Comment un incident en Méditerranée orientale a tourné en faveur de la Turquie

L'opération IRINI monte à bord et inspecte le cargo MV Roseline A, battant pavillon turc (@EUNAVFOR_MED)
L'opération IRINI monte à bord et inspecte le cargo MV Roseline A, battant pavillon turc (@EUNAVFOR_MED)
Short Url
Publié le Lundi 07 décembre 2020

Comment un incident en Méditerranée orientale a tourné en faveur de la Turquie

Comment un incident en Méditerranée orientale a tourné en faveur de la Turquie
  • L'Union européenne affirme que l'opération est conforme à la résolution 2292 du Conseil de sécurité des Nations unies
  • Une autre théorie de conspiration ironique soutient que des agents turcs auraient donné une fausse alerte selon laquelle le navire transportait des armes

Le mois dernier, un navire cargo turc a été intercepté et fouillé en Méditerranée orientale par une frégate allemande opérant sous le commandement de la Force navale de l'Union européenne en Méditerranée, dans le cadre de l'opération Irini. Les versions turque et européenne présentent plusieurs divergences quant au déroulement de cet incident. 

La première divergence concerne l'autorisation qui a dû être obtenue pour que la fouille puisse être menée. L'Union européenne affirme que l'opération est conforme à la résolution 2292 du Conseil de sécurité des Nations unies. Cependant, cette résolution prévoit que des « efforts de bonne foi » doivent d'abord être entrepris pour « obtenir le consentement de l'État du pavillon avant que toute inspection n’ait lieu». 

Pour justifier son action, l'UE a déclaré qu'elle avait informé les autorités turques que le navire ferait l'objet d'une inspection. Cependant, la Turquie a officiellement refusé d'accorder l'autorisation demandée, 16 minutes avant l'expiration du délai supplémentaire qui lui avait été accordé. L'Allemagne, de son côté, affirme que le délai a expiré et que, selon la tradition, ce retard peut être considéré comme une autorisation implicite. Se fondant sur cette justification peu convaincante, l'Allemagne a alors envoyé des soldats à bord du navire et a procédé à l'inspection. 

La deuxième divergence concerne le temps que les soldats allemands ont passé à bord du navire. Selon une déclaration d'un porte-parole de l'opération Irini : « N'ayant reçu aucune réponse des autorités turques au terme du délai, l'opération Irini a arraisonné le navire et l'a inspecté conformément aux procédures convenues au niveau international... L'inspection a ensuite été suspendue, lorsque la Turquie a notifié, officiellement et tardivement, l'opération Irini de son refus d'accorder l'autorisation d'inspecter le navire ». 

Cette information présente de grands contrastes avec celle fournie par les autorités turques. En effet, celles-ci ont affirmé que des soldats allemands sont montés à bord du navire 16 minutes après que la Turquie a communiqué au quartier général de l'opération Irini à Rome son refus formel d'accorder l'autorisation. Ils ont tout de même poursuivi l'inspection et ont forcé l'équipage à ouvrir les conteneurs à une heure tardive de la nuit. Aucune cargaison illicite n'a été détectée. En outre, des photos prises lors de l'inspection ont ensuite inondé les médias sociaux en Turquie, montrant l'équipage se faisant conduire les mains sur la tête par des soldats allemands. 

Cet incident a engendré plusieurs théories de conspiration qui se sont propagées en Turquie. L'une d'entre elles pointe du doigt la Grèce. 

Yasar Yakis 

La troisième divergence concerne le consentement que l'opération Irini a dû obtenir du Gouvernement d'union nationale (GNA) libyen avant de procéder à la fouille. Par ailleurs, la résolution 2292 prévoit que ces opérations doivent être menées « après avoir consulté le GNA de manière appropriée». Cependant, le gouvernement de Tripoli a contesté en avril l'opération menée par l'UE et a affirmé qu'il avait conclu un accord avec le gouvernement turc pour que celui-ci approvisionne la Libye en armes et que la mise en œuvre de cet accord ne devait pas être suspendue. Ainsi, la manière dont l'opération a été menée le mois dernier constituait une violation de la résolution des Nations unies.  

La quatrième divergence porte sur les motifs de la fouille. La résolution de l'ONU prévoit que, pour justifier l'inspection d'un cargo, il doit y avoir « des motifs valables permettant de considérer qu'il transporte des armes ou du matériel similaire à destination ou en provenance de la Libye ». Le résultat de l'inspection révèle que la présomption de l'UE était injustifiée, et l'UE se doit donc d'expliquer à la Turquie quels étaient les « motifs raisonnables » qui l'ont conduite à présumer que le navire transportait une cargaison illégale. 

Cet incident a engendré plusieurs théories de conspiration qui se sont répandues en Turquie. L'une d'entre elles pointe du doigt la Grèce. Si la frégate battait pavillon allemand, la rumeur dit que le capitaine était grec et qu’un amiral italien était chargé de l'opération. Cette structure de commandement complexe a sans doute davantage compliqué l'opération. Même si le capitaine a bel et bien exécuté les ordres qu'il a reçus du commandant italien, le public turc a rapidement affirmé que la Grèce a certainement été impliquée dans une tentative de ternir l'image de la Turquie. 

Une autre théorie de conspiration ironique soutient que des agents turcs auraient donné une fausse alerte selon laquelle le navire transportait des armes, induisant ainsi le QG de l'opération Irini en erreur et l'amenant ainsi à prendre une décision infondée. 

Quels que soient les motifs réels, l'opération a certes fait une victime de la Turquie ; situation qui va exacerber les divisions à la veille du sommet européen prévu cette semaine.  

En dépit des allégations et des allégations contraires, aucune des deux parties n'a été lésée de manière irréparable. La solution la plus raisonnable consiste donc à ce que la Turquie et l'UE mettent en lumière tous les aspects de l'opération et qu'elles règlent cette polémique par une poignée de main civilisée et par une indemnisation, si nécessaire. 

Yasar Yakis a été ministre des Affaires étrangères en Turquie; il est membre fondateur du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir. 

Twitter: @yakis_yasar 

NDLR: Les opinions exprimées par les rédacteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News. 

Ce texte est la traduction d’une tribune parue sur www.Arabnews.com