Un média libanais a rapporté la semaine dernière que le contact avait été perdu avec un bateau transportant 250 migrants peu après qu’il a quitté les rives de la ville de Tripoli. Cette nouvelle est intervenue trois semaines seulement après le naufrage d’un bateau qui tentait de traverser la Méditerranée pour rejoindre l’Europe. Heureusement, les forces armées ont pu sauver la plupart des passagers lors de ce dernier incident. Cependant, l’émigration clandestine est devenue un problème chronique. La situation catastrophique au Liban sera à l’origine d’une nouvelle vague de réfugiés vers l’Europe. Même si la communauté internationale tente de venir en aide au Liban, il n’y a pas d’alternative à un gouvernement qui fonctionne.
Aujourd’hui, l’Europe ne peut pas gérer une autre vague de réfugiés. Elle a déjà du mal à gérer les réfugiés ukrainiens et aucun signe clair ne laisse présager la fin de la guerre. Il est donc dans l’intérêt de l’Europe d’avoir un Liban stable, avec une économie capable de répondre aux besoins des habitants du pays et de s’assurer qu’ils ne s’aventurent pas en mer.
Les organisations non gouvernementales (ONG) sont très actives au Liban, mais leur travail est inefficace car elles ne peuvent pas remplacer un État. Elles interviennent dans les situations d’urgence, mais il est très difficile pour elles de mener le véritable développement dont le pays a besoin en l’absence d’un État qui fonctionne. Pour pouvoir rester au Liban, les personnes doivent avoir un emploi. Comment une ONG peut-elle aider les Libanais à assurer leur subsistance de manière durable?
C’est très simple. Si l’Europe veut éviter d’avoir à accueillir une nouvelle vague de réfugiés, elle doit pousser le Liban à se doter d’un État qui fonctionne. Cependant, il n’y a aucun moyen d’y parvenir sans faire pression sur les gardiens du régime. S’ils ne sont pas contraints d’accepter des réformes, ils ne les mettront pas en œuvre. La pression populaire en elle-même ne suffit pas. Les manifestations qui ont éclaté en 2019 ne les ont pas fait ciller. Les élections ne les ont pas fait disparaître, car ils contrôlent toujours les moyens de subsistance des Libanais en contrôlant le prétendu «État» et ses prétendues «institutions». Par conséquent, ils ont accès à tous les services que les citoyens cherchent à obtenir de l’État.
L’Occident, les États arabes et la communauté internationale au sens large ont longtemps toléré ce système corrompu. Aujourd’hui, ils se rendent compte que ce n’est pas viable. L’Arabie saoudite, qui a toujours été très généreuse en matière d’aide, a annoncé qu’elle n’enverrait plus d’argent à aucun pays s’il ne mène pas de réformes.
Pour changer, les Européens ont modifié leur style et adoptent une attitude plus affirmée. Ils ont envoyé au Liban des enquêteurs qui ont fouillé dans les dossiers et interrogé des responsables dans le cadre de l’enquête anticorruption visant la Banque centrale libanaise. Nabil Aoun, l’un des principaux courtiers du gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, a décidé de témoigner au Luxembourg. Cela signifie-t-il qu’il a accepté une négociation de peine? Probablement, mais nous n’en sommes pas sûrs.
«La rue se galvanise à nouveau après une longue période de dépression et d’inactivité»
Dr Dania Koleilat Khatib
Cependant, le système corrompu au Liban est comme le verre: dur, mais fragile. Une seule fissure pourrait briser l’ensemble du système. Où cette enquête va-t-elle mener? Nous ne le savons pas encore, mais ce qui est certain, c’est que la classe politique approche de sa fin. Le président du Parlement, Nabih Berry, qui est le parrain du régime politique, a plus de 80 ans.
L’année dernière, lors de sa candidature pour être réélu à ce poste, il s’en est sorti de justesse. La position qu’il occupe depuis trois décennies, que tout le monde considérait comme acquise, a soudainement été menacée pour la première fois. Le système a juste besoin d’un coup de grâce pour s’effondrer. Même le président français, Emmanuel Macron, qui s’était montré conciliant et pensait, après l’explosion de Beyrouth, que les dirigeants du pays allaient se redresser, a récemment affirmé que la classe politique devait être changée.
Toutefois, la rue se galvanise à nouveau après une longue période de dépression et d’inactivité. Les députés qui soutiennent le changement passent leurs nuits dans les couloirs du Parlement pour faire pression sur le président du Parlement afin qu’il élise un président.
La pression monte au niveau national et international, mais elle n’a pas atteint le niveau nécessaire pour forcer un changement. La France et le reste de la communauté européenne devraient utiliser une pression ciblée. Cela signifie qu’ils devraient aller vers chaque bloc du Parlement et exercer une pression sur le président du Parlement. Et ils le peuvent. Les politiciens libanais n’ont pas été touchés par la crise bancaire car leurs fonds étaient en sécurité dans les banques européennes. Leur argent est leur dernière soupape de sûreté, ils ne peuvent donc pas risquer de le perdre.
En outre, la communauté internationale comprend désormais que ces personnes ne veulent pas et ne peuvent pas mener de réformes. Ils prospèrent grâce à la corruption. Ils utilisent les services gouvernementaux comme des plates-formes pour fournir des emplois afin de s’assurer l’allégeance de leurs partisans, et comme une vache à lait pour les contrats exorbitants dont bénéficient leurs entreprises.
La bonne nouvelle est que la pression a commencé et que, cette fois, elle est sérieuse. La question importante est de savoir comment elle sera utilisée. La communauté internationale devrait avoir des demandes spécifiques qu’elle soumet aux politiciens, et non des demandes générales que la classe corrompue peut détourner. Par exemple, lorsqu’elle exige l’élection d’un président, elle doit préciser avec qui elle serait disposée à traiter et quelle forme de gouvernement elle pourrait accepter. C’est le moment d’être franc et précis. Ses exigences doivent être formulées clairement, tout comme les conséquences en cas de non-respect.
Certains Européens hésiteront à adopter un tel comportement, car ils considéreront peut-être qu’il s’agit d’une atteinte à la souveraineté d’une autre nation. Cependant, ils doivent comprendre qu’un État qui fonctionne au Liban fait partie intégrante de leur propre sécurité et qu’il n’existe pas d’autre solution pour empêcher les habitants du Liban de quitter le pays.
Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com