Dans une interview accordée à Arab News dimanche dernier, le financier américain et ancien fonctionnaire de la Maison Blanche, Anthony Scaramucci, a qualifié la relation américano-saoudienne, vieille de soixante-dix-huit ans, de «mariage catholique». Il a exhorté les dirigeants des deux pays à penser à long terme. «Nos économies, nos gouvernements, nos services de renseignement, nos départements de la défense sont très étroitement liés», a-t-il assuré.
Scaramucci s'exprimait d’Abu Dhabi, qui accueillait pour la deuxième fois le Salt, son sommet sur le leadership intellectuel. Il y a révélé son intention d'apporter une version du Salt unique à l'Arabie saoudite, qu'il a félicitée pour ses réformes en cours et pour les belles années qui s’annoncent à elle.
Non loin de la capitale des Émirats arabes unis, un autre forum de réflexion se tenait dans la ville historique saoudienne d'AlUla. Une discussion franche battait son plein sur l'état des relations entre l'Arabie saoudite et les États-Unis. Au patronage de ce forum, THINK – une filiale de SRMG, qui publie ce journal – dans la salle Maraya, où la déclaration d'AlUla a été signée il y a deux ans.
À l'instar de la relation américano-saoudienne, les signataires de ce traité (l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn, l’Égypte et le Qatar) ont démontré qu'ils partageaient des liens indéfectibles. La déclaration a mis fin à un boycott de quarante-trois mois et à l'une des périodes les plus dramatiques de l'histoire récente du Golfe.
Si je n'avais pas su que notre entretien avec Scaramucci avait été enregistré avant le forum d’AlUla, je l’aurais pris pour un devin. La métaphore du mariage a été utilisée de manière si répétée – et avec tant d'humour – que le forum a commencé à ressembler à une séance de thérapie de couple (le fait que les participants étaient assis en cercle y a peut-être contribué).
Scaramucci a vu juste : les relations entre les États-Unis et l'Arabie saoudite sont en effet comparables à un mariage catholique. Quiconque prétend le contraire est soit mal informé, soit pour le moins désorienté.
Il est probablement nécessaire de rappeler aux lecteurs que, quoi qu'en disent les experts du Moyen-Orient à Washington, même lorsque les relations entre l'Arabie saoudite et l'administration américaine actuelle étaient au plus bas, l'équipe du président Joe Biden était déterminée à ne pas «rompre cette relation».
Après tout, quel esprit sain tenterait de nuire aux relations avec le gardien des deux Saintes Mosquées et contrarier ainsi 2 milliards de musulmans ? Qui se risquerait à perturber les marchés de l'énergie en se disputant avec le premier exportateur mondial de pétrole ? Les responsables saoudiens ont pour leur part répété à plusieurs reprises que les relations avec Washington restaient imperturbables et que les États-Unis demeuraient une priorité diplomatique.
Alors qu'est-ce qui a mal tourné ? Il faudrait une série d'articles pour répondre à cette question. Pour faire bref, le côté saoudien a fait preuve de méfiance et le côté américain a effectué les mauvais calculs.
Les relations entre Riyad et Moscou sont constamment faussement représentées par les États-Unis
La réserve des Saoudiens est justifiée ; le gouvernement Biden est hostile à nos dirigeants depuis son arrivée au pouvoir. Il a mis en danger la vie de civils saoudiens en annulant la désignation des Houthis comme terroristes et en retirant les batteries de missiles Patriot de notre pays alors que les milices soutenues par l'Iran visaient délibérément des villes saoudiennes.
L'erreur de calcul des États-Unis a pris plusieurs formes. Washington a d’abord sous-estimé la popularité du prince héritier Mohammed ben Salmane, salué par une grande majorité de Saoudiens comme un libérateur. L'Amérique a également mis du temps à comprendre qu'elle avait affaire à un nouveau dirigeant saoudien, progressiste et différent de ses prédécesseurs. Le point de vue saoudien est simple : traitez-nous comme de véritables partenaires, pas comme des laquais.
Il est de plus évident que Washington a mal évalué ses propres intérêts en qualifiant constamment les relations de Riyad avec la Chine et la Russie de trahison.
Les détaillants américains du début du XXe siècle ont créé le concept selon lequel le client est roi. Ainsi, comment les États-Unis pensent-ils que l'Arabie saoudite devrait traiter avec la Chine, son plus gros client pétrolier, qui achetait 1,75 million de barils par jour en 2022 ? La Chine est aussi une économie mondiale de premier plan et une plaque tournante de l'industrie manufacturière, heureuse de vendre ses produits haut de gamme et indispensables sans aucun problème. Si les États-Unis ne peuvent pas proposer d'alternative, que doit faire le Royaume d’Arabie saoudite ? Ne pas moderniser ses réseaux de communication et risquer la vie de ses citoyens ?
L'Amérique est elle-même tellement dépendante de la Chine que le fait de ne pas faire affaire avec elle nuit à ses propres intérêts. La Chine détient 867 milliards de dollars de dette américaine (1 dollar américain = 0,95 euro), ce qui la place en deuxième position après le Japon. Elle est également en tête de liste des partenaires commerciaux des États-Unis, les exportations américaines vers la Chine soutenant un million d'emplois en 2021.
Quant à la Russie, les relations entre Riyad et Moscou sont constamment faussement représentées par les États-Unis. Riyad a condamné l'invasion russe à l'ONU l'année dernière ; le président ukrainien, Volodomyr Zelensky, a remercié l'Arabie saoudite pour son soutien ; la réduction de la production de l'Opep+ en novembre a entraîné une baisse des prix du pétrole, ce qui était l'objectif des États-Unis depuis le début – mais malgré tout cela, Washington a qualifié le Royaume de pro-russe ! Les États-Unis ignorent les avantages que représente la confiance que Riyad a bâtie avec Moscou au fil des ans et qui s'est matérialisée par l'échange de prisonniers avec l'Ukraine l'année dernière et la libération de citoyens américains. Il apparaît aujourd'hui que cette même confiance pourrait déboucher sur une discussion sérieuse pour mettre fin à la guerre – une guerre pour laquelle, outre les effroyables pertes humaines, le monde et l'économie américaine paient le prix fort.
En conclusion ? Comme l'a démontré la déclaration d'Al-Ula, les avantages mutuels sont tout ce qui compte ; et ceux dont Riyad et Washington peuvent tous deux bénéficier sont nombreux, au-delà de l'idée dépassée du «pétrole contre sécurité», qui n'est plus valable.
Comme l'a dit Winston Churchill : «nous n’avons pas d'amis ou d'ennemis mais des intérêts permanents». Ou si les États-Unis préfèrent quelque chose de plus américain, comme l'a chanté Tina Turner: «Qu'est-ce que l'amour a à voir avec ça?»
Faisal J. Abbas est le rédacteur en chef d'Arab News.
Twitter: @FaisalJAbbas
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com