Arabes et les Africains sont plus profondes que celles qui existent avec le reste de la société.»
Khaled Abou Zahr
Des voyous, des dirigeants soumis, des chefs religieux, des artistes et des sportifs célèbres s’expriment au nom de la communauté musulmane. Oui, je dresse délibérément un portrait caricatural. Chacun de ces stéréotypes existants a été utilisé par tous les mouvements politiques. Comment se fait-il qu’aucun avocat, banquier ou entrepreneur prospère ne s’exprime au sein de la communauté, comme c’est le cas avec d’autres groupes? En réalité, les divisions entre les musulmans français, ainsi qu’entre les Arabes et les Africains sont plus profondes que celles qui existent avec le reste de la société. Il est grand temps que cela change.
Ainsi, si nous nous concentrons sur les opinions politiques de la communauté, nous remarquons qu’elles ont majoritairement soutenu les idéologies de gauche, de la même façon que les Noirs américains votent souvent pour les démocrates. La gauche a habilement élaboré un récit qui dépeint la politique conservatrice comme intrinsèquement raciste. Par conséquent, les musulmans français ou les personnes d’origine africaine ou arabe qui s’alignent sur les opinions conservatrices ou même rejettent le récit de la victime sont injustement étiquetés comme ayant trahi leur propre communauté.
À titre d’exemple, lors du premier tour de l’élection présidentielle de l’année dernière, près de 70% des musulmans français ont voté pour le candidat de gauche, Jean-Luc Mélenchon. Historiquement, la gauche a apporté généreusement son soutien à ces communautés au moyen de logements et de subventions, entre autres. Quelque dix milliards d’euros par an sont alloués à ces domaines. Par conséquent, la communauté est souvent réduite à son rôle de victime.
Une fois de plus, je ne nie pas qu’il y ait de l’injustice. Cependant, il y a plus de possibilités que d’injustices. Le moment est venu pour la France de revoir son système de subventions. Il convient également de se remémorer que les migrants italiens, espagnols, chinois, polonais et juifs ont été victimes de préjugés similaires, mais qu’ils ont persévéré et se sont battus pour assurer leur place légitime au sein de la société et se mettre au service de leur pays. C’est précisément ce à quoi ces communautés devraient aspirer.
Il est désormais impératif pour les musulmans français et les individus d’origine arabe et africaine de se dissocier de la gauche, qui n’a pas réussi à libérer leur véritable potentiel, mais simplement une infime partie de ce qu’ils sont vraiment capables de réaliser. Nous ne sommes pas des victimes. Nous avons le pouvoir d’apporter notre propre contribution à notre pays. Le moment est venu.
Khaled Abou Zahr est le fondateur de Barbicane, une plate-forme de syndication d’investissements axée sur l’espace. Il est PDG d’EurabiaMedia et rédacteur en chef d'Al-Watan al-Arabi.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com