Le début d’année 2023 a été marqué par un rapprochement diplomatique remarqué entre l’Arabie saoudite et la Chine qui a même débouché sur un début d’apaisement entre le Royaume et l’Iran.
Si l’on voit dans cette stratégie une volonté d’autonomie diplomatique de Riyad, il faut aussi analyser la situation d’un point de vue chinois et élargir le spectre en plaçant ce rapprochement au cœur d’une diplomatie économique chinoise basée notamment sur les ressources.
La croissance économique de la Chine est en effet très gourmande en énergie, ce qui explique à première vue le rapprochement avec les monarchies pétrolières, et notamment avec la première d’entre elles. De fait, la Chine a besoin de pétrole et de gaz pour financer son modèle économique. Toutefois, elle ne s’est jamais contentée d’une relation avec un seul fournisseur et s’est toujours méfiée, souvent à juste titre, du bloc occidental – et tout particulièrement des États-Unis.
Depuis les années 1980, la Chine a compris avant tout le monde l’importance qu’allaient prendre certains minéraux, les terres rares en particulier, mais également d’autres composés comme le coltan, très utile en électronique.
Depuis plusieurs décennies, la Chine a comblé son retard technologique en utilisant un levier puissant: elle a conquis un quasi-monopole sur certaines ressources indispensables en matière d’électronique moderne. Il s’agit de ce que l’on nomme les «terres rares», qui ne sont pas si rares que cela, mais les gisements rentables, pour l’heure, sont très peu nombreux. On trouve ces composés dans tout ce qui utilise de l’électronique, mais aussi dans l’industrie chimique et pétrochimique, et il est impossible de s’en passer.
Depuis les années 1980, la Chine a compris avant tout le monde l’importance qu’allaient prendre certains minéraux, les terres rares en particulier, mais également d’autres composés comme le coltan, très utile en électronique. Elle a donc multiplié les explorations et gisements au fur et à mesure que la demande mondiale augmentait et, aujourd’hui, elle contrôle près de 80% de la production de ces ressources, se retrouvant en situation de contrôler complètement un marché vital pour le reste de la planète.
Le Japon, les États-Unis et l’Union européenne se sont retrouvés dépendants de ces terres rares chinoises et, en 2011, la Chine a décidé de réduire sa production de 40%. Il aura fallu quatre années de batailles à l’Organisation mondiale du commerce pour faire entendre raison aux Chinois, mais cet épisode, passé relativement inaperçu, a poussé les présidents américains successifs à lancer des recherches d’alternatives pour sortir de cette dépendance. En effet, l’électronique présente notamment dans les systèmes d’armements américains dépend en grande partie des terres rares… chinoises… Obama, Trump et Biden se sont donc lancés, un peu tard, dans la course à la diversification, mais on n’ouvre pas des mines aussi rapidement et l’avantage pris par la Chine reste très important.
Ce monopole sur quelques ressources clés indispensables à l’Occident est une stratégie de long terme de la part de la Chine.
La Chine dispose en outre d’un autre avantage compétitif en termes de ressources, situé cette fois à Taïwan. L’île convoitée par la Chine est en effet en situation de quasi-monopole en ce qui concerne la fabrication de semi-conducteurs de petite taille. En 2019, neuf semi-conducteurs sur dix d’une taille inférieure à 10 nanomètres, les plus utiles pour les technologies de pointe, étaient produits à Taiwan. On imagine donc le levier gigantesque qu’aurait la Chine si elle contrôlait Taïwan et ses semi-conducteurs sur l’économie mondiale. On comprend aussi, quand on observe ses chiffres, pourquoi les États-Unis sont à ce point soucieux de garantir l’indépendance de Taïwan.
Ce monopole sur quelques ressources clés indispensables à l’Occident est une stratégie de long terme de la part de la Chine. Elle ressemble un peu à ce qu’ont pu faire les grandes puissances pétrolières à travers la création de l’Opep, lorsqu’elles pouvaient peser sur les cours mondiaux. Cela explique sans doute pourquoi l’Arabie saoudite trouve un intérêt tout particulier à se rapprocher de la Chine. L’essentiel de la croissance du Royaume repose en effet sur les technologies de pointe et donc sur l’accès à des ressources pour le moment jalousement gardées par Pékin. L’Arabie saoudite est l’un des principaux fournisseurs de pétrole et de gaz de la Chine, ce qui est de nature à faciliter les négociations.
Arnaud Lacheret est docteur en sciences politiques, Associate Professor à Skema Business School et professeur à la French Arabian Business School.
Ses derniers livres: Femmes, musulmanes, cadres… Une intégration à la française et La femme est l’avenir du Golfe, aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.