Ce qui se passe actuellement en Israël est d'une extrême gravité. Cela a commencé par l'arrivée au pouvoir, lors des élections législatives de novembre 2022, d'une coalition conduite par le Likoud, associé aux partis sionistes religieux et aux formations de l'extrême droite raciste. Du jamais vu en Israël! Mais ce n'est pas le fait du hasard.
Tout cela vient de loin: l'effondrement lent mais sans appel du Parti travailliste fondé par Mme Golda Meir; la disparition pure et simple du «camp de la paix» d'Itzhak Rabin et de Shimon Peres; la prise en main du Likoud par Benjamin Netanyahou depuis 1995, mis en examen pour corruption en 2019, et qui désormais domine de façon écrasante le paysage politique israélien; pour finir par l'accession de personnalités de l'extrême droite à la tête de ministères régaliens.
La figure de proue de cet ultime gouvernement Netanyahou, c'est Bezalel Smotrich, ministre des Finances, également chargé de l'administration civile des territoires palestiniens, qui est représentatif d'un judaïsme intolérant et radical ouvertement raciste et antiarabe, et qui poursuit l'objectif affiché d'accélérer la colonisation et d'annexer quoi qu'il en coûte la Palestine jusqu'au Jourdain.
Ce qui est préoccupant – c'est le moins que l'on puisse dire –, c'est que ce gouvernement n'est pas dépourvu d'une légitimité populaire à l'issue des récentes élections. Conformément à son programme, il a lancé un projet de loi visant à saborder la Cour suprême. Dans le système israélien, la Cour est la pierre angulaire, qui assure la stabilité de l'État de droit et qui protège la démocratie. Il n'y a pas de Constitution, le Parlement ne comporte qu'une seule assemblée – la Knesset, 120 sièges – élue à la proportionnelle nationale intégrale, le Premier ministre est désigné au suffrage universel et doit, à peine élu, construire un gouvernement et une majorité politique en négociant au milieu du grand morcellement parlementaire issu des élections.
Il n'y a que la Cour suprême pour mettre des bornes et donner des garanties. La désignation de ses membres est complexe, mais elle échappe au gouvernement. Au fil des années, la Cour s'est autodéclarée compétente pour juger les lois de l'État, apprécier leur conformité aux principes de l'État de droit, allant même jusqu'à statuer en opportunité, en décidant par exemple qu'une décision gouvernementale était «déraisonnable».
«Depuis des semaines, les manifestations des opposants se succèdent inlassablement. Mais il ne faut pas se leurrer. Ceux qui s'opposent aux projets du gouvernement sont de l'ancienne génération, tous ceux qui ont joué hier un rôle dans le monde politique, économique ou judiciaire.»
- Hervé de Charette
C'est à ce pouvoir-là que Netanyahou s'en prend en voulant légiférer pour changer les conditions de nomination des membres de la Cour, mettre ainsi un terme à son indépendance, et lui enlever définitivement le pouvoir de contrôle sur le vote des lois. Si Netanyahou y parvient, c'est un changement de régime. Si la Cour s'y oppose, c'est le chaos.
Depuis des semaines, les manifestations des opposants se succèdent inlassablement. Mais il ne faut pas se leurrer. Ceux qui s'opposent aux projets du gouvernement sont de l'ancienne génération, tous ceux qui ont joué hier un rôle dans le monde politique, économique ou judiciaire. Leurs avertissements sont pertinents, mais l'extrême droite s'en moque. Et la jeunesse n'est pas au rendez-vous.
En face, c'est-à-dire du côté palestinien, c'est la grande solitude. Des vieillards corrompus occupent les allées du pouvoir à Ramallah. La société palestinienne n'y croit plus et se replie sur elle-même. Les incidents graves se multiplient, provoqués par de petits groupes de jeunes, parfois des enfants, que l'armée israélienne réprime avec une brutalité extrême. Les jeunes colons extrémistes, parfois encouragés par des rabbins qui développent une invraisemblable «théologie de la vengeance», règlent eux-mêmes leurs comptes avec la population arabe, comme cela s’est passé dans le village palestinien de Huwara qui a été saccagé par des centaines de jeunes colons déchaînés.
Bref, en Cisjordanie, c'est le chaos. Et pendant ce temps, à Gaza, le Hamas attend son heure, mais n'a aucun projet à proposer. De toute façon, avec cinq cent mille colons en Cisjordanie et deux cent cinquante mille dans l'agglomération de Jérusalem-Est, la solution à deux États n'est plus qu'un leurre auquel personne ne croit.
Enfin, à l'extérieur de cette fournaise, c'est l'indifférence qui l'emporte. Du côté du monde arabe, le très respecté roi d'Arabie saoudite continue de conditionner un rapprochement avec l'État d'Israël à la relance d'un processus de paix, mais il est bien seul. De leur côté, les Algériens continuent de manifester leur soutien à la cause palestinienne. Mais ailleurs, l'heure est à l'extension des accords d'Abraham. Quant à l'Occident – Europe et États-Unis – il a pris acte de la situation actuelle. À Londres, à Bruxelles, à Washington, Netanyahou est reçu sans qu'on lui fasse la moindre observation. Même à Paris, il est le bienvenu. Les seules qui protestent, ce sont les organisations juives américaines qui, lorsque le ministre israélien Smotrich est venu à Washington, l'ont accueilli le 12 mars avec des pancartes «Honte».
Tout cela finira très mal.
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
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