La Ligue arabe a annoncé dimanche qu'elle avait réadmis la Syrie. Deux jours plus tôt, la porte-parole régionale du Département d'État américain, Hala Ghrait, annonçait que la Maison-Blanche était opposée à une normalisation avec Bachar al-Assad tant que le régime refuserait de changer de conduite. Cependant, l'ouverture arabe est loin d'être une normalisation. Au mieux, elle peut être décrite comme un engagement conditionnel.
Jusqu'à présent, M. Al-Assad n'a fait preuve que de rigidité. Il pense que les États arabes du Golfe vont simplement le reconnaître comme le vainqueur de la guerre en Syrie et lui accorder des milliards de dollars (1 dollar = 0,91 euro) pour la reconstruction.
L'Arabie saoudite a publié un communiqué à la suite de la visite à Damas, le mois dernier, du ministre des Affaires étrangères, le prince Faisal ben Farhane, dans lequel la lutte contre le trafic de stupéfiants a été mise en avant. Peu après cette visite, et alors que le ministre syrien des Affaires étrangères rencontrait ses homologues arabes à Amman, en Jordanie, les autorités saoudiennes ont démantelé une cargaison de Captagon à Djeddah. Ce que cela révèle, c'est que Bachar al-Assad n'a aucun contrôle sur ce qui se passe sur le terrain.
Même s'il n'était pas disposé à changer de comportement, M. Al-Assad n'aurait pas envoyé la cargaison si tôt. Il aurait attendu d'avoir profité de l'accord. Cet épisode montre que, selon toute vraisemblance, le processus progressif lié à la réadmission de Bachar al-Assad au sein de la Ligue arabe ne fonctionnera pas. Même s'il est disposé à le faire, ce dont on peut fortement douter, il est incapable de remplir les conditions de base pour stabiliser la Syrie et assurer le retour des réfugiés en toute sécurité.
Il convient donc d'adopter une stratégie parallèle. L'Union européenne (UE), qui est la plus préoccupée par la Syrie parce qu'elle ne veut pas d'une nouvelle vague de réfugiés se dirigeant vers ses frontières, devrait faire un effort sérieux pour stabiliser le pays – et cela ne signifie absolument pas qu'il faille parler à M. Al-Assad. La communauté internationale devrait s'adresser aux patrons de Bachar al-Assad, la Russie et l'Iran. Pour y parvenir efficacement, la communauté internationale doit travailler avec l'Arabie saoudite. L'Europe, en raison des sanctions, ne peut pas traiter avec la Russie, mais l'Arabie saoudite le peut. Quant à la question iranienne, l'Arabie saoudite œuvre pour un rapprochement dans ce dossier. La Syrie peut être un terrain de coopération.
Même si Bachar al-Assad est disposé à le faire, ce qui est improbable, il est incapable de remplir les conditions de base pour stabiliser la Syrie.
- Dania Koleilat Khatib
Les objectifs devraient être de stabiliser la situation sécuritaire, d'assurer le retour en toute sécurité des réfugiés et de relancer l'économie locale afin que les gens puissent subvenir à leurs besoins.
La région de Deraa, dans le sud-ouest, est le fruit le plus facile à cueillir. Les Russes ont bien tenté de mettre en place une réconciliation locale à Deraa afin de stabiliser la région, mais cela a échoué, car le régime a manqué à tous ses engagements. En 2018, un accord a été négocié entre le régime et l'opposition, sous l'impulsion des Russes et avec l'aval des Américains.
L'accord prévoyait que les forces d'opposition se réconcilient avec le régime et deviennent une légion dans l'armée, la 8e brigade rejoignant le 5e corps d'armée, sous contrôle russe, en échange de l'amnistie accordée par le régime à ses combattants et de la réintégration dans leurs fonctions de ceux qui étaient employés par le gouvernement. L'accord comprenait douze points, mais le régime ne s'est engagé sur aucun d'entre eux.
Les jeunes hommes qui avaient été amnistiés ont été arrêtés à un poste de contrôle sur le chemin de Damas, torturés et tués, et leurs corps ont été renvoyés à leurs familles. La tractation russe a donc échoué à cause de Bachar al-Assad. Néanmoins, la Russie n'a pas d'autre choix en Syrie que de le soutenir, car il garantit la juridiction de Moscou sur sa seule base navale en Méditerranée. Tout au long de l'Histoire, la Russie a mené des guerres pour atteindre des eaux chaudes. La Syrie est le seul point d'appui de la Russie en Méditerranée.
La Russie et l'Iran misaient sur le fait que la communauté internationale accepterait M. Al-Assad et lui donnerait des fonds pour la reconstruction, ce dont ils bénéficieraient. Ils se rendent compte aujourd'hui que ce n'est pas le cas et que Bachar al-Assad est plus susceptible de connaître le même destin qu'Omar el-Béchir. Il est peu probable que les sanctions de la loi César soient levées et qu'il soit accepté par la communauté internationale. Les espoirs d'une solution globale s'évanouissent donc.
Un accord avec la Russie devrait être conclu en contournant le régime. L'accord devrait inclure la reconnaissance internationale de la juridiction de Moscou sur la base navale de Tartous. Bien que la communauté internationale s'efforce de délégitimer la Russie et de limiter sa présence dans le monde, elle doit faire ce compromis afin de rallier le Kremlin à la fin du conflit. L'accord devrait également prévoir la participation d'entreprises russes au réaménagement de Deraa, en collaboration avec les conseils locaux et en présence d'observateurs internationaux. La Russie devrait ensuite garantir le retour en toute sécurité des personnes déplacées à l'intérieur du pays qui sont originaires de Deraa, mais qui sont actuellement à Idlib.
Il est dans l'intérêt du Hezbollah de se retirer des zones qu'il occupe en Syrie afin de faciliter le retour des réfugiés.
- Dr Dania Koleilat Khatib
Un autre accord devrait être conclu concernant les zones autour du Liban, où les principaux acteurs sont l'Iran et le Hezbollah. La plupart des réfugiés au Liban viennent de zones occupées par le Hezbollah, telles que Qalamoun, Qsair, Harasta et Zabadani. Fondamentalement, l'Iran est en Syrie pour sécuriser la «Syrie utile», terme qui décrit le pont terrestre qui relie l'Irak au Liban et à la Méditerranée. L'Iran a assuré cette sécurité, mais à un prix élevé. Les forces iraniennes sont confrontées à des bombardements réguliers de la part d'Israël et ces frappes sont susceptibles de s'intensifier à mesure que Tel-Aviv se sent en danger. Cela signifie que leur présence n'est pas durable.
Sur le plan intérieur, au Liban, une vaste campagne est menée contre les réfugiés syriens. La population demande leur retour en Syrie. Le Hezbollah s'inquiète de leur présence au Liban. Selon une source du Hezbollah, quatre-vingt mille des réfugiés syriens au Liban sont armés. Il s'agit d'une bombe à retardement, car si les réfugiés utilisent ces armes, ce sera principalement contre ceux qui les ont chassés de chez eux.
Il est donc dans l'intérêt du Hezbollah de se retirer des zones qu'il occupe en Syrie afin de faciliter le retour des réfugiés. Le Hezbollah ne voudrait pas qu'un groupe armé hostile traverse la Syrie et les prenne pour cible au Liban. Zabadani, à titre d’exemple, est un point stratégique en Syrie qui surplombe la vallée de la Bekaa, bastion du Hezbollah.
Ce retrait devrait s'accompagner du déploiement d'une force islamique conjointe, comprenant des troupes de dissuasion arabes et iraniennes. Il est peu probable qu'Israël frappe des unités comprenant des forces arabes du Golfe. D'autre part, Israël sera apaisé, car les forces iraniennes opéreront dans un cadre qui leur permettra de contrôler leurs activités hostiles à l'égard d'Israël. La communauté internationale devrait reconnaître la légitimité d'une telle force.
Ces deux accords constitueraient un tremplin vers un accord plus spécifique à l'ensemble du pays. Ils rendraient également M. Al-Assad inutile aux yeux de ses protecteurs. C'est bien mieux et plus efficace que de conclure un accord avec le dictateur brutal, qui utilisera tous les fonds pour reconstruire son régime.
Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com