Je suis l’un des chercheurs occidentaux qui ont le plus étudié les évolutions récentes de la société saoudienne. Dans un cadre professionnel, je me suis rendu en février à Riyad, accompagné d’un collègue britannique, Simon Chadwick, pour rencontrer des partenaires potentiels, qu’ils soient économiques, institutionnels ou universitaires. Cela m’a donné une idée de l’ampleur du changement culturel et sociétal qui avait eu lieu depuis mon dernier passage.
La scène se déroule un mardi. Nous entrons avec Simon dans le bâtiment du Leader Development Institute du ministère des Sports, où nous pensons avoir rendez-vous avec deux hommes avec qui nous avons eu des entretiens très intéressants en ligne. Ils nous conduisent dans une grande salle de réunion et un autre employé m’aide à brancher mon ordinateur. Nous nous faisons face quand une dame entre dans la salle, suivie d’un photographe officiel. Les deux hommes se lèvent, nous aussi, et elle s’installe en bout de table et nous sourit. Commence la réunion, qu’elle dirigera avec poigne pendant plus d’une heure.
Ces trois rendez-vous se sont déroulés dans une ville où ce qui marque le plus, c’est l’omniprésence de la jeunesse et le fait que les choses se déroulent de façon douce, sans heurts.
Le matin, nous étions allés visiter l’université de la princesse Noura, reçus par la doyenne du College of Business Administration, qui nous a reçus alors qu’elle était entourée de quatre de ses consœurs. Leurs objectifs, entre autres: lancer des programmes de type master qui soient complètement mixtes au sein de cette université jusqu’alors réservée aux femmes.
Cette journée n’était toutefois pas terminée puisque nous devions d’urgence nous rendre dans l’après-midi au siège du Fonds public d’investissement, où la responsable adjointe en charge des sports et des loisirs nous a accueillis. Elle a présidé la réunion de travail, entourée de deux de ses collaborateurs.
Dans les trois cas, les femmes en question avaient moins de 35 ans. Deux d’entre elles n’étaient pas encore en poste il y a six mois. Les rendez-vous ont été menés de façon magistrale, nous laissant une impression d’un professionnalisme et d’un leadership d’une intensité à laquelle nous ne nous attendions pas.
Ces trois rendez-vous se sont déroulés dans une ville où ce qui marque le plus, c’est l’omniprésence de la jeunesse et le fait que les choses se déroulent de façon douce, sans heurts. Si j’avais pu entrevoir de tels changements dans mon livre La femme est l’avenir du Golfe, mais aussi lors de mes passages en 2022 en Arabie saoudite, je n’avais pas anticipé que ces six derniers mois représentaient une telle accélération du changement. Plusieurs de mes amis saoudiens l’ont remarqué aussi et ils l’expliquent par le fait que, selon eux, la Covid a gelé la situation et que le dégel a été impressionnant, y compris pour eux-mêmes, avec une accélération du changement spectaculaire.
Ce qui marque le visiteur à Riyad, c’est qu’il se trouve dans une ville où la jeunesse semble avoir pris le pouvoir.
Le reste du séjour sera tout aussi surprenant. Tout d’abord, nous mettrons deux jours à nous apercevoir que nous n’entendons plus les appels à la prière. Il faut désormais prêter l’oreille et l’un des doyens d’université que nous rencontrons nous explique que c’est une instruction gouvernementale et que les fidèles ont désormais tous un smartphone pour leur rappeler qu’il est l’heure de prier.
C’est donc un Riyad toujours aussi embouteillé, mais où les rames de métro circulent à l’essai et où des voies réservées aux bus sont en plein développement qui nous a accueillis pendant une semaine. Une ville qui verdit aussi, avec le chantier du parc gigantesque du centre-ville qui annonce un million d’arbres plantés.
Pourtant, ce n’est pas ce qui nous a le plus surpris. Ce qui marque le visiteur à Riyad, c’est qu’il se trouve dans une ville où la jeunesse semble avoir pris le pouvoir. Du chauffeur de taxi à la directrice générale, les jeunes et les femmes sont partout et il règne une forme d’énergie positive, une confiance en l’avenir qui est rafraîchissante. Il est évident que la jeunesse est la clé de la société saoudienne et qu’elle a désormais en main une partie des rênes. Lors de notre retour en France, nous nous sommes posé une question: combien de visiteurs étrangers qui ont des rendez-vous à Paris dans un ministère, dans une université puis au sein d’un fonds d’investissement public auraient-ils été reçus par trois délégations dirigées par trois jeunes femmes? Quelle est la probabilité qu’un tel enchaînement de rendez-vous se produise en France? C’est pourtant ce qu’il s’est passé à Riyad.
Bien évidemment, cette tribune n’est que le reflet d’une impression, une photographie prise à un instant précis, et la réalité masque sans doute bien d’autres choses; mais, comme l’a écrit Charles Péguy: «Il faut toujours dire ce que l'on voit; surtout, il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l'on voit.» Et ce que Simon Chadwick et moi avons vu à Riyad, nous l’avons bel et bien vu.
Arnaud Lacheret est docteur en sciences politiques, Associate Professor à Skema Business School et professeur à la French Arabian Business School.
Ses derniers livres: Femmes, musulmanes, cadres… Une intégration à la française et La femme est l’avenir du Golfe, aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.