L’Arabie saoudite et l’Iran ont décidé de reprendre leurs relations diplomatiques et de rouvrir leurs ambassades, selon un communiqué conjoint publié à l’issue des pourparlers à Pékin. Le communiqué, publié vendredi, réitère que les deux parties sont convenues de respecter la souveraineté mutuelle et la non-ingérence dans les affaires de l’autre.
Selon le communiqué, les deux pays devraient rouvrir les ambassades dans les deux prochains mois, tandis que les ministres des Affaires étrangères saoudien et iranien tiendront également des réunions pour mettre en œuvre l’accord, procéder à un échange d’ambassadeurs et discuter des moyens de renforcer les relations.
L’accord revêt une grande importance puisqu’il a été signé par les deux grandes puissances du Moyen-Orient après des disputes interminables et sept ans de gel diplomatique. Une rivalité amère oppose l’Arabie saoudite et l’Iran, puisque le Royaume défend le monde arabe contre l’ingérence iranienne par l’intermédiaire de ses mandataires qui ont une influence significative en Syrie, au Liban, en Irak et au Yémen.
L’Arabie saoudite a toujours recherché la paix et ce n’est que lorsque les Houthis, soutenus par l’Iran, ont renversé le président Abdrabbo Mansour Hadi au Yémen que Riyad a adopté une position ferme, décidant d’intervenir pour protéger le gouvernement légitime. Il n’y a pas d’acteurs saoudiens par procuration dans la région. Au cours des deux dernières années, cinq séries de pourparlers se sont tenues entre le Royaume et l’Iran.
Les pourparlers qui ont commencé sous l’ancien Premier ministre irakien Moustafa al-Kazimi ont porté sur les moyens d’apaiser les tensions entre les deux pays, de reprendre les relations diplomatiques et de régler les différends découlant du rôle de l’Iran au Yémen, en Syrie et au Liban. Ainsi, toutes les séries de discussions précédentes étaient principalement de nature sécuritaire. Le récent accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran, en plus du communiqué conjoint que les deux pays ont publié avec la Chine, marquent le passage d’un dialogue sécuritaire à un dialogue diplomatique. C’est un nouveau pas en avant.
«L’Arabie saoudite a toujours recherché la paix et ce n’est que lorsque les Houthis, soutenus par l’Iran, ont renversé le président Abdrabbo Mansour Hadi au Yémen que Riyad a adopté une position ferme, décidant d’intervenir pour protéger le gouvernement légitime.»
- Dr Mohammed al-Sulami
Les raisons d’un tel progrès sont diverses, mais le principal facteur est que l’Arabie saoudite adopte une approche de politique étrangère basée principalement sur l’apaisement des tensions, la fin des différends et le rétablissement de la stabilité. Ladite approche fait partie d’une vision plus large pour le pays et la région. Le Royaume privilégie la paix à la guerre et le dialogue à la rupture des relations, ainsi que la canalisation des ressources massives de la région pour parvenir à la prospérité et au développement, plutôt que de financer des milices et de produire des armes.
C’est un sujet que les responsables saoudiens ont souvent répété au cours des dernières années. Immédiatement après la publication du communiqué conjoint, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Faisal ben Farhane, a écrit sur Twitter: «La reprise des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran se base sur la vision du Royaume en faveur du règlement politique du conflit, du dialogue et du désir de promouvoir cette démarche dans la région. Tous les pays de la région ont un destin et des principes communs, ce qui nous oblige à partager le modèle de prospérité et de stabilité pour que nos peuples en jouissent.»
Ce tweet incarne la politique étrangère saoudienne et sa vision pour la région. Ce n’est pas le premier du genre. Le ministre saoudien des Affaires étrangères a déclaré à plusieurs reprises que le Royaume était ouvert au dialogue. Le 17 janvier 2023, il dit lors d’une session au forum de Davos que le dialogue était le meilleur moyen de résoudre les différends dans la région. «Nous essayons de créer un dialogue avec toutes les parties. Et notre objectif principal est de favoriser le développement.»
En mettant l’accent sur le développement plutôt que les questions géopolitiques, il fait allusion à l’Iran et à d’autres, signalant qu’il existe d’autres voies au moyen desquelles les pays peuvent parvenir à une prospérité partagée.
Il convient de noter que cet accord est un test décisif pour l’Iran. Les deux pays sont convenus de rouvrir les ambassades dans un délai de deux mois. Ce délai est important. Les deux pays passent de l’accent mis sur la sécurité aux questions politiques. Le problème avec l’Iran n'est pas le dialogue, mais la bonne volonté. L’Arabie saoudite n’a jamais rejeté le dialogue avec l’Iran. Cependant, le Royaume a également affirmé que son voisin doit faire preuve de bonne volonté pour que ce dialogue puisse avancer.
Il y a un fossé profond et une méfiance totale entre Riyad et Téhéran. Restaurer les liens brisés nécessite une période de transition et le rétablissement de la confiance. Les propos ainsi que l’accord signé entre les deux parties doivent donner des résultats concrets. Si l’Iran a des intentions sincères d’apaiser les tensions et de mettre fin aux différends dans la région, cela deviendra peut-être évident au Yémen. L’Arabie saoudite ne veut pas de guerre au Yémen. Elle veut parvenir à une résolution pacifique, tout en mettant fin au rôle subversif de l’Iran par l’intermédiaire de la milice houthie aux dépens du gouvernement légitime.
La question qui se pose est la suivante: pourquoi la Chine? Pékin est un ami proche de l’Arabie saoudite et de l’Iran. C’est le principal partenaire commercial de chacun des deux pays, mais reste le client le plus important pour ce qui est des produits iraniens, malgré les sanctions économiques américaines et mondiales contre Téhéran. Par conséquent, la Chine sera le garant du respect de l’accord par l’Iran. Si l’Iran manque à ses obligations, il sera perdant.
Les réactions internationales au dégel des relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran varieront en fonction des intérêts de chaque pays. La Chine a salué l’accord, le décrivant comme une victoire pour la paix. Cependant, Israël peut ne pas être content. Il est profondément préoccupé par les programmes nucléaires et de missiles de l’Iran et veut mettre fin au différend nucléaire, même par des moyens militaires. Les mandataires de l’Iran en Syrie – une fois déployés au point le plus proche de ses frontières – sont un casse-tête auquel Israël veut également s’attaquer. Pour y parvenir, Israël veut une mobilisation régionale et mondiale contre Téhéran. Il peut considérer l’accord entre Riyad et Téhéran comme une menace pour ses intérêts.
«La Chine sera le garant du respect de l’accord par l’Iran. Si l’Iran manque à ses obligations, il sera perdant.»
- Dr Mohammed al-Sulami
De plus, l’Europe s’éloigne de l’Iran. La troïka européenne – le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne – a publié une déclaration commune annonçant que l’Instex, un véhicule financier conçu pour faciliter les échanges entre l’Iran et l’Europe en 2019 et atténuer l’incidence des sanctions américaines, sera liquidé. Les dix actionnaires ont tous décidé de mettre fin à cet accord, invoquant l’obstruction permanente pratiquée par l’Iran comme raison.
Par conséquent, le dégel saoudo-iranien sera testé au cours des deux prochains mois, en fonction des développements régionaux et mondiaux. La pression israélienne sur les États-Unis, le cours des relations irano-européennes, ainsi que le sérieux et la bonne volonté de l’Iran détermineront si l’accord sera maintenu ou s’effondrera.
Le rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran porte un message important, du moins de la part des Saoudiens. Le Royaume s’est engagé dans ce dialogue en position de force. Il a une économie plus forte et des conditions internes bien meilleures que l’Iran. Il n’est pas embourbé dans des impasses régionales ou mondiales coûteuses. Ainsi, l’appel saoudien au dialogue et la conclusion du dernier accord avec Téhéran sont des signes de victoire plutôt que de défaite; une indication d’avoir le dessus, plutôt que d’être obligé de faire des concessions.
En revanche, l’Iran est en proie à la détérioration des conditions économiques, une scène intérieure instable et une influence régionale en déclin. Cet appel au dialogue, qui constitue une rupture nette avec la politique étrangère belliqueuse de l’Iran principalement conçue par les généraux du CGRI, pourrait être interprété comme une tentative du régime d’assurer sa survie et d’empêcher une nouvelle détérioration sur le plan intérieur et un isolement international.
Pour conclure, l’Arabie saoudite fait preuve de bonne volonté et œuvre pour la paix, le dialogue et la prospérité. Elle n’a jamais rejeté le dialogue mais, en même temps, a refusé de s’engager dans des pourparlers qui ne mènent nulle part. Pourtant, le dégel diplomatique est un énorme pas en avant pour une région ravagée par les guerres, les différends et les rivalités.
L’Arabie saoudite est la nation arabe la plus puissante et la plus importante. Sa politique étrangère façonne les politiques régionales, voire mondiales. Si le Royaume estime que l’apaisement des tensions et le rétablissement des relations diplomatiques avec l’Iran pourraient être bénéfiques, cette démarche sera le fer de lance des politiques de la région. Cependant, tout dépend de la bonne volonté, perdue depuis longtemps, de l’Iran. La balle est donc dans son camp. Qui vivra verra.
Le Dr Mohammed al-Sulami est directeur de l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah).
Twitter: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.