Le pacte saoudo-iranien conclu la semaine dernière sous l’égide de la Chine a suscité beaucoup de discussions et d’analyses, mais les experts ne doivent pas oublier que l’accord visant à rétablir les liens diplomatiques et à s’abstenir de toute ingérence extérieure n’en est qu’à ses balbutiements. Il ne faut pas s’attendre à ce que quatre décennies d’hostilité iranienne et d’affaiblissement de la sécurité régionale s’estompent du jour au lendemain.
Néanmoins, il aurait été irresponsable et illogique de la part des dirigeants saoudiens de ne pas donner une chance à la paix. Les enjeux de ce conflit sont bien plus importants pour eux que pour les dirigeants de Téhéran. Si l’Iran veut rester en 1979, c’est le choix de ses leaders. En Arabie saoudite, les dirigeants ont leur Vision 2030. Nous souhaitons diversifier notre économie, ouvrir de nouveaux secteurs, accueillir des touristes et organiser des événements sportifs et de divertissement de classe mondiale ; nous pouvons absolument nous passer des menaces incessantes d’un voisin gênant.
Ce qui s’est passé ces derniers jours est rassurant. Le ministère iranien des Affaires étrangères a déclaré que de bonnes relations avec Riyad pourraient aboutir à une solution au Yémen, d’où la milice houthie, soutenue par Téhéran, prend pour cible des civils et des villes saoudiennes. En voilà une bonne nouvelle !
Des sources m’ont révélé que l’initiative chinoise a été lancée lors de la visite du président Xi Jinping dans le Royaume en décembre dernier. Pékin mérite donc d’être félicitée non seulement pour avoir mené à bien cette initiative, mais aussi pour l’avoir fait en un temps record de trois mois, ce qui témoigne de l’efficacité de la Chine.
«Pékin mérite d’être félicitée non seulement pour avoir mené à bien cette initiative, mais aussi pour l’avoir fait en un temps record de trois mois, ce qui témoigne de l’efficacité de la Chine.»
Faisal J. Abbas
J’ai appris qu’une réunion avait eu lieu entre les dirigeants, au cours de laquelle il avait été clairement établi que les activités malveillantes de l’Iran menaçaient la sécurité nationale de la Chine. L’Arabie saoudite exporte plus de 1,7 million de barils de pétrole par jour vers la Chine, essentiels au fonctionnement et à la capacité de production du pays. Lorsque l’Iran ou ses milices ciblent les infrastructures pétrolières saoudiennes, la Chine est également touchée. Quand les actions iraniennes menacent la sécurité maritime, la Chine ne peut pas recevoir le pétrole dont elle a besoin et ses produits ne peuvent pas atteindre leurs immenses marchés au Moyen-Orient.
Il s’agit là d’une autre opportunité gâchée pour les exportations de la Chine et ses Nouvelles routes de la soie. Imaginez si la Syrie, le Liban, l’Irak et le Yémen consommaient activement des produits chinois. Au lieu de cela, ce sont des États dysfonctionnels et en faillite, entièrement du fait de l’ingérence iranienne.
La Chine jouit d’une position neutre dans la région, sans passé colonial ni antécédents d’agression. Dans la plupart des conflits au Moyen-Orient, Pékin est restée neutre et a axé sa politique sur le commerce.
Si quelqu’un peut exercer une influence sur l’Iran, c’est bien la Chine. Pékin s’est engagée à investir 400 milliards de dollars (1 dollar = 0,93 euro) en Iran sur 25 ans, dont 280 milliards dans l’exploitation du pétrole et du gaz. La Chine est le premier partenaire commercial de l’Iran et y exporte des technologies nucléaires et militaires. En garantissant cet accord, Pékin a mis en jeu son aura de superpuissance mondiale, mais a aussi beaucoup à gagner en image si les Iraniens jouent le jeu et respectent l’accord.
La question qui se pose est la suivante : est-ce qu’ils le respecteront ? En quelques mots, le temps nous le dira. Si je voulais développer, je dirais que l’optimiste en moi souhaite qu’ils le fassent et que cessent ainsi les activités malveillantes soutenues par Téhéran dans des pays tels que l’Irak, le Liban et la Syrie. Le réaliste en moi doit dire que les antécédents de l’Iran en matière d’adhésion à des accords ne sont pas rassurants. C’est pourquoi il est logique, comme on l’a constaté ces derniers jours, que les responsables de Riyad aient mis beaucoup plus de temps que ceux de Téhéran à être convaincus par l’accord.
«Il faut rappeler à ces experts du dimanche à Washington que si l’accord est maintenu et qu’il progresse, il servira en fait les intérêts américains.»
Faisal J. Abbas
Ce que je ne comprends pas, en revanche, c’est le scepticisme et la négativité de certains experts américains. Il faut rappeler à ces experts du dimanche à Washington que si l’accord est maintenu et qu’il progresse, il servira les intérêts américains. Il suffit de penser à la sécurité maritime en mer Rouge et dans le Golfe, à la réduction du coût des opérations militaires et de sécurité américaines et au nombre de débouchés qu’il ouvrirait à l’industrie manufacturière et au marché de l’emploi américains.
Ces sceptiques semblent avoir oublié que c’est Barack Obama — un président démocrate comme Joe Biden — qui avait déclaré de manière simpliste dans sa fameuse interview de 2016 avec le magazine The Atlantic que l’Arabie saoudite et l’Iran devaient apprendre à «partager le voisinage». Riyad sera donc damné s’il écoute les conseils américains et damné s’il ne les écoute pas.
Toutefois, cela n’a pas vraiment d’importance. Pour que ce pacte potentiellement révolutionnaire soit couronné de succès, et compte tenu de l’effet positif qu’il pourrait avoir non seulement sur cette région, mais sur le monde entier, les États-Unis et le reste de la communauté internationale doivent le soutenir de toutes les manières possibles. S’il aboutit, il faudra reconnaître aux dirigeants de Riyad le mérite d’avoir habilement joué leurs cartes et d’avoir appliqué le conseil du grand stratège chinois Sun Tzu dans L’art de la guerre : «il faut plutôt subjuguer l’ennemi sans donner bataille : ce sera là le cas où plus vous vous élèverez au-dessus du bon, plus vous approcherez de l’incomparable et de l’excellent.»
Faisal J. Abbas est le rédacteur en chef d’Arab News.
Twitter : @FaisalJAbbas
L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com