Face aux protestations et à la pression internationale croissante, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a accepté lundi de suspendre son projet de réforme du système judiciaire. Dans un discours télévisé, il a déclaré qu'il avait décidé de retarder le vote «pour donner du temps à la discussion», mais en réalité, il ne fait que gagner du temps pour essayer de trouver une solution au dilemme auquel il est confronté.
À ce stade de sa carrière, alors qu'il en est à son sixième mandat au pouvoir, M. Netanyahou n'a qu'un seul objectif : éviter la prison. En tant que politicien chevronné, il est animé par un sentiment de survie. Il est accusé de fraude, d'abus de confiance et de corruption, ce qu'il nie. Il doit rester au pouvoir pour éviter la prison. Mais pour cela, il doit plaire à la bande d'extrémistes de son gouvernement. Et leur plaire signifie mécontenter la rue et les alliés d'Israël.
Avant que Benjamin Netanyahou ne mette en pause ses réformes, la fédération syndicale Histadrut – l'Organisation générale des travailleurs en Israël – avait annoncé une grève générale. Le Premier ministre n'a pas su gérer le mécontentement général ni l'indignation internationale. D'autre part, il ne peut se permettre de perdre ne serait-ce qu’un seul de ses partenaires extrémistes. La meilleure façon de résoudre ce dilemme était donc de reporter la décision.
M. Netanyahou est le roi de la négociation. Il est pragmatique et fait ce qu'il faut pour obtenir ce qu'il veut. Le fait d'être pragmatique ne signifie pas nécessairement qu'il est rationnel. Gagner du temps ne changera pas les choix auxquels il sera confronté à un moment donné. Ce sur quoi il mise, c'est la conclusion d'accords provisoires qui pourraient, d'une manière ou d'une autre, devenir permanents. Benjamin Netanyahou est très habile pour faire la distinction entre ceux dont il exige l'assentiment et ceux qu'il peut simplement écarter.
Yoav Gallant, membre du Likoud de M. Netanyahou, qui a atteint le grade de général de division dans les forces de défense israéliennes avant d'entrer en politique, a été licencié par ce dernier pour s'être opposé à la réforme judiciaire. En revanche, il a dû ménager Itamar Ben-Gvir, qui fait partie intégrante de sa coalition. En échange de son soutien au report, M. Ben-Gvir sera autorisé à diriger sa propre milice armée en dehors de la juridiction de l'armée et de la police israéliennes. Cette milice n'aura pas à respecter les règles normales d'engagement.
Le plan du Premier ministre israélien semble être de s'accrocher au pouvoir aussi longtemps que possible et de retarder l'inévitable.
Dania Koleilat Khatib
Sommes-nous revenus à l'époque de la Haganah (Organisation paramilitaire juive de Palestine) et de son émanation, l'Irgoun (Organisation clandestine juive fondée en 1931 en Palestine par le parti sioniste révisionniste)? Probablement. Comment l'opinion mondiale percevra-t-elle un tel terrorisme? La situation actuelle est différente de celle du début du XXe siècle. Les transgressions peuvent facilement être documentées à l'aide d'un Smartphone et diffusées dans le monde entier. Le monde acceptera-t-il une nouvelle Haganah ? La communauté juive mondiale s'identifiera-t-elle à elle ? Probablement pas, et il est fort probable qu'elle les dégoûte.
Quelle est la position des Palestiniens dans tout cela ? Ils seront expulsés de leurs maisons, persécutés et même tués, et il n'y aura pas de système judiciaire opérationnel pour les défendre. Bien que le système judiciaire ait toujours été partial à leur égard, il a toujours été là pour leur permettre d'exprimer leurs griefs. Ils n'ont même pas le droit d'exister en tant que peuple, selon le ministre des Finances d'extrême droite, Bezalel Smotrich, l'un des principaux piliers de la coalition de Benjamin Netanyahou. Les Palestiniens n'ont d'autre choix que de résister. Une troisième intifada ? Probablement.
Un acteur rationnel aurait envisagé toutes ces issues, mais M. Netanyahou ne semble pas être l'un d'entre eux.
Quel regard les États-Unis porteront-ils sur Israël une fois qu'ils auront légitimé la force paramilitaire illégitime d’Itamar Ben-Gvir ? En quoi Israël sera-t-il différent d'un pays voyou d'Amérique du Sud ? Les États-Unis, qui font l'éloge d'Israël en tant qu'oasis de démocratie dans un désert de dictatures, peuvent-ils encore soutenir leur allié ? Les États-Unis soutiendront-ils un Israël où l'État de droit est subordonné à la volonté de ceux qui détiennent le pouvoir et où l'objectif du système tout entier est de se préserver plutôt que de servir le peuple ?
Toutefois, Benjamin Netanyahou ne pense pas en homme d'État, mais en politicien. Ce qui compte pour lui, ce sont les gains tactiques. Ce qu'il peut obtenir maintenant est ce qui est le plus important. Et son objectif le plus important à l'heure actuelle est d'éviter la prison. Il divise le pays, il donne du pouvoir aux fanatiques, il fait fuir les juifs du monde entier et il perd peu à peu les alliés du pays. Néanmoins, cela ne semble pas avoir d'importance. Le plan de M. Netanyahou semble être de s'accrocher au pouvoir aussi longtemps qu'il le peut et de retarder l'inévitable. Tout en s'accrochant au pouvoir, il tente de conclure des accords et de jouer les équilibristes pour éliminer les répercussions négatives qui pourraient résulter de ces accords.
Il a reporté la réforme judiciaire pour calmer la rue en furie et apaiser les alliés internationaux. Parallèlement, pour obtenir l'assentiment de M. Ben-Gvir, il lui a permis de disposer de sa milice qui se livrera à une véritable folie meurtrière. Là encore, il peut toujours recourir à des accusations de terrorisme contre les Palestiniens et à une campagne de relations publiques pour atténuer la gravité des crimes commis. C'est l'art de la politique transactionnelle visant à conserver sa position et à gagner du temps.
Cependant, Benjamin Netanyahou ne semble pas réaliser que cette tactique n'est pas viable et qu'elle lui explosera à la figure à un moment ou à un autre. Lorsque cette tactique ne fonctionnera plus, que pourra-t-il faire ? Provoquer un conflit avec le Liban ou l'Iran, comme l'a fait Ehud Olmert en 2006 pour détourner l'attention du public des accusations de corruption ? Peut-être, mais cette option comporte trop de risques et elle n'a pas donné de bons résultats pour M. Olmert. En réalité, ce dernier avait dû démissionner après son aventure au Liban, car sa popularité s’était effondrée. Il a fini par être emprisonné en février 2016.
En bref, M. Netanyahou gagne du temps en utilisant ces tactiques d'autopréservation. Toutefois, à un moment donné, cela ne fonctionnera plus, il sera contraint de faire face à une dure réalité et il devra rendre des comptes.
Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.