Je méprise les discussions sectaires parce qu’elles sont stériles et sans but. Pourtant, l’état actuel du Liban et sa situation financière catastrophique portent le sceau du sectarisme et font que certaines questions doivent être abordées. Je dirai d’abord que j’ai eu la chance, en tant qu’émigré, d’avoir des amis libanais en France avec lesquels la confession des uns et des autres n’a jamais été évoquée. À ce jour, je ne connais pas leurs confessions et cette ignorance est une bénédiction. Les amis sont des amis. J’ai également eu la chance de ne pas vivre les horribles années de la guerre civile, même si les menaces et les bombes du régime syrien et de ses alliés ont suivi mon défunt père en Europe. Le récent épisode de l’heure d’été au Liban a été révélateur des risques élevés auxquels le pays est confronté.
En une fraction de seconde, la scène politique et médiatique du Liban a cessé d’être décrite comme une opposition entre sunnites et chiites pour être décrite comme une opposition entre musulmans et chrétiens. Il y a beaucoup à dire. En fait, tout comme les manifestations en France ne concernent pas seulement les pensions et l’âge de la retraite, au Liban, il ne s’agit pas seulement de savoir quand appliquer l’heure d’été. En France, la vague de manifestations a commencé à la suite de l’utilisation par le gouvernement de l’article 49.3 de la Constitution française pour adopter sa réforme des retraites. Cela a été interprété comme une décision unilatérale du président. En réalité, l’article 49.3 n’est pas une décision unilatérale puisqu’il permet au Parlement de soumettre l’ensemble du gouvernement à une motion de censure, à laquelle il a survécu de justesse. Cependant, en raison de la pandémie de Covid-19, de la guerre en Europe et de l’inflation, les citoyens français ont l’impression de perdre leur voix ou le contrôle de leur pays.
Bien que la décision de retarder le passage à l’heure d’été ait été unilatérale au Liban, il existe clairement des similitudes quant au sentiment général d’une partie importante de la population du pays. Là aussi, il ne s’agit pas seulement du passage à l’heure d’été, et d’autres questions bien plus importantes sont en jeu. Les réactions à cette décision témoignent d’une peur de voir le pays mourir et de voir la spécificité du Liban au sein du Moyen-Orient disparaître. C’est un message fort de la part de la communauté chrétienne. Nombreux sont ceux qui ont qualifié de «maladroite» la décision initiale de retarder l’heure d’été, prise par le Premier ministre sortant et le président du Parlement, qui sont respectivement sunnite et chiite. De même, ils ont qualifié de «maladroite» la réaction des partis politiques et des médias chrétiens. Il s’agit d’erreurs qui ont rapidement pris de l’ampleur. Je pense qu’il faut prêter attention aux moindres détails, car ils en disent plus sur la direction du pays que toute autre chose.
En une fraction de seconde, la scène politique et médiatique du Liban a cessé d’être décrite comme une opposition entre sunnites et chiites pour être décrite comme une opposition entre musulmans et chrétiens.
Khaled Abou Zahr
Alors que le Liban s’achemine vers une décrépitude totale, cet épisode devrait être considéré comme un signal d’alarme. À mon avis, la communauté chrétienne indique clairement qu’elle n’accepte pas et ne souhaite pas constituer une voix de second plan dans la politique du pays. En effet, au cours de la dernière décennie, la politique libanaise a été marquée par le clivage entre sunnites et chiites. Les chrétiens ont donc dû s’aligner sur l’une ou l’autre de ces deux parties pour se faire entendre. La réaction unanime à la décision sur l’heure d’été a été une manifestation claire de refus, ce qui est tout à fait compréhensible.
Pourquoi la communauté chrétienne, ou toute autre communauté d’ailleurs, devrait-elle s’aligner sur une autre pour faire entendre sa voix? Aucune communauté au Liban ne devrait faire partie de la catégorie des décideurs politiques de second rang. En Irak, la population sunnite est passée au second plan, et au Liban aussi, les sunnites sont une force politique affaiblie. Il est urgent de s’éloigner de ce type de politique confessionnelle.
Un Liban fort est un Liban où toutes les communautés sont protégées et ont leur avenir entre leurs mains. S’il y a une peur de l’autre ou un manque de représentation, cela ne peut pas fonctionner. Les hommes politiques doivent être tenus de rendre des comptes et d’assumer leurs responsabilités. Que cela nous plaise ou non, ce système sème la peur et encourage le populisme au lieu de servir les citoyens. La façon dont Gebran Bassil a fait la une de tous les médias chrétiens en est un bon exemple. En un clin d’œil, il est passé du statut de paria à celui de personnalité politique dont la réputation a été blanchie.
C’est pourquoi nous devons prêter attention aux moindres détails. Ils ont tendance à exploser et à provoquer le chaos. Ainsi, que les actions et les réactions soient considérées comme maladroites ou futiles, elles témoignent d’une époque dangereuse. De plus, cet incident prouve que les alliances et le système politique ne sont qu’une mascarade. Il montre que le Liban n’est pas une démocratie mais un système confessionnel aux apparences de démocratie occidentale.
Il n’est donc pas surprenant que la réaction des chrétiens libanais – qui se sont pour la première fois exprimés de manière unanime face à cette à décision ratée – ait été de mettre en avant la nécessité du fédéralisme. Je le répète souvent et je suis d’accord pour dire que le fédéralisme est la meilleure solution pour un nouveau système politique. C’est le seul moyen pour qu’aucune communauté ne se sente marginalisée tout en s’orientant vers la responsabilisation. Cependant, cette transformation doit être réelle et non pas cosmétique, comme cela a été fait en Irak, où le système est essentiellement centralisé et contrôlé par un seul groupe confessionnel.
Par conséquent, il s’agit d’un avertissement pour le Liban, qui risque, en une fraction de seconde, de retomber maladroitement dans la spirale de la confrontation militaire violente. Ce risque doit être pris en compte, d’autant plus que la situation dans le nord de la Syrie demeure incertaine et instable. Le temps presse pour sauver le pays.
Khaled Abou Zahr est le fondateur de Barbicane, une plate-forme de syndication d'investissement axée sur l'espace. Il est PDG d'EurabiaMedia et rédacteur en chef d'Al-Watan al-Arabi.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com