Il me semble que les négociations autour du barrage de la Renaissance butent sur un nouveau problème avec l’annonce faite par l’Éthiopie de la fin de la première étape de remplissage. Il s'agit d'une décision unilatérale prise par Addis-Abeba après les tergiversations des responsables éthiopiens à ce sujet.
Plus de deux semaines plus tôt, des images publiées par des agences de presse internationales montraient que l’Ethiopie avait commencé à remplir le réservoir du barrage, une décision que l’Egypte avait fermement rejetée durant les négociations, le Soudan hésitant de son côté entre trêve et rejet. Addis-Abeba avait cependant annoncé publiquement que les photos étaient authentiques mais que l’Éthiopie n’avait pas encore pris de décision à ce sujet, et que ce qui apparaissait dans les images était de l’eau de pluie saisonnière.
Ce mensonge s’est poursuivi durant plusieurs jours, jusqu’à l’annonce, le 15 juillet, par le ministre éthiopien de l’Eau, de l’Irrigation et de l’Énergie Seleshi Bekele, que son pays avait en fait commencé à remplir le réservoir du barrage de la Renaissance en dépit de l’accord gelé avec l’Égypte et le Soudan. Bekele aurait affirmé que le barrage de la Renaissance en Éthiopie avait atteint un stade qui permettait d’entamer le processus de stockage initial, estimé à 4,9 milliards de mètres cubes. Il aurait également déclaré : « La construction du barrage et le remplissage du réservoir vont de pair ». Le même ministre a repris la parole quelques heures plus tard pour nier ses propres propos et pour dire qu’ils ont été mal compris !
La comédie des tergiversations n’a pas duré longtemps. Le Premier ministre éthiopien a lui-même annoncé, lors d’un mini-sommet sponsorisé par l’Afrique du Sud et qui a rassemblé les dirigeants égyptiens et soudanais, qu’Addis-Abeba avait déjà terminé la première étape du remplissage du réservoir du barrage.
La position de l’Égypte est restée inchangée pendant des années – probablement depuis le début des négociations avec l’Éthiopie pour la construction du barrage de la Renaissance. L’Égypte ne s’oppose pas à ce projet réalisé en Ethiopie. Bien au contraire, elle a proposé à maintes reprises d’y participer directement ou indirectement, et les chefs de gouvernement égyptiens successifs ont toujours souligné le droit du peuple éthiopien à développer et produire de l’électricité, élément important pour le progrès en Afrique. Toutefois, l’Égypte s’est opposée à tout empiètement sur ses droits sur l'eau. Le gouvernement actuel du président Abdel Fattah El-Sissi a tracé une ligne rouge à ce sujet et a promis de ne pas céder ce droit car cela exposerait l'Égypte et son peuple à un danger certain dans les années à venir.
La position de l’Égypte est donc restée inchangée. Elle est allée même jusqu’à solliciter l’appui du Conseil de sécurité. Lors du mini-sommet, le président égyptien a souligné le désir sincère de l’Égypte de progresser sur les questions litigieuses, car cela serait essentiel dans tout accord juste et équilibré concernant le barrage de la Renaissance. Il a toutefois insisté sur le fait que la question exigeait une volonté politique d’entente sur les questions en suspens afin d'améliorer les possibilités et les efforts de parvenir à un accord et de soutenir le renforcement de la confiance et la coopération qui seraient conformes à l'intérêt commun des trois pays.
À la fin du sommet, il a été convenu de poursuivre les négociations et de se concentrer réellement sur la priorité de la conclusion d’un accord juridique contraignant sur les règles de remplissage et d'exploitation du barrage de la Renaissance. Cela signifiait qu'un accord global serait conclu plus tard afin de couvrir tous les aspects de la coopération conjointe entre les trois pays et leur utilisation de l'eau du Nil.
Cependant, l’Égypte gardera-t-elle sa patience et restera-t-elle ouverte aux délibérations ? Nous le saurons certainement dans un avenir proche.
Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a félicité le peuple éthiopien pour le remplissage du barrage : « Je voudrais féliciter tout le peuple éthiopien pour ce barrage réalisé grâce à nos efforts collectifs », a-t-il déclaré. Et d’ajouter : « Cette réalisation prouve que les Éthiopiens sont capables de fournir le même effort dans d’autres domaines nationaux ». « Ce qui nous a le plus motivés a été notre confiance en nous-mêmes lors de la construction du barrage et sa réalisation malgré toutes les incertitudes », a-t-il indiqué.
« Ce barrage est le symbole et l’emblème de cette génération, et il constitue une réponse idéale et une lueur d’espoir pour les Éthiopiens pour les années à venir », a-t-il poursuivi.
Le dirigeant éthiopien a expliqué que la première année de remplissage du barrage permettrait à deux turbines de produire de l’électricité, mentionnant que si tous les efforts sont consentis durant les deux prochaines années, le barrage devrait produire de l’électricité à pleine capacité.
Quant au ministre des Affaires étrangères éthiopien Guido Andargachio, il a emprunté un ton plus « triomphant » et intense. Congratulant les Éthiopiens pour l’achèvement de la première étape de remplissage du réservoir du barrage de la Renaissance, il a écrit sur son compte Twitter : « Félicitations ! Le Nil était un fleuve, il n’est désormais plus qu’un lac, et ses eaux ne couleront pas vers le fleuve. L’Éthiopie prendra (de ce lac) ce dont elle aura besoin pour son développement ». Et de poursuivre : « En fait…le Nil nous appartient ».
La phrase « le Nil nous appartient » a indigné beaucoup d’Égyptiens qui ont réclamé que leur président se retire des négociations et réponde de manière décisive. D’autre part, certains ont décidé de répondre à l’Éthiopie de la même manière en créant le mot-dièse « #Nile4All ».
Parmi les tweets les plus marquants rédigés par les Égyptiens ayant utilisé ce mot-dièse, on peut lire : « Le Nil appartient à tout le monde et non pas seulement à l’Ethiopie. Le Nil est un cadeau de Dieu pour nous tous ». Le bloggeur qui a écrit ce tweet a appelé le monde à faire preuve de solidarité et à trouver une solution à la crise, expliquant que les eaux du Nil étaient pour l’Égypte une question vitale touchant à sa sécurité nationale.
Il a été déclaré dans un autre tweet : « Nous ne sommes pas fans des conflits, mais le Nil est une question de vie ou de mort, et tout le monde le sait. L’Égypte ne doit pas être privée de son droit historique aux eaux du Nil. Nous sommes les créateurs d’une civilisation qui a été bâtie sur le Nil ».
Le futur de la crise semble vague. L’Égypte pourrait reprendre les négociations avec l’Éthiopie afin de minimiser l’impact de la décision unilatérale d’Addis-Abeba. L’Égypte pourrait aussi solliciter l’appui du Conseil de sécurité comme elle l’a fait auparavant. L’Égypte pourrait profiter de son influence régionale et internationale afin de refaire pression sur l’Éthiopie pour qu’elle prenne en considération le droit historique de l’Égypte sur les eaux du Nil. Ceci pourrait même s’intensifier.
Dans tous les cas, une nouvelle culture devrait se faire jour parmi le peuple et le gouvernement égyptiens sur la question de l'utilisation des eaux du Nil qui a toujours été une nécessité. Les gouvernements successifs ont lancé un certain nombre de campagnes appelant à la protection du Nil, question vitale avant même que l'Éthiopie ne commence à construire le barrage de la Renaissance.
Les Égyptiens doivent insister, dans tous les cas, sur le fait que le Nil n’est la propriété de personne. Il appartient aux différents peuples qui ont vécu le long de ses rives depuis des milliers d’années.
Dr. Abdellatif El-Menawy est un journaliste, écrivain et chroniqueur multimédia acclamé par la critique et qui a couvert des zones de guerre et des conflits dans le monde entier. Twitter: @ALMenawy
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.