Pourquoi l'Égypte refuse de gouverner Gaza 

La domination égyptienne à Gaza s'est achevée après la guerre de 1967, quand Israël a occupé l'enclave avec la Cisjordanie et le Sinaï. Depuis lors, l'Égypte n'a pas joué de rôle direct dans l'administration de Gaza, mais est resté un acteur clé dans les questions de sécurité et la médiation politique. (AFP)
La domination égyptienne à Gaza s'est achevée après la guerre de 1967, quand Israël a occupé l'enclave avec la Cisjordanie et le Sinaï. Depuis lors, l'Égypte n'a pas joué de rôle direct dans l'administration de Gaza, mais est resté un acteur clé dans les questions de sécurité et la médiation politique. (AFP)
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Publié le Lundi 17 mars 2025

Pourquoi l'Égypte refuse de gouverner Gaza 

Pourquoi l'Égypte refuse de gouverner Gaza 
  • L'Égypte a fermement rejeté la proposition faite le mois dernier par le chef de l'opposition israélienne, Yair Lapid, qui avait suggéré que l'Égypte prenne le contrôle de l'administration de la bande de Gaza pendant 15 ans
  • Cette réponse de rejet ne constitue pas une simple position politique, mais une confirmation de la position de longue date de l’Égypte sur la question palestinienne

L'Égypte a fermement rejeté la proposition faite le mois dernier par le chef de l'opposition israélienne, Yair Lapid, qui avait suggéré que l'Égypte prenne le contrôle de l'administration de la bande de Gaza pendant 15 ans. En échange de cela, sa dette extérieure serait annulée. Cependant, la réponse égyptienne a été claire et décisive. Le ministère des Affaires étrangères a averti que de telles propositions constituaient une « tentative de contournement de la position de l'Égypte et du monde arabe », soulignant la nécessité pour Israël de se retirer des territoires palestiniens occupés et de permettre la création d'un État palestinien indépendant.

Cette réponse de rejet ne constitue pas une simple position politique, mais une confirmation de la position de longue date de l’Égypte sur la question palestinienne. L'Égypte s'est constamment opposée à toute proposition qui renforce l'occupation ou sape la cause palestinienne. Historiquement, elle a refusé de participer aux forces internationales au sein de Gaza, démontrant ainsi sa position ferme contre toute implication en matière de sécurité ou de responsabilités administratives dans l'enclave.

L'idée que l'Égypte ait géré Gaza n'est pas nouvelle, car l'Égypte gouvernait le territoire entre 1948 et 1967. À cette époque, Gaza était sous l'administration d'un gouvernement entièrement palestinien, soutenu par le Caire mais manquant de reconnaissance internationale effective. En conséquence, l'Égypte a ensuite placé Gaza sous un régime militaire direct sans l'annexer officiellement.

Au cours de cette période, Gaza a fait face à des crises économiques et humanitaires, aggravées par l'afflux de plus de 200 000 réfugiés palestiniens après la Nakba en 1948. L'Égypte n'a jamais eu de plan politique à long terme pour gouverner Gaza; Elle a plutôt vu son administration comme une responsabilité temporaire jusqu'à ce qu'une solution complète au problème palestinien soit trouvée et mise en place.

La domination égyptienne à Gaza s'est achevée après la guerre de 1967, quand Israël a occupé l'enclave avec la Cisjordanie et le Sinaï. Depuis lors, l'Égypte n'a pas joué de rôle direct dans l'administration de Gaza, mais est resté un acteur clé dans les questions de sécurité et la médiation politique.

Le rejet par l'Égypte de la proposition de Lapid est enraciné dans de multiples préoccupations, la sécurité nationale étant la plus critique. Le Caire craint qu'assumer le contrôle de Gaza de créer un fardeau de sécurité significatif, en particulier compte tenu de la dynamique interne complexe de l'enclave et de la présence de factions armées en dehors du contrôle de l'autorité palestinienne. Si l'Égypte devait assumer cette responsabilité, elle pourrait se retrouver dans la confrontation directe avec les groupes de résistance, conduisant à des conflits indésirables qui pourraient déstabiliser la sécurité intérieure de l'Égypte même.
En outre, l'Égypte se méfie de Gaza devenant une zone instable que les groupes extrémistes pourraient exploiter comme base pour des attaques contre le nord du Sinaï. Pour éviter de tels scénarios, le Caire tient à prévenir toute situation qui pourrait l'entraîner dans un défi sécuritaire complexe sur sa frontière orientale.

L'Égypte s'est constamment opposée à toute proposition qui renforce l'occupation ou sape la cause palestinienne.

- Dr Abdellatif El-Menawy

L'Égypte rejette également toute décision la rendant responsable de la sécurité pour Israël. Du point de vue du Caire, la proposition de Lapid est une tentative de transférer la responsabilité de Gaza à l'Égypte, permettant ainsi à Israël d'échapper à ses obligations. Au lieu d'assumer les coûts de reconstruction après la dévastation causée par les opérations militaires israéliennes, Tel Aviv semble chercher à décharger ce fardeau sur l'Égypte.

Cela reflète la politique de l'Égypte qui refuse de servir d'outil pour la mise en œuvre de stratégies israéliennes ne contribuant pas à une résolution complète de la question palestinienne. Le Caire comprend que toute implication directe dans l'administration de Gaza pourrait être perçue comme servant les intérêts israéliens au détriment des droits palestiniens.

L'Égypte est également profondément préoccupée par le fait que la prise en charge de l'administration de Gaza pourrait constituer une première étape dans un plan plus large visant à séparer définitivement l'enclave de la Cisjordanie, démantelant ainsi efficacement la cause palestinienne. Si Gaza est exclue de l'équation palestinienne, cela pourrait ouvrir la voie à des initiatives visant à déplacer les Palestiniens en dehors de la Cisjordanie, une idée à laquelle l'Égypte s'est toujours opposée.

Une crainte majeure émerge également : que la prise de contrôle de Gaza puisse conduire à un plan plus large de déplacement des Palestiniens de l'enclave vers la péninsule du Sinaï. L'Égypte rejette fermement un tel scénario, car cette mesure ne fragiliserait pas seulement sa souveraineté nationale, mais constituerait également une menace sérieuse pour sa stabilité.

Un autre facteur clé dans le rejet par l'Égypte de la proposition est la conviction que ses défis économiques ne justifient pas de compromettre ses politiques nationales. Malgré les incitations économiques offertes dans la proposition de Lapid, notamment l'annulation de la dette de l'Égypte, le Caire a clairement indiqué qu'il n'échangerait pas ses positions stratégiques contre une aide financière. Les responsables égyptiens ont souligné à plusieurs reprises que, malgré les difficultés économiques du pays, accepter une telle offre pourrait entraîner des répercussions politiques et sécuritaires bien plus importantes que tout avantage économique temporaire.

La proposition de Lapid n’a pas été la première tentative de persuader l’Égypte de prendre en charge l’administration de Gaza. En 2023, les États-Unis avaient déjà formulé une suggestion similaire, proposant que l’Égypte supervise temporairement la sécurité de Gaza, mais Le Caire avait également rejeté cette offre. Le directeur de la CIA à l’époque, William Burns, avait discuté de l’idée avec le président égyptien Abdel Fattah El-Sissi, qui avait fermement refusé la proposition.

L'Égypte a également refusé de rejoindre toute force internationale à l'intérieur de Gaza, estimant qu'une telle implication en ferait une partie prenante directe d'un conflit prolongé, entraînant des conséquences imprévisibles.

L'Égypte n'a pas simplement rejeté l'idée de gouverner Gaza mais a également proposé des solutions alternatives qui se concentrent sur l'autogouvernement palestinien. Une telle solution consiste à réintégrer le contrôle de l'Autorité palestinienne sur Gaza comme un pas vers l'unité palestinienne et la fin des divisions internes.

Le Caire a suggéré de former un gouvernement palestinien non partisan pour superviser la Cisjordanie et Gaza, mais Israël s'y est opposé. L'Égypte a également proposé de fournir une sécurité limitée et un soutien logistique, tels que la surveillance des frontières et la formation du personnel de sécurité palestinien, tout en refusant fermement tout rôle administratif direct.

La position de l'Égypte sur Gaza est claire et stratégique : elle refuse tout rôle administratif direct dans l'enclave et s'oppose à tous les plans qui pourraient affaiblir la cause palestinienne. Cette position est évidente dans son rejet répété des propositions israéliennes et américaines, malgré la pression politique et les incitations économiques.

Du point de vue du Caire, la solution à la crise de Gaza ne réside pas dans la prise en charge de l'administration de la bande par l'Égypte, mais dans un règlement global qui stipule la fin de l'occupation israélienne, la restauration du contrôle de l'Autorité palestinienne sur Gaza et la garantie du droit du peuple palestinien à établir un État indépendant. L'Égypte reste attachée à son rôle de médiateur, mais elle refuse de devenir une partie directe d'une crise qui, selon elle, ne relève pas de sa responsabilité.

Abdellatif El-Menawy a couvert les conflits dans le monde entier.

X : @ALMenawy

NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com