Après le désengagement des anciennes puissances coloniales, principalement la France et le Royaume-Uni, les pays africains se retrouvent de plus en plus investis par des intérêts économiques et stratégiques d’États davantage soucieux de leurs intérêts que de codéveloppements. Très souvent, les nouvelles puissances désireuses de se développer en Afrique se comportent en effet d’une façon encore plus prédatrice que ce qui pouvait se pratiquer auparavant, tirant même profit de conflits et de la déstabilisation de régions entières.
Dans ce cadre assez désavantageux pour de nombreux États africains, parfois riches en ressources, mais souvent dépourvus de structures étatiques solides, les partenariats réellement équilibrés sont peu nombreux et ils viennent parfois de pays arabes. On a pu notamment le constater avec l’action de l’Arabie saoudite et de plusieurs de ses entreprises, mais aussi et surtout des Émirats arabes unis (EAU).
À titre d’exemple, l’Arabie saoudite, par l’intermédiaire de la National Shipping Company of Saudi Arabia, a annoncé au début du mois de mars la création d’une compagnie de transport maritime en Égypte. Cette société aura vocation à exploiter des navires pour le transport de marchandises, ainsi que de produits chimiques et de pétrole. Déjà, en 2021, le ministre saoudien de l’Investissement avait fait part de l’intérêt du Royaume à investir dans le port de Lomé, au Togo.
Concernant les EAU, ils peuvent s’appuyer sur le troisième opérateur portuaire mondial, DP World. Ainsi, le président sénégalais, Macky Sall, a signé avec cette société un contrat d’investissement de plus de 1 milliard de dollars (1 dollar = 0,91 euro) en 2020 afin de créer de toutes pièces un port à 70 km de Dakar. Le président sénégalais indiquait alors les trois objectifs de ce partenariat: en premier lieu, décongestionner le port de Dakar; donner une impulsion au transport de marchandises, mais surtout, et c’est ce dont l’Afrique manque parfois cruellement, développer une chaîne logistique autour du fret maritime à l’échelle du pays et de l’Afrique de l’Ouest.
Investir plus de 1 milliard de dollars en Afrique pour une infrastructure portuaire au Sénégal est loin d’être anodin pour les EAU.
Arnaud Lacheret
Investir plus de 1 milliard de dollars en Afrique pour une infrastructure portuaire au Sénégal est loin d’être anodin pour les EAU. Le volume d’échanges annuel entre les deux pays est significatif, mais encore loin d’atteindre de telles sommes (on parle de 625 millions de dollars par an jusqu’à présent). Cela témoigne donc d’une volonté pour les EAU de s’installer durablement sur le continent africain avec notamment un projet d’investissement au Kenya, dans la zone du port de Mombasa, pour un montant de 300 millions de dollars, ou encore le port de Berbera au Somaliland. La société DP World a par ailleurs d’autres projets en Égypte et sur la côte Est de l’Afrique, mais celui de Ndayane est de loin l’investissement le plus important de son Histoire.
Ces investissements, s’ils servent évidemment des intérêts nationaux et une stratégie nationale, diffèrent de ceux effectués notamment par la Chine dans le sens où ils s’inscrivent dans une optique de diversification de l’économie et de création d’emplois au Sénégal.
De même, en termes d’image, il est également évident qu’un port géré par une société émirienne sera sans doute beaucoup mieux perçu par des entreprises occidentales qu’un port géré par des sociétés chinoises ou russes. Le port de Ndayane devrait être opérationnel prochainement et il permettra de vérifier s’il s’inscrit effectivement dans une stratégie concertée et réfléchie permettant enfin à l’Afrique francophone de disposer de partenaires fiables alternatifs à ceux représentés par l’ancienne puissance coloniale.
Arnaud Lacheret est docteur en sciences politiques, Associate Professor à Skema Business School et professeur à la French Arabian Business School.
Ses derniers livres: Femmes, musulmanes, cadres… Une intégration à la française et La femme est l’avenir du Golfe, aux éditions Le Bord de l’Eau.
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.