«Je suis Tyre Nichols, 29 ans, tué par des policiers noirs à Memphis. J'essaie juste de rentrer chez moi.»
Le racisme est sournois, comme le montrent les terribles images de la vidéo. On pleure de désarroi en voyant cet homme appelant sa mère qui habite près de l’endroit où la police de l’unité Scorpion l’a arrêté. À Memphis. Tennessee. Haut-lieu de l’histoire des luttes afro-américaines, comme l’Alabama, pour la déségrégation dans les années 1960. Le monde sait que Martin Luther King a été assassiné dans cette ville le 4 avril 1968, alors qu’il allait faire un discours dans une église voisine, lui, icône universelle de l’antiracisme et de la fraternité.
Tous le savaient, sauf ces policiers qui, le 7 janvier 2023, ont arrêté et Tyre Nichols, 29 ans, au volant de sa voiture, pour une infraction au code de la route, comme le montre la vidéo diffusée le 27 janvier par les autorités de Memphis. Elle montre Tyre extirpé violemment de sa voiture, puis un enchaînement de violences contre lui, de nuit, avec les voix des policiers et de la victime très audibles. Le film semble irréel.
En le regardant, on veut comprendre, savoir pourquoi les policiers se déchaînent ainsi contre ce jeune homme, non armé. Ils sont en panique. Durant de longue minutes, ils lui assènent des coups de pieds dans la tête, le visage, alors qu’il est à terre, des coups de matraque, alors qu’il est inoffensif, des jets de lacrymogène, puis de Taser. Ils lui hurlent de s’allonger sur le sol, il crie qu’il veut obtempérer mais qu’il y est déjà, à terre, il ne peut creuser plus. Qu’importe, les coups pleuvent sur lui, le sang gicle, on se demande, si on était à sa place, ce que l’on ferait. Il appelle sa mère, Mum, plusieurs fois, elle habite à proximité, il espère qu’elle va venir le sortir de cette potence dans laquelle cette nuit du 7 janvier l’a accroché.
Le monde sait que Martin Luther King a été assassiné dans cette ville le 4 avril 1968, alors qu’il allait faire un discours dans une église voisine, lui, icône universelle de l’antiracisme et de la fraternité.
Il a essayé de dire aux policiers qu’il veut simplement rentrer chez lui. Quelle ironie, c’est lui qui essaie de les calmer, pas l’inverse, il veut rétablir l’ordre des choses, il ne désire rien d’autre que sauver sa peau, mais il est cerné par des molosses en uniforme qui ont décidé de le briser, qui lui crient de donner ses mains pour les menotter, mais il a peur d’eux, il a compris dans leur intonation, dans leurs coups, leur haine, l’issue à son arrestation : la mort.
Il se remet sur ses jambes, déterminé à survivre, il se sauve, il s’encourage « Run, Tyre, cours ! » Les policiers se lancent à sa poursuite, ils se disent que s’il s’enfuit c’est bien qu’il est coupable, encore un délinquant des minorités qui se dérobe à la loi, ils ne vont pas le lâcher. Tyre fonce, zigzague pour éviter les balles, hélas il trébuche, s’écroule à terre, sous un lampadaire où une caméra de vidéosurveillance filme les derniers moments de son calvaire.
Pas loin de là, le souvenir de Luther King pleure. Comme celui de Jessie Jackson dans les bras duquel le Pasteur qui rêvait de fraternité, a rendu son dernier souffle le 4 avril 1968 au balcon de l’hôtel Loraine, près de l’actuel Musée national des droits civiques.
Tyre Nichols est mort à l’hôpital trois jours plus tard. Il était noir.
À l’église, le révérend Al Sharpton, figure de la lutte pour les droits civiques, qui a prononcé l'oraison funèbre, a trouvé les mots : «Dans la ville où Martin Luther King a perdu la vie, vous avez battu un frère à mort. Il n'y a rien de plus insultant, pour nous qui avons lutté pour ouvrir les portes, que vous entriez par ces portes et agissiez comme les personnes que nous avons dû combattre afin que vous puissiez passer par ces portes».
Dans l’audience se trouvait un frère de George Floyd, quadragénaire noir dont la mort, en 2020, sous le genou d'un policier blanc, avait déclenché des manifestations antiracistes massives, aux cris de « Black Lives Matter ». À Memphis, les cinq policiers noirs assassins de Tyre ont été inculpés pour meurtre et écroués. Ils ont flingué le combat antiraciste. Dans Chien Blanc, l’écrivain Romain Gary écrivait en 1968 : « Le plus grand problème des Noirs américains est le mépris et la haine qu’inspire souvent au Noir lui-même, et qui n’est évidemment qu’une forme de la haine pour sa condition. » Pour la fraternité, dans les années à venir, la route sera compliquée. God bless America. Inchallah.
Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.
Twitter: @AzouzBegag
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.