À l’approche des Jeux olympiques, on entend parler des valeurs du sport, liées au dépassement, au respect des règles, à l’esprit d’équipe... Mais on oublie souvent que le sport, en France, est un facteur d’intégration des descendants d’immigrés, notamment de ceux qui vivent dans les quartiers. Nous avons interrogé un échantillon de 26 hommes et de 24 femmes managers français issus de la deuxième génération de l’immigration nord-africaine afin de les faire parler de leur parcours d’intégration et de mesurer le chemin qu’ils ont effectué pour s’élever au-dessus de leur condition.
Dans les trajectoires de vie recueillies, les différences entre les genres sont certes nombreuses, mais aucune n’est aussi évidente que celle qui est liée au sport. Alors que ce point n’était pas abordé dans le questionnaire, il a émergé des réponses des personnes interrogées. La totalité des hommes sollicités attribuent un rôle décisif à la pratique sportive dans leur parcours d’intégration, alors qu’aucune femme ne le fait. Les individus de notre échantillon ont une moyenne d’âge de 33 ans et nous pouvons émettre l’hypothèse que le sport féminin s’est davantage développé depuis leur adolescence.
On retrouve plusieurs stratégies liées au sport. La plus originale émane des parents eux-mêmes: leur enfant doit faire un sport «de Français», et de préférence dans un lieu le plus éloigné possible du quartier. Ainsi, Rachid s’est retrouvé inscrit au club de tennis de sa ville et est devenu très doué dans ce sport, jusqu’à atteindre un niveau d’espoir national qui lui a ensuite permis de découvrir un monde qu’il ne connaissait pas jusqu’à présent. Ici, plus que les notions classiques attachées au sport, Rachid présente son expérience de joueur de tennis comme quelque chose qui lui a permis d’acquérir les codes de la bourgeoisie locale, mais aussi d’effectuer des stages à l’étranger. Il attribue le choix de débuter le tennis à une stratégie mise en place par son père, qui avait, selon lui, bien identifié la nécessité d’éloigner son fils du «quartier».
Le football, et particulièrement la compétition, à quelque niveau que ce soit, a permis à ces adolescents de sortir géographiquement du quartier.
- Arnaud Lacheret
Le sport roi est toutefois le football, qui a été pratiqué en compétition par 20 hommes sur les 26 interrogés. Outre les valeurs traditionnelles, il ressort des entretiens une idée qui n’était absolument pas attendue. En effet, le football, et particulièrement la compétition, à quelque niveau que ce soit, a permis à ces adolescents de sortir géographiquement du quartier. Ceux – très nombreux – qui évoluaient dans des clubs de quartier décrivent des entraînements entre jeunes d’origine immigrée, mais ils décrivent surtout les confrontations du week-end avec des équipes du département ou de la région. Ces événements leur ont permis de rencontrer des gens qui ne leur ressemblaient absolument pas. Cette notion de rencontre est particulièrement importante dans les entretiens, qu’ils soient menés avec des hommes ou avec des femmes. Tous indiquent que l’un des facteurs qu’ils estiment déterminants dans leur intégration est le fait d’avoir pu rencontrer ceux que leurs parents appelaient des «Français» et que l’Institut national d’études démographiques (Ined) qualifie de «population majoritaire».
Dans le cadre des compétitions sportives, et notamment de football, cette rencontre peut être assez brutale pour les jeunes. De nombreuses anecdotes sur les rencontres dans les campagnes françaises avec de jeunes «blancs» se réfèrent à une confrontation avec le racisme ordinaire. Les matchs retour, au sein du quartier, donnaient également lieu à quelques tensions, d’après les personnes interrogées. Pour autant, un manque était comblé, puisque les premières rencontres interpersonnelles se faisaient par cet intermédiaire et l’acquisition de certains codes avait lieu souvent en marge des matchs.
Cette fréquentation par le sport permet en outre, au cours des années de lycée, de découvrir les métiers des parents des adversaires, mais aussi les projets d’orientation des jeunes issus de milieux plus favorisés.
La notion de culte du corps, d’hygiène physique et de développement de la musculation n’est pas absente des entretiens que nous avons pu réaliser. Plusieurs hommes ont pratiqué des sports de combat et ils affirment fréquenter régulièrement une salle de musculation. Les propos recueillis soulignent un véritable goût de l’effort, du travail sur le corps et un attrait pour la notion de force pure. Un autre homme interrogé, devenu expert-comptable, évoque quant à lui les entraînements de boxe qui lui permettaient de «canaliser» une hyperactivité qui aurait, d’après lui, tout à fait pu dégénérer en violence illicite si son père n’avait pas été particulièrement attentif sur ce point.
Dans la cartographie de l’intégration, il semble que le sport soit l’un des points sur lesquels les discours des hommes diffèrent le plus de celui des femmes. Il semble aussi, et cet aspect n’est pas vraiment abordé dans le discours politique qui porte sur l’intégration, que la pratique sportive soit surtout décrite comme un moyen pour rencontrer un public différent de celui du quartier et pour acquérir des codes au fil des confrontations avec des adversaires qui ne ressemblent pas vraiment à ses coéquipiers.
À travers les propos recueillis, il apparaît ainsi que cette confrontation avec le monde extérieur ne se fait pas sans heurt, mais que ce phénomène de brassage hebdomadaire à travers les compétitions et les championnats permet quelque chose que la seule pratique au sein du quartier ne permet pas: la rencontre avec le monde extérieur et l’acquisition progressive des codes qui permettront ensuite de ne pas être trop en décalage avec la société majoritaire au moment où il deviendra impératif de sortir de l’entre-soi.
Arnaud Lacheret est docteur en sciences politiques, Associate Professor à Skema Business School et professeur à la French Arabian Business School.
Ses derniers livres: Femmes, musulmanes, cadres… Une intégration à la française et La femme est l’avenir du Golfe, aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.