La crise, à la fois économique et sociale, mais aussi politique, qui sévit en Tunisie, inquiète ses voisins algériens, mais aussi les Européens, en particulier la France et l’Italie. Emmanuel Macron et la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, partagent le même point de vue : il faut venir en aide d’urgence au plus petit des États du Maghreb, afin de stopper («à très court terme», a dit M. Macron) les flux migratoires.
De fait, l’économie tunisienne est en berne. Le tourisme, principale activité tunisienne, est en panne. Les attentats terroristes de 2015, la crise sanitaire de 2020, la guerre en Ukraine ont fini par mettre le pays à plat.
Mais ce n’est pas tout. Le climat politique est extrêmement tendu parce que, face à la crise, le régime du président tunisien s’est durci et multiplie les arrestations d’opposants politiques ou syndicaux, y compris des personnalités de la société civile et des journalistes. L’arrestation il y a quelques jours de Rachid Ghannouchi, leader du parti Ennahdha, en est un nouvel exemple.
Kaïs Saïed, qui concentre en ses mains tous les pouvoirs, s’en prend désormais aux migrants subsahariens avec des déclarations à l’emporte-pièce qui ont provoqué une sorte de séisme dans la population. «Les hordes de migrants clandestins», a-t-il dit le 21 février dernier, «relèvent d’une entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie, en vue d’en faire seulement un pays d’Afrique et non pas un membre du monde arabe et islamique», et compromettre ainsi son identité nationale.
Évidemment, le résultat de ces déclarations complotistes ne s’est pas fait attendre : les immigrés africains, principalement ivoiriens et guinéens, subissent de plus en plus d’agressions verbales ou physiques, perdent inexorablement logement et emploi, et cherchent du coup à quitter le pays par tous les moyens. Les uns rentrent dans leur pays d’origine, d’autres s’embarquent avec des passeurs pour tenter la traversée de la Méditerranée vers les côtes italiennes.
Non seulement beaucoup de jeunes Tunisiens cherchent à quitter leur pays en pleine dérive et fuient vers l’Europe et le Canada, mais il y a maintenant un flux important d’Africains établis en Tunisie et qui en sont purement et simplement chassés sans ménagement.
L’Europe devrait se tourner vers l’Algérie du président Tebboune, lequel a une réelle influence sur son voisin tunisien
D’où l’inquiétude des Européens. Non seulement beaucoup de jeunes Tunisiens cherchent à quitter leur pays en pleine dérive et fuient vers l’Europe et le Canada, mais il y a maintenant un flux important d’Africains établis en Tunisie et qui en sont purement et simplement chassés sans ménagement. À quoi s’ajoute le flux des migrants subsahariens qui continuent de transiter par la Tunisie. Durant les trois premiers mois de l’année 2023, les gardes-côtes tunisiens en ont intercepté quatorze mille en Méditerranée contre trois mille en 2022.
Mais que peut faire l’Europe dans cette situation dramatique ? Force est de reconnaître qu’en dépit d’une gouvernance très critiquable le président tunisien reste populaire avec 60% d’opinions favorables. L’oligarchie issue de la révolution dite du «Printemps arabe» de 2011 est totalement déconsidérée par une décennie d’échecs accumulés. Il n’y a pas d’alternative en vue. Que cela plaise ou non, les Européens n’ont pas d’autre choix que de traiter avec Kaïs Saïed, en commençant par l’aider à redresser la situation économique désastreuse.
Encore faut-il convaincre le président tunisien d’accepter le prêt proposé par le Fonds monétaire international (FMI) et les conditions qui vont avec. Cela signifie que la Tunisie devrait engager des réformes impopulaires, en particulier l’indépendance de la Banque centrale, la liberté des prix et la fin des subventions en tout genre. Mais Kaïs Saïed n’en veut pas. Certes, l’Europe promet d’être solidaire et d’apporter une aide financière généreuse, mais il n’est pas certain que cela suffise ni même que le président tunisien veuille se tourner vers l’Europe pour sortir de la crise où le pays s’enfonce.
L’Europe devrait se tourner vers l’Algérie du président Tebboune, lequel a une réelle influence sur son voisin tunisien. Il y a fort à penser qu’Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune vont en parler lors de la visite d’État prochaine à Paris du dirigeant algérien. Il faudrait aussi convaincre les pays du Golfe de reprendre les financements qu’ils ont suspendus dans l’attente d’un accord avec le FMI, et d’user de leur influence auprès du régime tunisien. La stabilisation de la Tunisie, tant sur le plan politique que s’agissant de son redressement économique, est devenue un enjeu stratégique en Méditerranée.
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.