«Partout, partout, ils avancent… dans la douce France…», chantait Rachid Taha en 1993 à propos des racistes. Aux dernières élections, présidentielle et législatives, la société française a ouvert son lit au parti d’extrême droite, le Rassemblement national. Il compte aujourd’hui quatre-vingt-neuf députés à l’Assemblée nationale, promoteurs de l’idéologie anti-immigration et anti-islam. Son enracinement dans la société est opéré et le débat politique national désormais calé sur ce parti qui a pignon sur rue.
Les millions d’enfants d’immigrés maghrébins et africains qui, dans les années 1980, se sont levés pour la «Marche pour l’égalité et contre le racisme», dite «Marche des beurs», ne peuvent que constater l’échec cinglant de leur combat. La lutte contre le racisme est vaine. Le «seum» est incurable. L’extrême droitisation de nombre de sociétés, en Europe comme ailleurs, au Brésil, par exemple, où l’extrême droite bolsonariste tente une insurrection contre le président élu Lula, a le vent en poupe. Les symboles puissants des démocraties – Congrès, Parlements, Assemblées – sont bafoués par des hordes de citoyens furieux qui veulent en découdre avec la démocratie.
La rue conteste les urnes et veut imposer sa dictature. Aux États-Unis, Donald Trump a été l’initiateur de ces graves menaces. Il faut toutefois noter que la poussée de l’extrémisme de droite dans ces deux pays n’est pas liée à l’immigration et à son corollaire, l’islam, comme en France où, ces derniers temps, d’odieux relents racistes refont surface. Ainsi, en novembre dernier, l’inénarrable islamophobe déclaré, Michel Houellebecq, lors d’une discussion avec le philosophe Michel Onfray, retranscrite dans une revue, rallumait le feu avec ses délires islamophobes en déclarant que «le souhait de la population française de souche, comme on dit, ce n’est pas que les musulmans s’assimilent, mais qu’ils cessent de les voler et de les agresser. Ou bien, autre solution: qu’ils s’en aillent».
L’extrême droitisation de nombre de sociétés, en Europe comme ailleurs, au Brésil, par exemple, où l’extrême droite bolsonariste tente une insurrection contre le président élu Lula, a le vent en poupe.
Azouz Begag
Il a prophétisé la guerre civile: «Quand des territoires entiers seront sous contrôle islamique, je pense que des actes de résistance auront lieu. Il y aura des attentats et des fusillades dans des mosquées, dans des cafés fréquentés par les musulmans, bref des Bataclan à l’envers.» À la suite de quoi, la Grande Mosquée de Paris avait dénoncé des propos «d'une brutalité sidérante» et porté plainte contre le gourou pyromane politico-littéraire.
Cependant, étonnamment, après un long entretien entre le recteur Hafiz et le grand rabbin de France, on apprenait que les regrets exprimés par l’écrivain avaient suffi à retirer la plainte. Regrets? Excuses? Le provocateur récidiviste, pour qui «la religion la plus con, c’est l’islam», allait même bientôt publier un ouvrage, avec des propos qui, cette fois «ne heurteront pas les musulmans». Promis, juré. Craché. Les musulmans de France sont donc conviés à acheter son prochain livre. Au début du mois de janvier, ses rengaines, banalisées en France, ont révolté le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti: «Il y a quinze ans, on serait tous montés en première ligne pour les dénoncer… C'est ce que Hannah Arendt appelait la “banalité du mal”.»
Comble de l’ironie, même le patron du RN, Jordan Bardella, a déploré ces propos «excessifs» qui visent, selon lui, à mettre tout le monde dans le même sac. Il propose une analyse plus fine: «On a un problème en France, avec des Français nés sur le sol français, qui sont d'ici, mais dont l'âme est ailleurs. Des gens qui se comportent comme les ressortissants de pays étrangers...» Les raccourcis sont sidérants. Les allusions nauséeuses.
Plus récemment, ce même président du RN prenait encore une position originale, cette fois après l’affaire Le Graët-Zidane qui a secoué le monde du football. «Il faut qu’il s’excuse et… qu’il envisage sa succession», estimait-il à propos de la sortie outrancière du président de la Fédération française de Football (FFF) contre… l’icône Zidane, ancien champion du monde, qui était en attente de s'installer sur le banc de sélectionneur des Bleus.
Les thèses complotistes sur le racisme antimaghrébin en France, à tous les niveaux, ont de beaux jours devant elles, en 2023, année du quarantième anniversaire de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, dite «La Marche des beurs».
Azouz Begag
Lors d’une émission de radio, en plein débat sur la prolongation du sélectionneur Didier Deschamps, Noël Le Graët a osé s’en prendre à l'idole nationale en ces termes dégradants, mâtinés d’un racisme nauséeux: « Zidane au Brésil? Je n'en ai rien à secouer, il peut aller où il veut, il peut aller dans un grand club en Europe... Une sélection, j'y crois à peine en ce qui le concerne », avant de lâcher: « S'il a tenté de me joindre? Certainement pas, je ne l'aurais même pas pris au téléphone. Pour lui dire quoi? “Bonjour monsieur, ne vous inquiétez pas, cherchez un club, je vais me mettre d'accord avec Didier?”»
La haine est palpable. D’où provient-elle? Après la réaction outrée de Kylian Mbappé, «Zidane c’est la France, on ne manque pas de respect à la légende comme ça…», on ne compte plus celles de la planète foot contre Noël Le Graët. Les appels à sa démission sont lancés partout. Le lendemain, l’homme, 81 ans, en pleine tourmente, présentait ses excuses à Zidane. Regrets? Excuses? Comme Houellebecq? La réaction la plus significative venait du légendaire club du Réal Madrid avec un communiqué incendiaire. «Le Real Madrid regrette les déclarations malheureuses… sur Zinedine Zidane, l'une des plus grandes légendes du sport mondial. Ces paroles témoignent d'un manque de respect pour l'un des personnages les plus admirés dans le monde entier, et notre club attend des excuses immédiates […]. Les déclarations du président de la FFF sont indignes de quelqu’un qui occupe ce poste, comme celles à propos de notre capitaine Karim Benzema, actuel Ballon d'or, vainqueur de la Ligue des nations avec les Bleus et de cinq Ligues des Champions, entre autres.»
C’est dit. Aujourd’hui encore, d’aucuns cherchent les raisons, les vraies, qui ont privé Karim Benzema de la Coupe du monde au Qatar. Les thèses complotistes sur le racisme antimaghrébin en France, à tous les niveaux, ont de beaux jours devant elles, en 2023, année du quarantième anniversaire de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, dite «La Marche des beurs».
Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.
Twitter: @AzouzBegag
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.