Comme prévu, après quatre mois de vacance à la présidence libanaise, le Hezbollah a fini par annoncer par la voix de son secrétaire général, Hassan Nasrallah, la candidature officielle de Sleimane Frangié à la magistrature suprême au Liban. L’ancien ministre est l’une des figures emblématiques du camp du «8 Mars», que dirige le parti chiite d’une main de fer depuis plus de dix-huit ans.
M. Frangié avait déjà été candidat à la dernière élection présidentielle en 2016. Mais c’est le chef du Courant patriotique libre (CPL), le général Michel Aoun, qui avait fini par remporter l’élection le 31 octobre 2016. M. Frangié a gardé profil bas tout au long du mandat du président Aoun qui a pris fin le 31 octobre dernier. Dès ce moment, M. Frangié a été pressenti comme candidat du bloc pro-iranien au Liban, mais il a fallu attendre quatre mois pour que le Hezbollah se décide à annoncer officiellement sa candidature.
Pourtant, la manière dont la candidature a été annoncée pose un problème majeur. Car contrairement à la tradition, ce n’est pas le candidat lui-même qui a déclaré se présenter à l’élection, mais une tierce partie, le Hezbollah. Cela risque de faire capoter les chances de Frangié qui se voulait un candidat de dialogue et de rassemblement. Quand le Hezbollah, milice pro-iranienne, se lance ouvertement dans la bataille présidentielle en devançant le candidat pressenti, cela est perçu comme une entorse aux coutumes politiques. D’autant plus que le Hezbollah est une organisation militaire accusée de faire main basse sur le Liban par la force des armes qu’elle brandit et de mener des campagnes de subversion dans le monde arabe sur ordre de Téhéran.
Il est important de noter qu’au Liban, quand le Hezbollah se met sur le devant de la scène, c’est toute une panoplie de forces politiques de tous bords que se mobilisent pour faire barrage à son diktat
Il faut rappeler que la milice soutenue par Téhéran figure sur plusieurs listes d’organisations criminelles et terroristes à travers le monde. D’où la délicate position de M. Frangié, qui se retrouve candidat à la présidence soutenu par le Hezbollah, dans une conjoncture internationale et régionale des plus mouvementées.
On pourrait se demander pourquoi la milice a choisi de se mettre en avant dans la bataille de la présidence libanaise. C’est sans aucun doute un signe de durcissement qui ne trouve pas ses racines au Liban, mais plutôt à une échelle régionale. Téhéran ne serait pas étranger à ce développement sur la scène libanaise, qui ne fera que compliquer le processus politique de la présidentielle. En conséquence, M. Frangié pourrait essuyer de sérieux dommages politiques collatéraux. Il serait amené à en payer le prix en ratant pour la deuxième fois consécutive sa chance d’accéder à la présidence.
Il est important de noter qu’au Liban, quand le Hezbollah se met sur le devant de la scène, c’est toute une panoplie de forces politiques de tous bords que se mobilisent pour faire barrage à son diktat. Les partis chrétiens représentés au Parlement sont majoritairement opposés à M. Frangié. D’une part car il est taxé de «candidat du Hezbollah», et d’autre part parce qu’on lui reproche de manquer cruellement de compétence pour occuper ce poste dans un pays en proie à une crise politique, financière, économique et sociale sans précédent.
Cette escalade s’inscrit dans le cadre d’un durcissement iranien de plus grande envergure sur le plan régional, où la mainmise de Téhéran se trouve défiée en Irak et au Liban.
De nombreux observateurs estiment que par ses agissements, le Hezbollah tente de marquer son «territoire» politique au Liban face à une opposition grandissante qui, jusqu’à présent, a réussi à établir un certain équilibre au sein du Parlement. De quoi mettre en échec le projet du parti pro-iranien de porter à la présidence un candidat appartenant à son camp. Cependant, avec l’annonce officielle par Nasrallah de la candidature de M. Frangié, c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre sur une note d’escalade politique.
Cette escalade s’inscrit dans le cadre d’un durcissement iranien de plus grande envergure sur le plan régional, où la mainmise de Téhéran se trouve défiée en Irak et au Liban. Il s’agit pour le Hezbollah de préserver coûte que coûte ses acquis au Liban en temps d’incertitude. Néanmoins, on peut craindre le pire venant d’une milice qui n’a pas hésité par le passé à en venir aux assassinats et aux campagnes militaires pour faire valoir ses choix politiques et sécuritaires parmi une population libanaise totalement excédée de voir son pays sombrer dans l’abîme du projet iranien défendu par son proxy local.
Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban.
Twitter: @AliNahar
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