Doha a accueilli cette semaine trois jours de dialogue informel arabo-iranien. La conférence, qui s'est déroulée en grande partie à huis clos, revêtait une importance particulière puisqu’elle s'est tenue peu de temps après de nouveaux développements qui indiquent que nous sommes peut-être à l'aube d'un nouveau départ.
Les participants iraniens comptaient d'anciens fonctionnaires et des représentants de haut niveau d'universités et d'institutions semi-officielles. Ils ont offert des perspectives variées sur la politique régionale de Téhéran. La plupart d'entre eux ont exprimé un nouveau désir d'engagement, de réconciliation et de coopération. Pour la première fois, ils ont accepté l'idée de discuter avec le Conseil de coopération du Golfe (CCG) du programme nucléaire iranien. Sur certaines questions régionales, ils ont fait preuve de flexibilité, ce qui s’est révélé encore plus évident lors des discussions qui ont eu lieu en marge de l'événement principal. Certains, cependant, ont semblé s'attarder sur le passé et n'ont pas proposé de nouvelles idées.
Les relations avec l'Iran ont été difficiles la plupart du temps depuis la révolution de 1979, lorsque l'Iran a déclaré son objectif d'exporter cette révolution. Depuis, Téhéran a réussi à exporter une version de son modèle dans certaines parties de la région, mais avec des résultats désastreux, tant pour l'Iran que pour ses voisins. La militarisation de l'économie iranienne et ses engagements extérieurs ont appauvri sa population et mené un pays, autrefois prospère, au bord de l'effondrement. Les pays dans lesquels l'Iran s'est impliqué, comme la Syrie et le Yémen, s'en sortent encore plus mal.
Le sommet de la Ligue arabe, qui s'est tenu à Djeddah le 18 mai, a pris l'initiative d'une désescalade régionale. Pour ce faire, il a revu ses positions sur l'Iran, essayant de désamorcer certaines des crises régionales dans lesquelles Téhéran est impliqué, notamment au Yémen, en Syrie, en Irak et au Liban, en encourageant le dialogue et la réconciliation. L'invitation de Bachar al-Assad, proche allié de Téhéran, s'inscrivait dans cette démarche. L'Arabie saoudite a présidé le sommet et dirigera la Ligue arabe jusqu'au prochain sommet en 2024, ce qui lui donnera l'occasion d'influer sur la mise en œuvre des décisions prises à Djeddah.
En mars, l'Arabie saoudite et l'Iran ont accepté, avec l'aide de la Chine, de relancer leurs relations diplomatiques après sept ans de rupture. Cette avancée diplomatique a provoqué une onde de choc dans la région et a ouvert la voie aux positions de réconciliation adoptées lors du sommet de la Ligue arabe. Au-delà de la simple reprise des relations diplomatiques, les deux pays ont souligné, dans une déclaration commune publiée à Pékin, leur attachement à la «souveraineté des pays et à la non-ingérence dans leurs affaires intérieures», faisant ainsi référence à deux principes importants qui sous-tendent le conflit avec l'Iran. Le fait que l'Iran ait accepté de prendre cet engagement a constitué un autre progrès décisif.
Sur les deux rives du Golfe, l'envie est grande de revenir en arrière, à l'époque où la région vivait dans la paix, la sécurité et la stabilité relatives. Au fil des siècles, les mêmes tribus et familles y ont vécu et elles ont entretenu des liens culturels riches et des relations économiques florissantes.
Cependant, les choses se sont compliquées au cours des quatre dernières décennies. Des désaccords importants entre les deux parties existent. Parallèlement, elles partagent le même espace et ont des intérêts économiques et stratégiques communs tout aussi importants, ce qui rend impérative la résolution de ces désaccords. En ce qui concerne les questions sur lesquelles il est difficile de parvenir à un consensus, il devrait y avoir un moyen clair de les gérer politiquement et pacifiquement, conformément aux normes internationales qui régissent les relations entre les pays.
Le sommet arabe a souligné que la sécurité régionale arabe est indivisible. La sécurité du Golfe fait partie intégrante de la sécurité arabe; la sécurité des pays arabes est tout aussi importante pour le Golfe. Ce fait rend l'Iran mal à l'aise. Téhéran ne comprend pas pourquoi les pays du CCG s'inquiètent de la domination de l'Iran sur des pays arabes tels que la Syrie, le Liban ou le Yémen. L’Iran ne voit pas non plus la nécessité de s'abstenir de former, de financer ou d'armer des milices dans les pays arabes, même lorsque ces milices utilisent la force pour prendre le pouvoir et se livrent à de graves violations des droits de l'homme.
Il y a aussi un sérieux différend entre l'Iran et ses voisins du Golfe en ce qui concerne la coopération internationale en matière de sécurité. Les pays du CCG sont des membres actifs d'importants partenariats en matière de sécurité, notamment les Forces maritimes combinées, qui coordonnent le travail de trente-huit pays pour lutter contre les activités illicites d'acteurs non étatiques, telles que la piraterie et la contrebande.
Sur les deux rives du Golfe, l'envie est grande de revenir en arrière, à l'époque où la région vivait dans la paix, la sécurité et la stabilité relatives.
Dr Abdel Aziz Aluwaisheg
À l'inverse, l'Iran s'oppose farouchement à toute présence étrangère en matière de sécurité, utilisant des discours populistes sur la fin du colonialisme et de la domination étrangère.
Il faut bien préparer le terrain pour que les discussions de fond sur les questions urgentes aboutissent. Il est donc nécessaire de s’accorder sur des règles qui régissent les relations entre les pays de la région et des mesures de confiance en vue de maintenir la désescalade. Ces questions peuvent être discutées selon cinq volets interdépendants.
Le volet politique et diplomatique couvre la discussion des questions régionales telles que la Palestine, la Syrie, le Liban et le Yémen afin d'encourager les solutions politiques conformément aux résolutions de l'ONU, sans recours à la force ou aux menaces pour atteindre les objectifs politiques. Il couvre également la prolifération des armes nucléaires, des missiles et des drones, en particulier au profit d'acteurs non étatiques.
Le volet sécuritaire couvre le terrorisme, les milices sectaires et d'autres groupes armés qui opèrent en marge de la loi.
Le volet économique explore les opportunités de commerce et d'investissement, notamment dans le domaine des énergies renouvelables.
Le volet qui porte sur la durabilité examine les possibilités de coopération dans les efforts visant à inverser le changement climatique et à réhabiliter l'environnement marin du Golfe.
Enfin, la relance des échanges culturels arabo-iraniens, historiquement riches, pourrait être discutée dans le cadre du volet culturel.
Pour garantir le succès de cet engagement, les discussions devraient inclure des canaux officiels et non gouvernementaux, en particulier des groupes d'entreprises, des universités et des centres de recherche.
Les grands progrès réalisés par les pays du CCG au cours des dernières décennies en termes d'économie, de développement social, d'éducation, de culture et d'arts pourront être rendus plus solides, plus complets et plus durables lorsque l'Iran et ses voisins seront en mesure de rétablir la confiance et l'esprit de collaboration et d'intégration nécessaires. L'Iran pourrait alors bénéficier des mêmes avantages d'intégration que les États du CCG.
Abdel Aziz Aluwaisheg est secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe (CCG) pour les affaires politiques et les négociations. Il est par ailleurs chroniqueur pour Arab News. Les opinions exprimées dans cet article sont personnelles et ne représentent pas nécessairement celles du CCG.
Twitter: @abuhamad1
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com