Il n’y a pas d’ambassadeur du Maroc à Paris. Un communiqué publié le mois dernier a annoncé la «fin de sa mission», ce qui a suscité une véritable frénésie au Quai d’Orsay, alors que les relations de la France avec un partenaire précieux et de longue date prennent un autre tournant.
Le président Emmanuel Macron, qui espérait masquer sa relation tendue avec le Maroc par une visite, attend toujours d’être invité à Rabat. Le royaume chérifien, qui tente toujours de se tourner vers une diplomatie plus sûre, a établi de nouvelles relations bilatérales tout en ravivant ses anciens liens avec le Royaume-Uni. Cependant, cela remet en question ses relations déjà compliquées avec la France et l’Union européenne (UE).
Contrairement à une grande partie de l’Afrique française, y compris l’Algérie voisine, la France n’a pas cherché à modeler le Maroc à son image. Ayant lutté pour imposer la volonté de Paris sur ses biens africains existants, l’administrateur du Maroc, le maréchal Hubert Lyautey, a cherché à travailler en collaboration avec – et non contre – les institutions existantes du pays, qui ont à leur tour tiré profit de la présence de la France pour se renforcer. Après quarante-quatre ans d’efforts pour pacifier le pays et l’exil dramatique du roi Mohammed V à Madagascar, la situation de la France est devenue insoutenable et, des décennies avant de le faire ailleurs sur le continent, les Français ont quitté le Maroc en 1956. Ce contexte explique la relation ami-ennemi que les deux pays entretiennent depuis.
Emmanuel Macron est, sans aucun doute, un politicien talentueux. Cependant, au moment où il étreignait chaleureusement son homologue algérien en août dernier et où il évoquait sa peine au sujet de l’histoire «douloureuse» des actions de la France dans ce pays, il a témoigné de peu d’amour ailleurs en Afrique, alors que le politique accompli recherchait une augmentation de 50% des importations de gaz vers la France.
Après avoir fait l’une des plus importantes gaffes diplomatiques de sa présidence en déclarant de manière intempestive que l’Algérie n’existait pas en tant que nation avant l’invasion française, en 1830, sa visite de l’année dernière constituait une volte-face remarquable. Cependant, la lune de miel ne durera pas, puisque l’Algérie a également rappelé son ambassadeur à Paris le mois dernier.
Le voyage de M. Macron en Algérie n’était pas en lui-même la cause de la détérioration des relations avec le Maroc; c’est plutôt l’échange passager du président français avec un journaliste suivi d’un voyage à Rabat – où il n’avait pas été invité – qui ont mis en lumière une relation de plus en plus controversée.
Alors que le Maroc cherchait à élargir ses relations internationales en mettant fortement l’accent sur la coopération sud-sud, les relations avec l’Europe sont devenues plus difficiles. Après une décision de la Cour de justice européenne de 2021 qui annulait les accords UE-Maroc sur l’agriculture et la pêche, Rabat a décidé de mettre fin à tout contact avec les institutions européennes. Depuis, une première série de discussions avec l’Espagne et l’Allemagne s’est traduite par une amélioration des relations, mais les liens avec la France sont restés tendus.
Alors que Rabat cherchait à élargir ses relations internationales, les relations avec l’Europe sont devenues plus difficiles.
Le mois dernier, le journaliste franco-marocain Rachid M’Barki a été limogé par l’une des principales chaînes de télévision françaises, BFM TV, pour ingérence étrangère présumée dans son travail. Cette décision s’inscrit dans le cadre d’efforts à plus grande échelle pour discréditer le Maroc à la fois à Bruxelles et à Paris.
Étant donné que les enquêtes montrent que la récente fuite d’informations concernant les faveurs marocaines aux fonctionnaires de l’UE porte les traces d’un gouvernement européen important, Paris a été pointé du doigt. Le Parlement européen a également voté une résolution qui appelle les autorités marocaines à respecter la liberté de la presse. Compte tenu du fait que c’est le seul pays d’Afrique du Nord à faire l’objet d’une telle introspection, on peut dire que la «relation exceptionnelle» que la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a voulu mettre en lumière lors de sa visite à Rabat de décembre dernier semble très éloignée de l’état des relations bilatérales aujourd’hui.
La situation n’a pas toujours été ainsi. Lorsque le président Macron a tâté le terrain pour la première fois, dans l’espoir d’établir des ponts lors de sa candidature à la présidence, un responsable marocain a plaisanté en ces termes: «nous connaissons les Français mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes.» En effet, un tel sentiment s’est manifesté lorsque M. Macron a choisi le Maroc comme destination pour son premier voyage à l’étranger en tant que président, en juin 2017. Les relations se sont encore consolidées pendant l’automne 2018, lorsque le président et le roi Mohammed VI ont inauguré ensemble la première ligne à grande vitesse d’Afrique. Par ailleurs, le Maroc a participé à la commémoration du centenaire de l’armistice à Paris aux côtés d’autres pays qui ont combattu pendant la Grande Guerre.
Les différents désaccords qui ont eu lieu depuis ont abouti à une décision française, réduire le nombre de visas disponibles pour les ressortissants marocains – une question très controversée –, même si Paris s’est félicité d’un retour à la «pleine coopération consulaire» et a réitéré son soutien au plan d’autonomie du Maroc pour le Sahara occidental. Les préoccupations géopolitiques et la propension du président Macron à une ténacité qui peut parfois sembler désinvolte ont fait de la visite d’État une perspective lointaine.
Malgré les tensions, le commerce bilatéral a dépassé 13 milliards d’euros en 2022, une hausse de 24% par rapport à l’année précédente. La France est également le premier investisseur étranger au Maroc, devant l’Espagne. Cependant, cette relation est susceptible de changer. Le Maroc est courtisé par d’autres pays, comme l’illustrent le nouveau protocole commercial signé par les gouvernements espagnol et marocain ainsi que l’accord d’association entre le Royaume-Uni et le royaume chérifien, qui montrent de quelle manière Rabat a changé de cap. L’accord avec le Royaume-Uni a entraîné une augmentation de 60% des échanges au cours des douze mois suivants.
La préoccupation tactique de la France qui consiste à atténuer l’expansion des liens du Maroc avec les autres nations en contrecarrant ses efforts dans l’UE a mis en péril le commerce français avec ce pays. Alors que Paris cherche une «feuille de route sur vingt ans» ambitieuse avec Rabat, la capitale française ferait bien de renouer avec son histoire. Le Maroc bénéficie d’excellents réseaux. C’est le plus ancien allié des États-Unis et il entretient des relations diplomatiques avec le Royaume-Uni depuis plus de huit cents ans. Les fuites et les manœuvres parlementaires ne «confirment pas la solidité du partenariat» que la France recherche publiquement tout en le perturbant en privé.
Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).
Twitter: @Moulay_Zaid
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com