Le futur Premier ministre israélien a donné une interview à un média saoudien. Le simple fait d’écrire cette phrase apparaît tellement improbable qu’il faut la relire plusieurs fois pour s’assurer que l’on n’est pas enfermé dans le métavers. C’est chez nos confrères d’Al-Arabiya que celui qui a encore quelques jours pour former une coalition parlementaire parle tout à fait librement d’un «saut quantique» que représenterait une normalisation entre l’État hébreu et l’Arabie saoudite.
Riyad a récemment multiplié les signes de rapprochement avec Tel-Aviv. Plusieurs ministres ont d’ailleurs ouvertement rappelé que le seul véritable obstacle qui empêchait la création de relations bilatérales était le dossier palestinien. Au vu de l’orientation très droitière de la future coalition de M. Netanyahou, on aurait pu imaginer qu’une négociation avec les Palestiniens aurait été immédiatement refusée par ce dernier, mais étrangement, l’interview semble dire le contraire.
Qu’en est-il dans les faits? Peut-on imaginer qu’en 2023, la coalition la plus à droite de toute l’Histoire d’Israël sera celle qui normalise les relations avec l’Arabie saoudite en faisant un pas décisif vers les Palestiniens?
Cette hypothèse paraît très improbable sur le terrain. Les tensions sont loin d’être apaisées et l’année 2022 a connu son lot de violences, d’attentats terroristes en Israël et d’interventions militaires dans les territoires palestiniens dont on se souvient que l’une d’entre elles a coûté la vie à une journaliste. Dans ces conditions, on voit mal des pourparlers s’engager, surtout avec un président de l’Autorité palestinienne plutôt vieillissant et en quête de légitimité après des reports d’élections systématiques depuis des années.
En revanche, politiquement, il y a un coup à jouer. Benjamin Netanyahou doit parvenir à «vendre» une alliance avec l’extrême droite dont les sorties antiarabes sont hélas assez courantes, et il a été élu en se présentant comme le recours pour préserver la sécurité et l’existence d’Israël.
On sait aussi que l’ancien et sans doute futur Premier ministre israélien est, sous couvert d’une certaine brutalité, un fin négociateur et que son caractère tranché plaît aux dirigeants arabes. C’est d’ailleurs lui qui a signé les accords d’Abraham conduisant les Émirats arabes unis (EAU), les royaumes de Bahreïn et du Maroc ainsi que le Soudan à reconnaître Israël. Le fait que ces quatre pays n’aient pas connu de troubles particuliers depuis cette normalisation et qu’ils aient pu au contraire profiter économiquement et stratégiquement de ces accords est un facteur qui peut s’avérer décisif. On murmure aussi que le caractère très franc et direct de M. Netanyahou ne déplaît pas aux dirigeants saoudiens, qui savent à quoi s’attendre avec un tel personnage, présent sur la scène politique depuis plus de trente ans.
En termes de timing également, cette annonce arrive à un moment intéressant. Israël et le Liban viennent de régler un vieux différend au sujet de leur frontière maritime et si les deux États n’ont évidemment pas de relations diplomatiques, force est de constater que le climat est moins tendu.
L’homme pivot de la politique israélienne depuis trois décennies parle de «saut quantique» pour la paix au Proche-Orient et force est de constater qu’un renouveau du processus de paix avec la Palestine ainsi qu’un rapprochement avec l’Arabie saoudite constitueraient une ouverture historique assez inimaginable. À plus de 70 ans désormais, Benjamin Netanyahou fait figure de vieux lion qui, après des décennies de combat, peut vouloir sincèrement la paix. Il reste à estimer si cette proposition est crédible et si un virage à 180 degrés est possible, notamment vis-à-vis de la Palestine.
Si le futur Premier ministre israélien est peut-être prêt à négocier avec les Palestiniens, l’alliance qu’il projette ne rend pas cette volonté très crédible. Les Arabes auront eux-mêmes énormément de mal à y croire à moins que ces pourparlers de paix ne soient menés sous l’égide et le parrainage d’un garant indiscutable. Et c’est là que le royaume d’Arabie saoudite pourrait frapper un grand coup et arracher une paix que plus personne n’espérait depuis plus de soixante-dix ans.
Arnaud Lacheret est docteur en sciences politiques, Associate Professor à Skema Business School et professeur à la French Arabian Business School.
Ses derniers livres: Femmes, musulmanes, cadres… Une intégration à la française et La femme est l’avenir du Golfe, aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.