Le président Kaïs Saïed a rejeté ce mois-ci l'idée de mettre en œuvre les réformes économiques exigées par le Fonds monétaire international (FMI) dans le cadre d'un plan de sauvetage de 1,9 milliard de dollars (1 dollar = 0,91 euro) conclu en octobre de l'année dernière, ce qui est moins une surprise qu'un reflet de la situation en Tunisie.
La Tunisie, pays d'Afrique du Nord qui a émergé du Printemps arabe comme un phare de la démocratie, est aux prises avec des difficultés économiques et une instabilité politique depuis quelques années.
Invoquant des inquiétudes concernant la réduction des subventions et les troubles potentiels, Saïed a rejeté les conditions du plan de sauvetage. Son gouvernement a également refusé de réduire les salaires du secteur public, bien que la Tunisie ait l'une des plus grosses masses salariales du monde. Entre-temps, l'inflation record a rendu le gouvernement tunisien très sensible à toute décision qui pourrait nuire au pouvoir d'achat en chute libre du citoyen moyen.
Cependant, sans l'aide du FMI, la Tunisie est confrontée à des conséquences sociopolitiques et économiques importantes qui ne sont pas vraiment inconnues, et la décision de Saïed aura certainement des implications considérables pour le paysage sociopolitique et économique du pays.
Tout d'abord, le pays est confronté à une crise de la balance des paiements sans aucun soutien financier disponible. Son déficit budgétaire s'est creusé, la dette publique dépassant désormais 90% du produit intérieur brut. Une situation économique déjà précaire pourrait être aggravée tant que la politique combative continuera à peser plus lourd dans les processus de prise de décision du gouvernement que les besoins plus évidents des Tunisiens moyens.
Paradoxalement, pour essayer d'alléger la pression sur le plan intérieur, le gouvernement Saïed continue de se débattre dans un désastre qu'il a lui-même provoqué, sans être disposé à accepter l'aide nécessaire, ni être pressé de trouver d'autres sources de financement. Néanmoins, Tunis ne pourra pas esquiver l'inévitable, car la seule façon de sortir de ce bourbier est de recourir à des emprunts accrus, même s'ils pèsent davantage sur des niveaux d'endettement déjà élevés.
Deuxièmement, l'inflation dépassant aujourd'hui les 10% est un problème important pour la Tunisie. Sans le soutien du FMI, le pays pourrait avoir du mal à mettre en œuvre les politiques fiscales et monétaires nécessaires pour réduire l'inflation, ce qui entraînerait une hausse rapide des prix des biens et services essentiels. Cela affecterait de manière disproportionnée les personnes les plus vulnérables qui sont déjà aux prises avec un taux de chômage élevé, une croissance salariale stagnante et une détérioration des niveaux de pauvreté.
Paradoxalement, si la Tunisie veut accroître les protections sociales de ses populations les plus vulnérables, elle devra compter sur l'aide du FMI, ce qui implique la mise en place de mesures d'austérité dans le but de réduire le déficit budgétaire. Cependant, la réduction des dépenses publiques mettra en péril les salaires du secteur public, les filets de sécurité sociale et d'autres interventions conçues pour réduire l'impact sur les rangs grossissants des classes moyennes et inférieures tunisiennes en difficulté.
Troisièmement, l'accord avec le FMI n'aiderait pas seulement la Tunisie à éviter le défaut de paiement, il permettrait également au pays en difficulté d'accéder à un financement extérieur pouvant s’élever à 5 milliards de dollars, provenant principalement de créanciers d'Europe et du Golfe arabe, ce qui équivaut à environ 65% des besoins de financement du gouvernement en 2023, soit 17% du produit intérieur brut.
Le reste du financement pourrait être fourni principalement par les banques locales, mais la manière dont elles peuvent le faire sans exercer une pression importante sur leurs propres liquidités n'est pas claire.
«La décision déroutante de rejeter un plan de sauvetage risque de polariser davantage la Tunisie et d'entraver la capacité du gouvernement à mettre en œuvre des réformes indispensables.»
Hafed al-Ghwell
Cela ne fait que renforcer les arguments en faveur de l'acceptation des conditions du FMI, car cela contribuerait à rétablir la confiance des investisseurs dans le pays, ce qui serait essentiel pour attirer de nombreux investissements directs étrangers afin d'accélérer la croissance économique.
De tels investissements ont joué un rôle crucial dans le développement du pays, en particulier dans des secteurs tels que le tourisme et l'industrie manufacturière. Toute nouvelle baisse entraînerait probablement une réduction des possibilités d'emploi, ce qui compliquerait les efforts de diversification économique et les interventions à long terme visant à renforcer la résistance de la Tunisie aux chocs extérieurs – par exemple, les effets néfastes de la guerre en Ukraine sur l'inflation des denrées alimentaires.
Quatrièmement, les tensions résultant d'un bras de fer tripartite entre le régime Saïed, les syndicats et l'opposition politique ne feront qu'augmenter, engendrant encore plus de crises sociopolitiques et de déficiences en matière de gouvernance dans un paysage marqué par une fragmentation et une instabilité intenses depuis 2011.
Après le Printemps arabe, la Tunisie a connu plusieurs changements de gouvernement et l'absence de consensus sur des questions politiques essentielles. La décision déroutante de rejeter un plan de sauvetage pourrait polariser davantage le pays et entraver la capacité du gouvernement à mettre en œuvre des réformes indispensables.
En outre, Saïed a lui-même reconnu que la réduction des subventions pourrait entraîner des troubles, et si l'on ajoute à cela la possibilité d'une réduction des programmes sociaux, de licenciements massifs dans le secteur publique et d'une hausse des prix, le risque de manifestations violentes ne peut que s'accroître.
La Tunisie a été témoin de vagues de troubles sociaux ces dernières années, notamment en 2018 lorsque des manifestations ont éclaté en réponse aux mesures d'austérité et à l'augmentation du coût de la vie. Ainsi, les souvenirs au Palais de Carthage sont encore frais, ce qui explique probablement cette hésitation coûteuse.
Malheureusement, en l'absence d'une alternative viable, le régime de Saïed risque d'attiser les tensions parmi les jeunes Tunisiens qui constituent un segment important de la population du pays. Le chômage chronique des jeunes est un problème persistant, auquel le populisme de Saïed, qui prône un «retour à la base», a tenté en vain de s'attaquer. Aujourd'hui, près d'un jeune Tunisien sur trois est sans emploi et, avec les inévitables mesures d'austérité qui se profilent, les sombres perspectives économiques ne feront que continuer à agiter une population prometteuse, essentielle pour libérer le potentiel du pays jusqu'ici gâché.
Les maux tunisiens rappellent étrangement les périodes prolongées de difficultés économiques, de troubles sociaux et d'instabilité politique auxquelles ont été confrontées l'Argentine et la Grèce. Ces pays ont finalement dû faire face à des années de mesures d'austérité et de réduction des services sociaux, qui ont conduit à des protestations publiques généralisées et à des bouleversements politiques.
Par conséquent, la décision de Saïed de rejeter l'aide du FMI est plus que déconcertante, elle est imprudente.
Le régime de Tunis n'a pas proposé de plan alternatif pour réduire un ratio dette/PIB qui grandit, ce qui aggrave les pressions fiscales et pousse lentement le gouvernement tunisien au pied du mur.
Sans aide urgente, la Tunisie ne parviendra probablement pas cette année à rembourser des prêts étrangers d'un montant total d'environ 2 milliards de dollars, notamment une somme de 500 millions d'euros (554 millions de dollars) en euro-obligation arrivant à échéance en octobre.
Entre-temps, les milieux des affaires tunisiens sont de plus en plus frustrés par les décisions apparemment imprévisibles de Saïed, de sorte qu'il est probable que des manifestations éclatent indépendamment du sort de l'accord avec le FMI.
Les conséquences à court terme de la décision attendue, mais néanmoins étrange, de Saïed sont déjà visibles. Les conséquences à long terme, cependant, pourraient être plus graves et s'étendre au-delà des frontières du pays, plongeant potentiellement un autre pays d'Afrique du Nord dans le chaos.
Le temps presse pour que Tunis mette en œuvre les réformes nécessaires et prolonger l'inévitable ne fera que compromettre la stabilité de la Tunisie, entravant en fin de compte sa reprise, son développement et sa prospérité.
Hafed al-Ghwell est maître de conférences et directeur exécutif de l'Initiative stratégique Ibn Khaldoun à l'Institut de politique étrangère de l'École des hautes études internationales de l'université Johns Hopkins à Washington, D.C., et ancien conseiller du doyen du Conseil d'administration du Groupe de la Banque mondiale.
Twitter: @HafedAlGhwell
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com