Le 18 janvier, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, s’est rendu à Washington. Tout ce qui devait être dit sur les relations bilatérales avait déjà été rendu public au préalable par les porte-parole des deux parties, de sorte que les pourparlers se sont déroulés comme prévu.
La pratique établie veut que, lorsque deux ministres des Affaires étrangères se rencontrent, ils soulignent spécifiquement les sujets sur lesquels les deux pays sont d’accord. C’est d’ailleurs ce qu’ils ont fait la semaine dernière à Washington. Aucune conférence de presse ne s’est tenue après la réunion.
La déclaration conjointe pro forma qui a été publiée ne donne qu’une idée limitée du déroulement des pourparlers. Nous disposons de quelques informations grâce à la déclaration qu’a faite M. Cavusoglu après la réunion. Il affirme que les pourparlers ont été très productifs et que les deux parties se sont entendues pour développer davantage la coopération énergétique entre les deux pays. Il a spécifiquement mentionné que la Turquie était passée du cinquième au quatrième rang parmi les pays qui importent du gaz naturel liquéfié des États-Unis.
Il s’agit de la deuxième réunion du «mécanisme stratégique» établi il y a deux ans entre la Turquie et les États-Unis.
L’attitude des États-Unis envers la Turquie a été moins que conciliante pendant plusieurs années et elle s’est durcie sous l’administration Biden. Cependant, la crise ukrainienne a changé plusieurs paradigmes, en particulier la perception américaine de l’importance de la Turquie pour la communauté euro-atlantique.
Un récent rapport du Congrès, intitulé «Turquie: contexte et relations avec les États-Unis», a été mis à jour le 22 décembre et il donne une idée de la nouvelle approche de Washington envers Ankara. De nombreux sous-entendus négatifs ont été supprimés dans cette version; la plupart sont des allusions péjoratives injustifiées à l’égard de la Turquie.
Plusieurs questions complexes ont été abordées par M. Cavusoglu et le secrétaire d’État américain Antony Blinken. Les plus importantes sont mentionnées ci-dessous.
L’achat par la Turquie de quarante nouveaux avions de combat F-16 et la modernisation d’environ quatre-vingts autres appareils qui figurent déjà dans l’inventaire de l’armée de l’air turque semblent avoir dominé les pourparlers. M. Cavusoglu, dans la déclaration qu’il a faite après la réunion, le mentionne comme premier point. Il s’est demandé si l’administration Biden tiendrait sa promesse de procéder à la vente.
D’autre part, le président de la Commission des relations étrangères du Sénat, Bob Menendez, insiste toujours sur le fait qu’il fera tout pour empêcher cet accord. L’intervention personnelle du président Joe Biden peut être nécessaire pour l’étape finale. Si l’accord est rejeté par le Congrès, le président a le droit de le renvoyer à cette assemblée et, cette fois, une majorité des deux tiers serait requise pour le rejet. Par conséquent, Ankara s’attend à un rôle plus actif de l’administration américaine.
Tout porte à croire qu’Ankara et Washington restent sur les positions dont ils ont précédemment fait part.
Yasar Yakis
Les deux ministres ont réitéré que l’opposition de la Turquie à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Otan n’était techniquement pas un problème entre Ankara et Washington. C’est pourtant un élément aussi invisible qu’important. Les États-Unis maintiennent le soutien à l’adhésion de ces deux pays. La Turquie devrait continuer à s’y opposer, à moins que ses conditions soient pleinement honorées; mais les États-Unis pourraient plus tard lier ce différend à l’accord F-16 et le résoudre de cette façon.
Le fait qu’une marionnette à l’effigie du président turc, Recep Tayyip Erdogan, ait été suspendue par les pieds sur une place publique de Stockholm et l’autorisation par la police suédoise d’une manifestation antiturque dans la capitale, où les manifestants ont brûlé un exemplaire du Saint Coran, ont aggravé la situation.
En ce qui concerne la Syrie, la Turquie continue de faire pression sur les États-Unis pour qu’ils tiennent leur promesse de forcer les combattants kurdes à quitter Manbij. Elle n’a pas encore officiellement renoncé à mener une opération militaire en Syrie. Washington continue d’exprimer son opposition à une telle opération et la Turquie maintient son attitude équivoque. Cette dernière, ainsi que le ferme soutien des États-Unis aux Kurdes en Syrie, continuera probablement de peser sur les relations entre Ankara et Washington.
Les Américains ont maintenu leur position, qui consiste à ne pas soutenir la normalisation des relations entre la Turquie et la Syrie. Ankara semble faire la sourde oreille aux mises en garde américaines et la normalisation se poursuivra, mais avec de nombreux écueils.
Il n’y a eu aucune allusion directe à l’intention des États-Unis de vendre des avions de combat F-35 à la Grèce. Cependant, M. Cavusoglu s’est plaint de l’attitude de Washington, qui n’aurait pas respecté l’équilibre de pouvoir conventionnel entre la Turquie et la Grèce.
Il a en outre manifesté son mécontentement au sujet de la décision du gouvernement américain de lever l’embargo sur les armes imposé aux Chypriotes grecs sous prétexte que cet État méditerranéen n’est plus un pays où le blanchiment d’argent bat son plein.
Évoquant le Caucase du Sud, M. Blinken a fait savoir à M. Cavusoglu que le Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, adoptait une approche positive, tandis que le ministre turc estime que, au contraire, l’Arménie a réduit les efforts de réconciliation entre l’Azerbaïdjan et elle. Cela montre que les deux ministres ne sont pas sur la même longueur d’onde.
M. Blinken a soulevé la question du non-respect par la Turquie des sanctions de l’Otan et de l’Union européenne contre la Russie, mais il semblerait que M. Cavusoglu ait fait la sourde oreille.
Tout porte à croire qu’Ankara et Washington restent sur les positions dont ils ont précédemment fait part et acceptent d’être en désaccord.
Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du Parti de la justice et du développement (AKP), actuellement au pouvoir.
Twitter: @yakis_yasar
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com