Dans le contexte actuel d'interdépendance de l'économie mondiale, la force des devises et les décisions unilatérales prises par certains pays ont un impact important sur le monde entier. La domination du dollar américain sur le marché des changes met souvent en danger les autres pays. Je me demande si le moment n'est pas venu d'établir des politiques monétaires indépendantes.
La plupart du temps, nos économies sont étroitement liées, de manière négative, à un pays qui trace la voie économique et financière du monde en fonction de ses propres intérêts et de ses décisions unilatérales. Cette dépendance est néfaste en raison des politiques de la Réserve fédérale et de la manière dont elle gère les crises. Les pays du monde sont obligés de rejoindre la Réserve fédérale et de suivre la même politique monétaire avec une connaissance préalable des dommages qu'elle pourrait causer à leurs économies, en particulier de façon récente, après que les taux d'inflation ont atteint 5% environ aux États-Unis. La Banque centrale américaine a augmenté ses taux d'intérêt dix fois en quatorze mois, les portant à leurs plus hauts niveaux en près de vingt ans, selon la BBC.
D'autre part, les États du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ont prouvé leur suprématie et leur influence économique et politique au niveau mondial, en plus de leur position stratégique en tant que point géographique central. Ces pays sont des acteurs majeurs dans les domaines économiques et politiques sur la scène mondiale, que ce soit à travers le commerce pétrolier qui règne sur le marché mondial, ou les échanges commerciaux non pétroliers qui ont dépassé, par exemple, 281 milliards de dirhams (76 milliards de dollars) entre les EAU et le groupe des États du Golfe en 2022, soit une augmentation de 14% par rapport à 2021, selon le journal émirati Al-Bayan.
Partant de ces constats, il est grand temps que les pays du CCG prennent pleinement la barre, notamment sur le plan économique, en instaurant une monnaie commune. La République arabe égyptienne et le Royaume hachémite de Jordanie peuvent être invités à y adhérer. Une telle mesure réduirait la dépendance et assurerait une plus grande indépendance dans l'élaboration des politiques monétaires, en plus de consolider la stabilité économique et de consolider l'intégration régionale. Cela renforcerait également la position des Émirats arabes unis et de l'Arabie saoudite en tant que leaders mondiaux, grâce à leurs infrastructures, qui ont de solides bases économiques, sociales et politiques.
Khalaf Ahmad al-Habtoor
Nos économies sont étroitement liées, de manière négative, à un pays qui trace la voie économique et financière du monde entier
Il convient de noter qu'un tel modèle n'est pas un produit de l'imagination. Il existe des exemples réussis, comme l'alliance des BRICS (composée du Brésil, de la Russie, de l'Inde, de la Chine et de l'Afrique du Sud), qui cherche à établir sa propre monnaie pour protéger ses États membres des fluctuations et de l'influence du dollar américain, et leur donner davantage de contrôle sur leurs économies et leurs politiques monétaires. Comme l'a dit Alexander Babakov, vice-président de la Douma russe, la monnaie unifiée des BRICS sera développée de manière stratégique et ne sera pas indexée sur le dollar américain ou l'euro – les pays membres prévoyant de soutenir leur monnaie au moyen de l'or et des métaux précieux.
En Europe, l'euro est apparu comme un moyen solide et efficace de se débarrasser de la domination du dollar. La zone euro (comprenant 19 États membres de l'Union européenne) a adopté l'euro comme monnaie commune. L'euro donne à ces pays une plus grande autonomie et un meilleur contrôle interne sur les facteurs économiques. Malgré les difficultés économiques occasionnelles et les disparités au sein de la zone euro, l'euro se présente comme une alternative viable au dollar, offrant la possibilité de réussir à se libérer de l'hégémonie du dollar.
Il est grand temps que les pays du CCG prennent pleinement la barre, notamment sur le plan économique, en instaurant une monnaie commune
Khalaf Ahmad al-Habtoor
L'expérience de l'interdépendance économique entre les États du CCG est l'un des exemples les plus cruciaux et les plus réalistes de l'ordre mondial à ce jour. Nous devons nous libérer des entraves et des fluctuations du dollar. Nous aurons seuls le droit de décider de notre sort et du sort de nos économies. La politique définit l'économie, elles sont réciproquement interdépendantes. À la lumière des événements actuels dans le monde, la situation économique mondiale, à savoir les politiques monétaires et l'indépendance économique des États, doit être reconsidérée.
Grâce à leur perspicacité économique et à leur importance géopolitique, les États du CCG ont le potentiel de montrer la voie vers le développement d'une monnaie commune en collaboration avec l'Égypte et la Jordanie. Cela leur permettrait d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques monétaires, et leur donnerait la flexibilité nécessaire pour réagir plus efficacement aux conditions économiques nationales et mondiales. Elle renforcerait le sentiment d'identité commune et d'unité entre les États du CCG et symboliserait une vision commune et des objectifs partagés, facilitant les échanges commerciaux et les flux d'investissement entre les pays, encourageant les activités économiques transfrontalières et promouvant une coopération étroite en matière de politique budgétaire.
Une monnaie commune non indexée sur le dollar montrerait l'engagement du CCG en faveur de l'indépendance économique et de l'autonomie. Elle transmettrait un message fort à la communauté internationale: les pays du CCG peuvent tracer leur propre voie économique et réduire leur dépendance vis-à-vis des facteurs externes.
Khalaf Ahmad al-Habtoor est un homme d'affaires et une personnalité publique éminente des EAU. Il est réputé pour ses opinions sur les affaires politiques internationales, ses activités philanthropiques et ses efforts pour promouvoir la paix. Il a longtemps agi en tant qu'ambassadeur officieux de son pays à l'étranger.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com