En temps normal, les cent premiers jours du mandat d’un gouvernement sont une sorte de «lune de miel» pour les nouvelles personnes au pouvoir et l’électorat. C’est généralement une période pendant laquelle la nature contradictoire de la campagne électorale est mise de côté et tout le monde – y compris ceux qui n’ont pas voté pour les nouveaux élus – est prêt à accorder au gouvernement naissant au moins le bénéfice du doute tandis que l’administration, pour sa part, essaie au moins de donner l’impression qu’elle gouverne pour le bien de tous.
Cependant, en Israël, pour le sixième gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahou, qui a prêté serment à la fin de l’année dernière et a récemment complété ses cent premiers jours, il n’y a pas eu de période de lune de miel. Le rideau s’est immédiatement levé sur Netanyahou et son spectacle d’horreur messianique, d’extrême-droite et antidémocratique, sans une seconde de répit, sans même le faux-semblant de bipartisme.
Certes, il y a un aspect positif important qui découle de la formation du gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël: elle a délimité, très clairement, les lignes de combat entre ceux qui croient profondément qu’Israël doit rester une démocratie libérale et sont prêts à se battre pour le pays, et ceux qui prônent une démocratie sur papier qui affiche de fortes caractéristiques autoritaires, voire qui ressemble de plus en plus à une théocratie guidée par la jurisprudence halakhique juive.
Le gouvernement actuel vise également à légitimer la corruption, principalement pour empêcher que justice soit rendue dans le procès de Netanyahou pour corruption, fraude et abus de confiance, actuellement en cours devant un tribunal de Jérusalem.
Par conséquent, dans un laps de temps très court, et ce qui est atypique pour Israël, un mouvement de masse a émergé, érigeant la bannière de la démocratie. La formation de ce mouvement pro-démocratie découle de la vitesse fulgurante et de la brutalité avec lesquelles quelques membres de la coalition gouvernementale ont mené, dès le premier jour, un coup d’État législatif d’une ampleur sans précédent. Cela s’est fait sans aucun mandat public global ou consultation – des impératifs lorsqu’il s’agit de proposer des lois aux implications constitutionnelles aussi importantes.
De plus, l’audace du gouvernement, à prétendre à tort que c’était le plan présenté à l’électorat, a même provoqué la colère d’un grand nombre de ses propres électeurs. Les Israéliens se sont habitués à ce que Netanyahou mente effrontément pour valider son récit, mais ne sont plus prêts à le supporter. Les mensonges brutaux et évidents débités à très grande vitesse et qui affirment que la législation proposée est conçue pour rééquilibrer le rapport de force entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire, ne convaincront pas la plupart des Israéliens. C’est pour cela que des centaines de milliers d’entre eux continuent d’investir les rues pour protester toutes les semaines.
Les pouvoirs et les contrepouvoirs sont la pierre angulaire de toute société démocratique. Dans un système parlementaire, la législature est ce qui permet à un gouvernement de se former et de rester au pouvoir. Il revient au pouvoir judiciaire de défendre l’État de droit et le peuple, contre le comportement arbitraire d’un gouvernement, et d’être le garde-fou du peuple et le bastion des droits humains, politiques et civils face à l’autoritarisme et à la corruption.
C’est ce qui fait du pouvoir judiciaire l’ennemi de Netanyahou, des ultra-orthodoxes et de l’extrême-droite.
« Le gouvernement actuel vise à légitimer la corruption, principalement pour empêcher que justice soit rendue dans le procès de Netanyahou ». - Yossi Mekelberg
Le Premier ministre a toujours voulu être perçu comme le gardien de la sécurité d’Israël et de son miracle économique. Il y a beaucoup d’exagération dans ces affirmations et son bilan sur les deux est, au mieux, mitigé.
Cependant, en l’espace d’environ trois mois depuis son retour au pouvoir, il a démontré qu’il était prêt à compromettre à la fois la sécurité du pays et son économie pour rester au pouvoir. Les conséquences inquiétantes de ses actes se font déjà sentir.
À la suite de la campagne éclair de législation antidémocratique introduite par son gouvernement, de nombreux réservistes, parmi lesquels des pilotes et d’autres membres d’unités militaires d’élite cruciales pour les opérations des Forces de défense israéliennes, ont décidé de ne pas se présenter au service. Pendant ce temps, des hauts responsables du Mossad et du Shin Beit s’opposent, très publiquement, à la tentative de destruction délibérée du système judiciaire.
Si cette tendance se poursuit, le Premier ministre et son gouvernement mettront sérieusement en péril les capacités opérationnelles et de dissuasion des forces de sécurité israéliennes.
En outre, la crainte d’une corruption enracinée, d’un gouvernement arbitraire et de tribunaux faibles destabilise également l’économie du pays. Les entreprises technologiques et les personnalités de premier plan de ce secteur transfèrent déjà de l’argent hors du pays et cherchent à se relocaliser, tout comme d’autres entreprises prospères.
Aucun secteur de la société n’est plus mobile que la haute technologie et aucun professionnel n’est plus recherché à l’échelle mondiale que ces magiciens de la technologie. Tout affaiblissement substantiel de cette partie de l’économie israélienne pourrait lui porter un coup fatal et avoir de profondes répercussions sécuritaires et sociales.
D’éminents économistes ont prévenu que la monnaie d’Israël subirait une nouvelle dépréciation et le Moody’s Investors Service a revu à la baisse les perspectives pour l’économie nationale. Elles sont passées de «positives» à «stables» en raison d’une «détérioration de la gouvernance d’Israël, comme l’illustrent les événements récents autour de la proposition du gouvernement de refondre le système judiciaire du pays».
Comme s’il ne suffisait pas de creuser un fossé entre les communautés en incitant à la haine mutuelle et en compromettant la sécurité et l’économie du pays, le gouvernement de Netanyahou a également provoqué une montée des tensions dans les relations avec ses amis et alliés, en plus de s’attirer l’hostilité des communautés juives d’autres pays. Tous sont soucieux de savoir si la démocratie israélienne peut survivre à l’offensive qu’elle subit aux mains de ce gouvernement.
L’accueil froid que Netanyahou a reçu du président américain Joe Biden qui refuse de l’inviter à Washington est pire que tout. Avec d’autres hauts responsables de son administration, il a ouvertement critiqué les tentatives de subordonner le système judiciaire israélien aux caprices de ses politiciens.
Pendant ce temps, les puissances régionales qui ont récemment normalisé leurs relations avec Israël s’inquiètent de la détérioration de ses relations avec les Palestiniens.
Avec les cent premiers jours de ce gouvernement de Netanyahou, Israël se retrouve au bord du gouffre sur de nombreuses questions qui menacent son existence même et son succès. C'est déjà un gouvernement défaillant, avec très peu de chances de se racheter.
En même temps, cependant, il a réussi à tirer le meilleur parti de tant de personnes qui s’opposent à lui pour défendre le système démocratique et ce qu’il a réalisé au cours des 75 dernières années.
Pour toutes les mauvaises raisons, ce gouvernement pourrait s’avérer une bénédiction cachée si ceux qui s’opposent à l’effroyable administration se transforment finalement en un mouvement prêt à diriger le pays.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.
Twitter: @Ymekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com